Le régime fantoche de l'OTAN en Libye se disloque

Le renvoi de l'ensemble du gouvernement d'opposition libyen basé à Benghazi cette semaine a mis en lumière le caractère antidémocratique et conflictuel du régime que les États-Unis et leurs alliés européens cherchent à imposer à la Libye. Le Conseil national de transition (CNT) auto-proclamé– confronté à une impasse militaire dans ses efforts pour chasser le dirigeant Mouammar Kadhafi par manque d'un soutien populaire – est traversé par de violents conflits internes.

Le Président du CNT, Abdul Moustafa Jalil, a ordonné le renvoi du comité exécutif du TNC lundi, après le meurtre toujours inexpliqué du chef militaire de cette organisation, le Général Abdel Fatah Younis, le 28 juillet. Seul Mahmoud Jibril, le Premier ministre du CNT, a été maintenu en place pour former le prochain gouvernement. Signe supplémentaire de la débâcle : Jalil a insisté sur le fait que les membres de diverses milices autonomes qui opèrent largement sous la bannière du CNT devaient s'intégrer dans ses forces armées à titre individuel et non plus par unités. 

Jalil a agi à la demande des membres de la famille de Younis et de la puissante tribu Obeidi, et sous la pression de la Coalition du 17 février, un groupe laïc de juges et juristes libyens qui critiquent l'influence grandissante des islamistes dans le CNT. Quand il a annoncé le renvoi du gouvernement, le porte-parole du CNT a déclaré que celui-ci était responsable de « procédures administratives incorrectes » qui avaient entraîné la mort de Younis. 

Aucune explication officielle n'a été donnée pour l'arrestation et le meurtre de Younis, qui ont provoqué d'amères récriminations. Il était le ministre de l'intérieur de Kadhafi avant de changer de camp, emportant avec lui les troupes des Forces spéciales qui étaient sous ses ordres. 

Les proches de Younis ont accusé une milice islamiste de l'avoir tué, pour venger la répression sauvage que le général avait lancée contre une révolte islamiste au milieu des années 1990 et pour bloquer ses efforts tendant à placer toutes les unités militaires du CNT sous ses ordres. Diverses organisations islamistes – y compris celles qui sont liées aux Frères musulmans et le Groupe de combat islamique libyen lié à Al Quaida – ont une grande importance dans les forces militaires du CNT, un assemblage faiblement organisé appelé l'Union des forces révolutionnaires.

Un article du Globe and Mail canadien la semaine dernière soulignait l'audace de plus en plus importante des forces islamistes menées par Mohammed Bushidra, qui se définit lui-même comme « un modéré. » Il entretient des relations avec les Frères musulmans, la Brigade des martyrs du 17 février du prêtre Ismail Al-Sallabi, et un certain nombre d'autres imams. Dans l'entretien qu'il a accordé au Globe and Mail, Busidra a expliqué qu'il avait rédigé une constitution islamique pour la Libye de l'après-Kadhafi et qu'il voulait que le Cheikh Al-Sallabi, le frère d'Ismail actuellement en résidence à Doha, soit président.

Ismail Al-Sallabi a imputé la mort de Younis à des agents de Kadhafi au lieu de la milice islamiste. Les tensions entre les factions du CNT s'aiguisant, ses unités ont arrêté des dizaines de « fidèles de Kadhafi, » parmi lesquels se trouvent probablement des opposants politiques. Jusqu'ici, aucune des milices ne s'est conformée à l'ordre du CNT de s'intégrer dans une force militaire unifiée. 

Un troisième facteur dans le meurtre de Younis tient à un militaire au passé douteux, Khalifa Hifter, ex-colonel de l'armée libyenne lié à la CIA depuis longtemps. Il s'est opposé à Younis pour obtenir le contrôle de l'armée du CNT. Qu'il soit impliqué directement ou non, la présence de Hifter dans le CNT confirme l'implication de diverses agences de renseignement occidentales dans les machinations sordides qui ont lieu à Benghazi. 

Deux semaines après la mort de Younis, le président du CNT, lui-même ex-ministre de la justice de Kadhafi, n'a proposé aucune explication de ce qui s'est passé. De plus, il a été contraint de renvoyer tout son "gouvernement" pour garder le contrôle de sa coalition fragmentée d'islamistes, d'ex-responsables de l'époque Kadhafi, de taupes de la CIA et autres aventuriers.

Ce qui émerge de tout cela, c'est une mise en accusation dévastatrice d'Obama et de son gouvernement ainsi que de leurs alliés européens et des organisations de pseudo-gauche et autres libéraux comme le professeur américain Juan Cole qui ont agi en tant de pom-pom girls de la campagne de bombardements de l'OTAN en Libye. Un régime du CNT imposé en Libye par l'OTAN serait au moins aussi corrompu et répressif que le régime dirigé par Kadhafi.

Pourtant, alors même que le caractère antidémocratique et mercenaire du CNT apparaît avec évidence, les États-Unis et les puissances européennes lui accordent leur reconnaissance diplomatique. Durant les intrigues fractionnelles qui ont suivi le meurtre de Younis, les États-Unis, la Grande-Bretagne et d'autres pays ont remis les ambassades libyennes aux opposants de Kadhafi. En même temps, ces mêmes puissances maintiennent leur contrôle étroit sur les avoirs financiers libyens à l'étranger – afin de garder le contrôle de leurs pantins désunis à Benghazi.

La décision des puissances de l'OTAN de soutenir un groupe tel le CNT montre que leur intervention en Libye n'a jamais eu pour but de protéger les civils ou d'établir la démocratie, mais seulement d'avancer leurs ambitions stratégiques et économiques. Cela inclut la domination des importantes réserves de pétrole et la création d'une tête de pont en Afrique du Nord d'où elles pourront surveiller et mettre au pas les mouvements révolutionnaires émergeant dans la région, surtout dans l'Égypte voisine. 

Durant des mois, les ministres de l'OTAN ont proclamé la chute imminente de Kadhafi. Après que les efforts militaires du CNT se sont enlisés, les spéculations se sont portées sur un possible soulèvement à Tripoli ou un coup d'état contre Kadhafi de la part de certains éléments de son régime. Alors que Kadhafi a maintenu son contrôle du pouvoir, le CNT se divise. De plus, l'assassinat de Younis inspirera difficilement la confiance aux autres fidèles de Kadhafi qui auraient été tentés de faire défection vers le CNT.

En réaction au renvoi du comité exécutif du CNT, le ministère des Affaires étrangères américain a publié une déclaration disant que cela était une occasion pour « la réflexion » et « le renouveau. » Ces remarques d'une grande platitude trahissent le soutien continu de Washington à Jibril et sa clique. En même temps, les États-Unis et les Européens sont sans doute en train d'explorer toutes les autres possibilités, y compris, comme l'indique le Globe and Mail, auprès de la fraction islamiste autour de Busidra.

Les intrigues et les luttes internes à Benghazi soulignent le caractère néo-colonial de l'intervention militaire de l'OTAN en Libye. Seule la construction d'un mouvement socialiste s'appuyant sur la classe ouvrière en Libye et dans toute la région – en opposition à Kadhafi comme à ses opposants bourgeois – peut offrir une voie progressiste pour sortir de l'impasse politique actuelle. 

(Article original paru le 13 août 2011):

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