Le rôle contre-révolutionnaire de la pseudo-gauche égyptienne

Cet automne, les grèves répétées des travailleurs en Egypte à l’encontre du Conseil suprême des forces armées (CSFA) de la junte militaire soulignent l’urgence de dresser un bilan politique de la révolution égyptienne. Neuf mois après la chute d’Hosni Moubarak, l’Egypte demeure une dictature dans laquelle les travailleurs sont confrontés à des salaires de misère et à la répression politique.

Crowd La foule sur la place Tahrir

La raison n’est pas que la classe ouvrière n’a pas suffisamment lutté. La vague de grèves qui a éclaté après la fête du Ramadan, début septembre, n’est que la dernière d’une série de luttes des travailleurs qui a fait suite à la grève révolutionnaire massive qui a renversé Moubarak en février. L’armée égyptienne n’a été en mesure de garder le pouvoir que parce que les partis se réclamant de gauche ont systématiquement œuvré pour défendre la junte sanguinaire et bloquer une lutte politique de la classe ouvrière pour son renversement.

Ces forces comprennent des partis qui remontent à la politique de l’ancien dirigeant militaire égyptien, le général Gamal Abdul Nasser, tels les partis Tagammu et Karama ; divers groupes staliniens, dont le Parti communiste d’Egypte (PCE) qui est largement intégré dans Tagammu ; les directions des mouvements de jeunes tels le Mouvement des Jeunes du 6 avril et les soi-disant groupes d’« extrême gauche » tels les Socialistes révolutionnaires (SR) et le Tagdid (Renouveau socialiste).

Les Socialistes révolutionnaires sont affiliés internationalement aux partis de l’International Socialist Tendency, qui inclut en Grande-Bretagne le Socialist Workers Party (SWP), et officieusement à l’International Socialist Organization (ISO) aux Etats-Unis.

Ces partis s’opposent à la mobilisation indépendante de la classe ouvrière contre la junte. Politiquement, ils défendent l’héritage du régime militaire en Egypte et le soutien nationaliste des staliniens en sa faveur et ce même après que la classe ouvrière s'est révoltée contre Moubarak et, par la suite, contre le CSFA. Sociologiquement, ces partis se composent de membres issus des sections favorisées de la classe moyenne, une couche sociale liée financièrement et politiquement à l’impérialisme occidental qui cherche à maintenir les travailleurs sous le contrôle de l’Etat et de la bureaucratie syndicale.

Ils collaborent avec des forces bourgeoises telles les Frères musulmans (FM) droitiers et l’Alliance nationale pour le Changement de l’ancien directeur de l’Agence internationale à l’énergie atomique, Mohammed ElBaradei, tout en travaillant en coulisse avec Washington.

De tels partis ne sont pas des forces qui luttent pour l’égalité, fondement historique d’une politique de gauche. Ils n’affirment pas non plus, comme les partis bourgeois de « gauche » typiques, que les conceptions de gauche sont compatibles avec l’impérialisme et le capitalisme. Leurs noms de parti les présentent comme des communistes, des socialistes ou des révolutionnaires mais ils sont déterminés à empêcher que la classe ouvrière prenne le pouvoir ou lutte pour le socialisme. Une telle politique fondée sur un mélange de verbiage et de mauvaise foi politique, en fait des forces non pas de gauche mais de pseudo-gauche.

Ce n'est qu’en prenant le pouvoir en Egypte, dans le cadre d’une lutte pour le socialisme dans tout le Moyen-Orient et internationalement, que la classe ouvrière peut vaincre l’aristocratie financière de l’Egypte et ses partisans de l’impérialisme occidental, peut mettre en place la démocratie et élever le niveau de vie des gens. C’est la seule base pour l'utilisation démocratique des ressources du pays, de la région et du monde dans l’intérêt des masses laborieuses.

La première étape dans une telle lutte est un combat politique pour démasquer le rôle contre-révolutionnaire de la pseudo-gauche pour construire en lieu et place un parti révolutionnaire de la classe ouvrière. Le fait d’armer les travailleurs, les intellectuels et les jeunes de ces partis d’une analyse trotskyste contribuera à jeter les fondements d'une nouvelle direction de la classe ouvrière.

