Le directeur du FMI met en garde contre un nouvel effondrement financier

Christine Lagarde, le directeur général du Fonds monétaire international, a mis en garde contre la perspective d’une nouvelle crise financière mondiale dans un discours prononcé ce samedi lors de la réunion annuelle des banquiers centraux, des économistes et des responsables financiers internationaux invités par la Federal Reserve Bank de Kansas City dans la station des Montagnes Rocheuses Jackson Hole, dans le Wyoming [Ouest des Etats-Unis].

Faisant allusion aux récents événements – forte baisse de la croissance économique aux Etats-Unis et en Europe, accroissement de la crise de la dette souveraine en Europe, érosion de la confiance dans la solvabilité des principales banques d’Italie, de France et d’autres pays – Lagarde a dit, « Ce qui s’est passé cet été a montré que nous sommes entrés dans une nouvelle phase dangereuse. Les enjeux sont clairs : la reprise fragile en cours risque de faire long feu. Nous devons donc agir dès maintenant. »

Lagarde semblait suggérer qu’à moins d’une action rapide, coordonnée et décisive pour stimuler la croissance et consolider les gouvernements lourdement endettés et les banques chancelantes, le système financier mondial pourrait connaître un nouvel effondrement identique à celui qui avait accompagné le krach de Wall Street en septembre 2008.

Elle a affirmé que « les risques de ralentissement de l’économie mondiale » qui s’accumulaient étaient « encore aggravés par la dégradation de la confiance. » Elle a laissé entendre que l’économie était en train d’atteindre le stade d’une spirale descendante incontrôlable, déclarant, « Si la croissance continue de faiblir, les problèmes de bilans vont s’aggraver, la viabilité des finances publiques sera compromise et les instruments de politique économique deviendront inopérants pour soutenir la reprise. »

En évoquant l’Europe elle dit : « Il est urgent de recapitaliser les banques. Elles doivent être suffisamment solides pour faire face aux risques que représentent les dettes publiques et la faiblesse de la croissance. C’est essentiel pour mettre fin à la contagion. Sinon, la fragilité économique pourrait facilement s’étendre aux pays du cœur de la zone euro, ou pire encore, une crise de liquidités catastrophique pourrait éclater. »

L’évocation de la crise de liquidités est une référence implicite à la situation qui s’est développé après l’effondrement de la banque Lehman Brothers le 15 septembre 2008 lorsque les banques et les entreprises n’avaient pas pu obtenir de fonds pour leurs activités normales en raison d’une chute de la confiance dans les marchés financiers.

Lagarde a réclamé un programme obligatoire de recapitalisation des banques européennes financé au besoin avec des fonds publics. Elle a suggéré que le Fonds européen de stabilité financière doté de 440 milliards d’euros et mis en place pour renflouer la Grèce et d’autres pays européens fortement endettés tel l’Irlande et le Portugal soit ponctionné afin d’injecter des fonds aux banques chancelantes des 17 pays de la zone euro.

Ces dernières semaines, de grandes banques dont la Société Générale, la deuxième banque française et UniCredit d’Italie, avaient eu des problèmes pour obtenir des financements en raison de leur forte exposition à la dette souveraine et bancaire de la Grèce et d’autres pays assiégés et de craintes qu’elles ne puissent résister à un défaut de paiement de ces prêts. Le cours de leurs actions a chuté de façon spectaculaire.

Le Financial Times a rapporté dimanche qu’une récente analyse de Morgan Stanley avait constaté que le financement des banques avait baissé de manière significative au cours de ces trois derniers mois et que « pour les banques les coûts seraient bien plus élevés à la réouverture des marchés en septembre. » Le journal a cité un banquier central disant, « Les banques de certains pays ont eu du mal à trouver des liquidités ces dernières semaines et que la pression allait s’accroître. »

Parlant des Etats-Unis, Lagarde a déploré le faible taux de la croissance économique américaine et a demandé instamment une réduction du taux de chômage et la fin de la chute continue des prix immobiliers. Cette chute des prix de l’immobilier constitue selon elle « un frein à la consommation [et] cré[e] encore de l’incertitude [économique]. « Il est donc tout simplement exclu de prendre des demi-mesures ou d’atermoyer » dit-elle.

Elle a demandé au gouvernement Obama de fournir une aide aux propriétaires de logements soit en réduisant leur capital hypothécaire soit en permettant aux ménages dont le prêt hypothécaire est supérieur à la valeur marchande de leurs maisons de le refinancer aux taux plancher prévalant actuellement.

Tout en prônant un nouveau renflouement des banques par les contribuables et des coupes sévères dans les soins de santé et les droits à la retraite à moyen et long terme, Lagarde s’est exprimée contre des mesures d’austérité drastiques à court terme et en faveur de modestes mesures de stimulation visant à promouvoir la demande des consommateurs. En réclamant une double approche, elle a dit, « Il ne s’agit pas nécessairement de se serrer brutalement la ceinture dès maintenant : si les pays s’attaquent aux risques de long terme pesant sur leurs finances publiques, tels que la hausse du coût des retraites ou des dépenses de santé, ils auront une plus grande marge de manœuvre à court terme pour soutenir la croissance et l’emploi. »

Le caractère grave des remarques de Lagarde pourrait bien traduire les préoccupations au sein de l’institution financière selon lesquelles les semaines à venir pourraient conduire à une nouvelle détérioration de l’état des marchés financiers. Robert Zoellick, le président de la Banque mondiale, est venu soutenir les remarques de Lagarde en se disant inquiet de ce que des événements cet automne « pourraient bien déclencher un défi pour le marché allant au-delà des trois petits pays pour toucher les pays plus importants ou les banques de l’UE. »

De par son ton et son contenu, les remarques de Lagarde se différenciaient nettement de celles du président de la Réserve fédérale, Ben Bernanke, qui avait pris la parole vendredi devant la conférence et du président de la Banque centrale européenne, Jean-Claude Trichet, qui s’était exprimé samedi.

