L'OTAN face à une impasse en Libye

Le meurtre inexpliqué la semaine passée du commandant militaire « rebelle » libyen, le général Abdel Fatah Younès, a montré le caractère divisé et instable du Conseil national de Transition (CNT) soutenu par l'OTAN et l'impasse militaire de ses tentatives d'évincer le régime de Mouammar Kadhafi. L'assassinat a suscité une série de commentaires de la part de ministres britanniques et français qui infirment officiellement des mois de propagande américaine et de l'OTAN prédisant la chute imminente de Kadhafi.

Dans un discours prononcé lundi, le secrétaire aux Affaires étrangères, William Hague, a dit : « Nous ne savons pas combien de temps cela durera. Nous ne savons pas quand le colonel Kadhafi comprendra qu'il doit partir. Nous ne savons pas quand les membres de son régime arriveront à cette conclusion. » Tout en exprimant la détermination du gouvernement britannique de continuer la guerre, Hague a mis en garde que « dans un conflit, les choses ne se passent pas de manière prévisible. »

Dans un commentaire révélateur, Hague a défendu la campagne de bombardement de l'OTAN en disant qu'elle avait épargné « de nombreuses vies et empêché la déstabilisation de l'Egypte et de la Tunisie. » Le sauvetage de civils est un prétexte utilisé pour justifier la guerre illégale de l'OTAN en Libye. La référence à l'Egypte et à la Tunisie confirme toutefois qu'en plus du contrôle du pétrole libyen, les Etats-Unis et l'OTAN ont l'intention d'établir une tête de pont contre les soulèvements révolutionnaires au Moyen-Orient et en Afrique du Nord.

Les commentaires de Hague ont suivi ceux faits dimanche par le secrétaire à la Défense, Liam Fox, qui a admis qu'il était improbable que les rebelles libyens renversent Kadhafi. « La clé du problème libyen, » a dit Fox, « sera si les milieux proches du colonel Kadhafi sont oui ou non conscients qu'il n'y a pas d'intérêt à investir en lui. Il est réduit à néant ; tôt ou tard il devra quitter le pouvoir. »

Le ministre français de la Défense, Gérard Longuet, a fait dimanche des remarques identiques disant que les soi-disant combattants « rebelles » ne seraient pas en mesure d'attaquer eux-mêmes la capitale libyenne. « Il doit se passer quelque chose à Tripoli, » a-t-il dit. « Pour dire les choses clairement : la population doit se soulever. Le mois à venir sera bien sûr intense. Il n'y aura pas, je crois, de répit durant le mois du Ramadan [le Jeûne musulman]. »

Ces commentaires reflètent l'inquiétude ressentie à Washington et dans les capitales européennes quant à la stabilité du CNT auquel ils ont accordé une reconnaissance diplomatique. Une semaine après le meurtre du général Younès, ni les faits ni les causes de ce meurtre ne sont claires. Younès avait apparemment été rappelé jeudi du front pour un interrogatoire sur des faits non précisés à Benghazi où il fut tué en même temps que deux autres officiers.

Les partisans de Younès ont pointé un doigt accusateur sur les Brigades des Martyrs du 17 février, un groupe de milice commandé par un imam local et comprenant des islamistes connus. Désireux d'éviter une guerre factionnelle au sein du régime « rebelle », les porte-parole du TNC ont cherché à rejeter le blâme sur des fidèles de Kadhafi opérant clandestinement à Benghazi.

Lors d'un deuxième incident non expliqué, les forces du CNT se sont livrées très tôt dimanche matin une bataille rangée avec un groupe de milice présumé être une « cinquième colonne » de partisans pro-Kadhafi. Les combats ont duré plus de huit heures, tuant trois combattants du CNT et quatre membres de la milice. Le ministre adjoint de l'Intérieur du CNT, Mustafa al-Sagazly, a affirmé que des armes et des explosifs ainsi qu'une liste de futures victimes portant le nom de Younès avaient été trouvés dans l'usine où la milice s'était retranchée.