La pseudo-gauche dans la révolution égyptienne

La position de l’ensemble de l’opposition officielle égyptienne à l’égard de la révolution égyptienne a été résumée dans une déclaration d'ElBaradei, publiée peu de temps après le renversement du président tunisien Zine El Abidine Ben Ali suite aux protestations de masse de janvier. En espérant que le « changement se produira de façon ordonnée et non pas selon le modèle tunisien, » a-t-il dit, « Les choses doivent être organisées et correctement planifiées. J’aimerais employer les moyens disponibles dans le cadre du système pour effectuer le changement. »

A peine une semaine plus tard, un affrontement révolutionnaire se produisait entre les travailleurs et le « système » égyptien – à savoir, les gros bras de la police de Moubarak et de l’armée.

Shoe"« D’abord la Tunisie et maintenant l’Egypte »"

La réponse massive aux protestations organisées le 25 janvier, et qui ont sidéré l’establishment politique et la police, a produit le 28 janvier des batailles de rue et la défaite de la police au Caire. Le lendemain, Moubarak ordonnait que l’armée encercle les manifestants dans le centre ville du Caire. Après avoir refusé de démissionner le 1er février, il envoya des nervis montés sur des chevaux et des chameaux se faufiler à travers les lignes de l'armée pour attaquer la place Tahrir. Les manifestants repoussèrent ces nervis.

Le régime de Moubarak – et les responsables américains, dont le secrétaire à la Défense, Robert Gates, et l’ancien ambassadeur et lobbyist d’entreprises, Frank Wisner, avec lesquels il avait eu des pourparlers alors qu’il tentait d’écraser les manifestations – n’osa pas envoyer l’armée contre les manifestants. Le risque de voir les soldats refuser de tirer et rejoindre la révolte était trop grand. Au lieu de cela, il prépara une réunion le 6 février avec les Frères musulmans, les partisans d’ElBaradeï et de Tagammu, en espérant pouvoir arranger une sorte d’accord politique pour stabiliser la situation et limiter l’impact des protestations.

L’ensemble de la pseudo-gauche, dont ses segments d’« extrême-gauche », fit campagne pour soutenir cette réunion. La veille de la réunion, les Socialistes révolutionnaires (SR) avaient publié un communiqué des Frères musulmans appelant à une « table ronde » avec le régime et exhortant les partis politiques à « inclure toutes les forces politiques et nationales dans cette table ronde. » Les SR publièrent un autre communiqué appelant à la « formation d’une direction représentée par les diverses forces nationales. »

Alors qu’ils faisaient la promotion de « forces nationales » tels les Frères musulmans, les SR lancèrent une offensive pour priver de direction politique les comités populaires que les travailleurs avaient formés spontanément pour défendre leurs quartiers contre les attaques des nervis de Moubarak. Ils proclamèrent qu’il existait une « alternative » à ces comités sous forme de « conseils suprêmes démocratiquement élus. »

Anger28 janvier – le vendredi de la colère

Cette jonglerie de mots dissimulait une tentative de prise de contrôle des comités populaires par les « forces nationales » des Frères musulmans et de la pseudo-gauche. Comme l’expliquaient les Socialistes révolutionnaires, un « conseil suprême comprend des gens auxquels on fait confiance, indépendamment de leur tendance politique, qui sont capables de bien défendre les intérêts de leur conseil. » Ils insistèrent en disant qu’il « valait mieux parler aux manifestants qui disposaient d’une direction » – c’est-à-dire de responsables expérimentés des Frères musulmans et des partis pseudo-gauches.

Une fois de plus, la classe ouvrière entrava les projets de l’« opposition ». Une massive vague de grève paralysant l’Egypte se développa quelques jours avant la démission de Moubarak. Des comptes rendus faisant état de grèves de masse des ouvriers du textile à Mahalla et à Kafr al-Dawwar, de travailleurs du canal de Suez et de sidérurgistes à Suez et à Port Saïd ainsi que de travailleurs du secteur pharmaceutique d’Quesna parvinrent aux médias internationaux. Durant les derniers jours précédant l’éviction de Moubarak, les grèves se propagèrent aussi aux secteurs financier et gouvernemental.

Le 11 février, Omar Suleiman – vice-président de l’Egypte, chef du service de renseignement et agent de liaison de la CIA – annonça que Moubarak « renonçait » à son poste et démissionnait.

L’armée égyptienne était parvenue à cette décision lors de discussions entre le chef d’état-major, Sami Annan, le chef d’état-major des armées des Etats-Unis, l’amiral Mike Mullen, le maréchal Mohammed Hussein Tantawi et le secrétaire à la Défense, Robert Gates.