Bernanke a cherché à rassurer les marchés disant qu’en dépit d’un ralentissement inattendu au printemps et cet été, l’économie américaine restait saine et continuerait à croître plus rapidement durant la période à venir. Il a réussi à présenter ce pronostic plutôt optimiste en partie en ignorant pratiquement les signes d’une contraction mondial de l’économie et en remarquant à peine la détérioration de la crise souveraine et bancaire en Europe, les signes d’une nouvelle crise bancaire aux Etats-Unis et les implications de la dégradation au début du mois de la dette américaine par Standard & Poor’s.

Dans ses observations préparées d’avance, Trichet a évité toute référence directe à l’actuelle crise en Europe. Toutefois, il a publiquement réfuté la mise en garde de Lagarde d’une possible crise de liquidités en disant, « L’idée que nous puissions avoir un problème de liquidités en Europe » est « totalement fausse. »

Le discours de Lagarde s’est déjà attiré les foudres des responsables européens et des banquiers centraux. Un article affiché dimanche par le Financial Times sous le titre « Les responsables européens contre Lagarde » rapporte : « Les responsables européens s’en sont pris dimanche à Christine Lagarde en accusant le directeur général du Fonds monétaire international d’attaquer de manière ‘confuse’ et ‘malavisée’ la santé des banques de l’Europe. »

L’article citait un banquier central anonyme « expérimenté » qui a dit, « Parler de capital est un message confus. Tout le monde – les politiciens, les responsables de la réglementation, et autres responsables – est très préoccupé. »

Ces critiques sont en partie dues à la crainte que l’évaluation lugubre du directeur du FMI n’effraie les investisseurs bancaires et n’entraîne une nouvelle ruée sur les actions bancaires et une nouvelle hausse des coûts de l’emprunt et de l’assurance contre les défauts de paiement des principales banques. Le coût de l’assurance pour protéger une dette bancaire européenne contre un défaut de paiement a déjà atteint des niveaux record, étant même supérieur aux coûts durant la période précédant le krach financier de 2008.

Mais, la controverse publique reflète aussi de nettes divergences au sein de l’élite financière mondiale quant à la façon de traiter la crise qui est en train de s’aggraver. Lagarde, elle-même, ancienne ministre française de l’Economie et des Finances dans le gouvernement du président Nicolas Sarkozy, n’est devenue directeur du FMI que le mois dernier après la démission forcée de Dominique Strauss-Kahn, inculpé à New York d’agression sexuelle, une accusation depuis abandonnée.

La plupart des banques européennes sont farouchement opposées à une recapitalisation obligatoire et les banques américaines ont fait fortement pression contre une législation qui leur imposerait de réduire le capital hypothécaire ou de recevoir des paiements d’intérêt sur les prêts immobiliers nettement inférieurs.

En Europe, l’Allemagne est opposée à toute mesure, telle l’injection de capital par le Fonds européen de stabilité financière dans les banques, qui nécessiterait que l’Allemagne paie la part du lion de la facture du renflouement des pays lourdement endettés ou des banques défaillantes.

L’appel de Lagarde pour une action prompte et coordonnée afin d’endiguer une nouvelle descente vers une dépression à grande échelle a peu de chance d’aboutir. De plus, ses prescriptions ne diffèrent pas en principe de celles qui exigent des mesures d’austérité immédiates plus drastiques. Il peut y avoir des différences de calendrier et de tactique mais ils sont tous d’accord pour que le coût de la crise soit supporté par la classe ouvrière.

Près de trois ans après le krach de septembre 2008, il est clair que rien n’a été résolu et qu’aucune reprise véritable n’a été assurée. Comme Lagarde le dit elle-même – « Mais aujourd’hui ce sont les bilans du secteur public eux-mêmes qui sont en ligne de mire » – le pillage des finances nationales pour renflouer les banques n’a provoqué que la faillite des Etats nationaux. A présent, la dette souveraine a rebondi sur les banques dont l’insolvabilité fondamentale n’a seulement été cachée que grâce aux milliers de milliards d’aide de l’Etat.

L’utilisation de la crise dans le but d’attaquer l’emploi, les salaires et les conditions sociales de la classe ouvrière a, de plus, sapé toute perspective pour une croissance économique réelle. La réponse de la classe dirigeante internationale et de ses représentants politiques, y compris le gouvernement Obama aux Etats-Unis, est d’intensifier les attaques contre les conditions de vie de la population laborieuse.

La seule solution véritable est celle venant d’en bas, sous la forme d’une action unifiée de la classe ouvrière contre le système capitaliste et ses partis politiques, et fondée sur la lutte pour un programme socialiste révolutionnaire.

(Article original paru le 29 août 2011)

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