Dans le but de renforcer sa mainmise sur Benghazi, le CNT a cherché à contrôler les diverses milices quasi-indépendantes opérant dans la ville. Samedi, à peine quelques heures avant les affrontements, le dirigeant du CNT, Mustafa Abdel Jalil, a averti différents groupes armés qu'ils devaient soit rejoindre le CNT soit être « anéantis. »

Les dirigeants du CNT pourraient bien s'être servis de la bataille pour inventer une « cinquième colonne » afin de détourner la colère régnant parmi les membres de la tribu Younès - l'un des plus importants groupes soutenant le CNT. Le quotidien New York Times a rapporté que des membres de la famille de Younès avaient prévenu que les meurtriers du général devaient être rapidement traduits en justice. « Une semaine s'est écoulée sans avoir reçu d'informations, » a dit l'un de ses fils au journal. « Ce que la loi ne nous accorde pas, nous le prendrons par les armes, » a-t-il dit.

Manifestement préoccupé par une lutte factionnelle interne, Washington est intervenu en appelant le CNT à agir d'une manière commune. Le porte-parole adjoint de la Maison Blanche, Mark Toner, a mis en garde lundi que le CNT se trouvait devant l'alternative « faire ou mourir » quant à une enquête crédible et minutieuse sur la mort du général Younès. « Il est important, compte tenu de la volatilité de la situation sur le terrain, » a-t-il dit que le CNT « envoie un message clair et transparent disant qu'il parle au nom de l'opposition libyenne et du peuple libyen. »

En fait, le meurtre souligne à quel point les factions dictent le caractère du CNT qui est formé par une alliance instable d'anciens responsables de Kadhafi, d'Islamistes et d'agents de la CIA. Loin de représenter les intérêts des Libyens ordinaires, le CNT est un mandataire de l'OTAN et de l'impérialisme américain qui cherchent à renverser Kadhafi pour installer un régime fantoche favorable à leurs intérêts stratégiques et économiques.

Plus de quatre mois après l'attaque de l'OTAN rien n'indique que le régime de Kadhafi est sur le point de se désintégrer ou d'être renversé militairement. Encouragé par la lutte intestine à Benghazi, le fils du colonel Kadhafi, Saïf al-Islam, a dit lundi à la télévision libyenne : « Personne ne doit penser qu'avec tous les sacrifices que nous avons faits et les martyrs de nos fils, frères et amis, nous cesserons de combattre. N'y pensez même pas. Indépendamment du fait que l'OTAN parte ou non, les combats se poursuivront jusqu'à ce que l'ensemble de la Libye soit libéré. »

Hier, l'armée libyenne a tiré un missile contre le navire de guerre italien Bersagliere qui assure le blocus de l'OTAN contre le pays. Alors que le missile a manqué son objectif, cette tentative prouve la faculté militaire continue dont dispose les forces pro Kadhafi.

L'OTAN a déjà annoncé qu'elle ne cesserait pas sa campagne de bombardement criminelle durant le Ramadan. Le fait qu'elle vise des civils et des installations non militaires avait été souligné samedi lorsque des avions de guerre de l'OTAN avaient frappé les émetteurs de la télévision libyenne, tuant trois personnes et en blessant 15 autres. Dans un communiqué publié hier, la secrétaire générale de la Fédération internationale des journalistes, Beth Costa, a dit : « Nous condamnons catégoriquement cette action qui a ciblé des journalistes et menacé leur vie en violation de la loi internationale. »

Des combats peu probants se poursuivent aux alentours de la ville côtière de Zlitan et dans les montagnes au Sud et au Sud-Ouest de Tripoli. Les combattants du CNT de la ville « rebelle » assiégée de Misrata affirment avoir pris le contrôle de Zlitan et repoussé une contre-offensive des forces pro Kadhafi. Le caractère extrêmement limité de ces supposés gains militaires souligne le fait que le CNT est tout aussi loin de renverser Kadhafi qu'il l'était y a des mois.

(Article original paru le 4 août 2011)

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