Moubarak fut remplacé par la junte du CSFA, dirigée par Tantawi qui dissolvait le parlement le 13 février en annonçant la suspension de la constitution et en accordant des pouvoirs dictatoriaux à la junte. Le lendemain, alors qu’elle tentait à tout prix de reprendre le contrôle de la situation et de mettre fin aux grèves, la junte exigea que les grèves et les protestations cessent, menaçant d’invoquer la loi martiale.

Le principal mensonge politique sur lequel la junte fonda son règne fut l’affirmation qu'elle superviserait la transition vers un régime démocratique et civil, sous la pression exercée par Washington et l’« opposition » officielle égyptienne. Elle planifia un référendum pour le 19 mars sur la nouvelle constitution qu’elle élaborait.

Le principal allié de la junte dans la promotion d’illusions laissant croire qu'elle établirait un régime démocratique fut la pseudo-gauche. Elle maintint un dialogue continu avec les partis de droite tout en promouvant une perspective nationaliste selon laquelle la révolution égyptienne était une campagne pour réaliser des réformes démocratiques dans le cadre de l’armée et de l’Etat-nation égyptiens. Cette perspective nationaliste petite bourgeoise était hostile à toute stratégie fondée sur le caractère objectif des luttes révolutionnaires qui se déclenchaient dans tout le Moyen-Orient et qui, en substance, étaient des luttes de la classe ouvrière internationale contre l’impérialisme.

MilitaryL’attaque de la place Tahrir par l’armée le 12 avril

Bien que la classe ouvrière se trouvât dans une révolte ouverte contre la hiérarchie militaire qui dirigeait l’Egypte sous Moubarak, les SR glorifièrent le soi-disant passé de l’armée égyptienne comme étant une « armée du peuple. »

Dans un communiqué publié le 1er février ils écrivirent : « Tout le monde se demande : ‘Est-ce que l’armée est avec ou contre le peuple ?’ L’armée n’est pas qu’un seul bloc. Les intérêts des soldats et ceux des officiers subalternes sont les mêmes que les intérêts des masses. Mais, les officiers supérieurs sont des hommes de Moubarak, soigneusement choisis pour protéger son régime de corruption, de richesse et de tyrannie. Elle forme une partie intégrante du système. L’armée n’est plus une armée du peuple. Cette armée n’est pas celle qui avait vaincu l’ennemi sioniste en octobre 1973. »

Cette déclaration n’expliquait pas comment l’armée égyptienne était passée de soi-disant « armée du peuple » à la force motrice qui se cachait derrière la dictature de Moubarak et contre laquelle la classe ouvrière était en train de lutter. Ceci correspond à un appel lancé en faveur du nationalisme égyptien, un appel pour que l’armée, en quelque sorte, retourne à l’époque du général Gamal Abdul Nasser et de son successeur Anwar Sadat, qui était à la tête de l’Etat en 1973 durant la guerre du Yom Kippour contre Israël. La suggestion est que ceci serait réalisé en limogeant au sommet de la hiérarchie certains des « hommes de Moubarak » – c’est-à-dire des officiers que les SR n’osaient pas défendre publiquement.

Stock ExchangeL’armée en faction devant la bourse

L’opinion exprimée dans le communiqué des SR – que « les intérêts des soldats et ceux des officiers subalternes sont les mêmes que les intérêts des masses » est totalement fausse. Les soldats et les officiers subalternes sont issus de couches de la population, telles la classe moyenne et la population rurale, à laquelle la classe ouvrière peut lancer un appel révolutionnaire. Toutefois, les SR négligent les conditions les plus évidentes auxquelles les soldats ont à faire face : ils sont soumis à la discipline militaire des hauts gradés qui forment le pivot du capitalisme égyptien ainsi que des liens que l’Egypte entretient avec l’impérialisme américain.

La tâche fondamentale à laquelle est confronté le prolétariat révolutionnaire est de faire voler en éclats la discipline de l’armée et donc le contrôle qu’exercent les généraux sur les soldats. Le communiqué des Socialistes révolutionnaires adopte une ligne diamétralement opposée. Si la tâche fondamentale à remplir est de faire jouer à l’armée le rôle qu’elle avait sous Nasser ou Sadat, on ne peut parler pas de rompre sa discipline et de rallier les soldats égyptiens à la révolution de la classe ouvrière.

Les SR et les autres forces d’opposition non-islamistes appelèrent officiellement à voter non au projet de constitution de l’armée proposant des modifications ou une nouvelle constitution rédigée par l’opposition. Mais, l’opposition des SR à la constitution de l’armée était creuse car ils renforcèrent dans le même temps les liens avec les groupes islamistes soutenant la constitution de la junte.

Le 25 février, ils publièrent une déclaration, « Vers la fondation d’une Coalition des travailleurs de la Révolution du 25 janvier ». Ce document fut signé par des membres des SR, l’ECP, le Tagdid et les Frères musulmans. Il fut publié par le site Internet International Viewpoint, l’organe international du Secrétariat unifié pabliste de la Quatrième Internationale qui comprend des groupes tels le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France.

La proposition d’inviter les Frères musulmans – groupe droitier historiquement associé à des actions de briseur de grève et de terrorisme islamiste – à faire partie d’une coalition soi-disant associée à la classe ouvrière était profondément réactionnaire.

La pseudo-gauche ne ménagea aucun effort pour promouvoir des illusions sur la junte et l’ancien régime. Lorsque les protestations contraignirent le 3 mars le premier ministre Ahmed Shafiq à démissionner et à être remplacé par Essam Sharaf – ancien ministre des Transports sous Moubarak qui avait brièvement participé aux protestations sur la place Tahrir – les SR saluèrent Sharaf avec enthousiasme. Soulignant qu’il « avait participé aux protestations de libération, » les SR ajoutèrent, « Pour calmer la colère des protestataires, le nouveau premier ministre a immédiatement remplacé la plupart des ministres de l’ancien gouvernement qui étaient impopulaires. »

Ce faisant, le référendum sur la constitution fut approuvé le 19 mars par 77 pour cent des voix, avec un faible taux de participation. La stabilisation de la junte égyptienne, avec l’assistance de la pseudo-gauche, contribua à donner à la contre-révolution le temps de se ressaisir et de lancer des offensives partout dans le Moyen-Orient.

Le même jour, les forces américaines, britanniques et françaises commençaient le bombardement de la Libye.

Quelques jours plus tôt débutait, avec l’aide saoudienne et le soutien tacite des Etats-Unis, une répression sanglante contre les protestataires au Bahreïn. Le 23 mars, la junte du CSFA publia une interdiction de faire grève et de protester. Ceci n’empêcha pas les manifestations, mais des milliers de travailleurs et de jeunes égyptiens sont depuis emprisonnés et torturés ou bien traduits devant des tribunaux militaires d’exception en raison de leur opposition à la junte.

ArmyL’armée égyptienne entre au Caire

Le référendum ne mit pas fin aux protestations contre la junte CSFA qui se poursuivirent le 1er et le 8 avril. Toutefois, la junte réagit plus férocement en écrasant le sit-in sur la place Tahrir après que 20 jeunes officiers de l’armée eurent, semble-t-il, rejoint les manifestants et revendiqué le renversement du CSFA.

Durant les mois qui s’ensuivirent, le mécontentement au sein de la population égyptienne grandissait au sujet de l'absence de poursuites en justice efficaces des fonctionnaires responsables du meurtre de manifestants durant la révolution, du maintien des tribunaux militaires et des conditions de vie déplorables. Ces revendications se cristallisèrent autour d’appels à une « Deuxième Révolution » et un appel à une manifestation le 27 mai pour une « Deuxième Révolution ».

Les SR s’opposèrent à cette revendication qui allait à l’encontre de leur présentation de la junte comme étant une « force pro-démocratie ». Le 31 mai Mostafa Omar, membre des SR, publiait dans l’organe américain de l’ISO, Socialist Worker, un article intitulé « La nouvelle forme de la lutte en Egypte ». Il écrivit : « Malgré ses mesures répressives, le Conseil suprême entend que le soulèvement du 25 janvier a d’une certaine manière changé l’Egypte une bonne fois pour toutes… Le Conseil vise à réformer le système politique et économique pour lui permettre de devenir plus démocratique et moins répressif. »

Comme pour prouver qu’il n’avait tiré aucune leçon des récentes protestations et du carnage, al-Hamalawy, lors d’une interview accordée le 22 juin à Reuters, répéta ses commentaires faits pour la junte en février. Il dit, « Je suis d’avis qu’ils (les généraux du CSFA) sont sincères quant à la remise du pouvoir à un gouvernement civil. Mais cela ne signifie pas qu’ils abandonneront… leur rôle sur la scène politique égyptienne. »

Ce commentaire est cynique et absurde. Les gradés de l’armée ont été l’épine dorsale de la politique et des entreprises au sein du régime Moubarak. D’un point de vue juridique, ils exercent à présent un pouvoir dictatorial sous le régime du CSFAF. Si un gouvernement civil était mis en place et que l’armée ne renonçait pas à son « rôle sur la scène politique égyptienne», il ne s’agirait pas d’un régime civil mais d’une façade pour la continuation de la dictature militaire.

Ce faisant, la lutte des classes n’a pas plus tenu compte des fantaisies d’al-Hamalawy concernant les penchants démocratiques de la junte que des vœux pieux d’ElBaradeï en vue d’un « changement ordonné ». La manifestation de masse du 27 juin fut attaquée par la junte, provoquant une bataille de grande ampleur faisant des dizaines de morts et blessant plus d’un millier de manifestants. Les grèves et les protestations s’amplifièrent, avec des manifestations rassemblant le 8 juillet des millions de travailleurs partout en Egypte et des sit-in de protestation dans de nombreuses places publiques, notamment un sit-in des familles des martyrs de la révolution sur la place Tahrir au Caire.

Cette éruption de la lutte des classes a précipité les groupes pseudo-gauches encore plus ouvertement dans les bras de la contre-révolution. Le 27 juillet, ils rejoignirent un « Front populaire uni » regroupant presque toutes les forces du spectre politique égyptien – la « gauche », les libéraux et les Islamiste. Il incluait les SR, la Coalition des jeunes de la révolution et (« de façon incroyable » pour reprendre les termes du journal d’Etat Al Ahram) le parti fasciste islamiste, Gamaa Islamiya. Les partis du « Front populaire uni » se mirent d'accord de ne pas débattre des « questions controversées. »

Le 29 juillet, le Front populaire uni appela à une manifestation sur la Place Tahrir. Gamaa Islamiya, après avoir rassemblé ses partisans de tous les coins d’Egypte, domina le rassemblement, scandant des slogans promouvant ouvertement la junte : « Tantawi, nous entends-tu, nous sommes les voix de tes enfants à Tahrir ! »

Feignant la surprise et la colère de voir les fascistes soutenir la junte, les partis pseudo-gauches annoncèrent le 31 juillet qu’ils suspendraient leur participation au sit-in. Ils ne dirent pas pourquoi ils avaient espéré que le Gamaa Islamiya tiendrait parole et ne soulèverait pas « des questions controversées, » ni pourquoi ils avaient pensé qu’il ferait tout autre chose que ce qu’il avait fait. Ils n’ont pas non plus désavoué leur alliance avec un parti fasciste.

Le 1er août, l’armée attaquait et matraquait les familles des martyrs – les dernières forces à être restées sur la place Tahrir – mettant ainsi fin au sit-in. Cette défaite, en même temps que le début des congés du Ramadan, stoppèrent temporairement la lutte politique jusqu’à ce qu'éclatent, au début de l’année scolaire, les luttes actuelles.

La trahison de la pseudo-gauche et de sa perspective petite bourgeoise

Le bilan de la pseudo-gauche en Egypte est un bilan de trahison flagrante. Tout en se présentant comme étant de gauche ou même socialiste, elle chercha à fournir une crédibilité de gauche à la junte soutenue par les Etats-Unis, en s’alliant à des forces de droite et fascistes. Elle s'est opposée à une lutte politique pour discréditer le CSFA et pour armer la classe ouvrière d’un programme révolutionnaire et internationaliste –s’alliant au contraire à des forces ouvertement pro-armée contre la menace d’un renversement de la junte par la classe ouvrière.

Cette politique droitière reflète la perspective des couches aisées de la classe moyenne qui considèrent un soulèvement des travailleurs avec une crainte à peine déguisée. Ceci ressort le plus clairement des articles d’Anne Alexander, qui écrit sur le Moyen-Orient pour le SWP de Grande-Bretagne qui est affilié aux SR. Dans son article « L’âme sociale grandissante de la Révolution démocratique en Egypte, » elle pose la question de comment « protéger et propager les gains en matière de démocratie politique obtenus au cours du soulèvement. » Elle recommande précisément les méthodes que la pseudo-gauche a effectivement employées en Egypte – des alliances avec des partis de droite et la bureaucratie syndicale.

Alexander considère que la tâche de la classe ouvrière est de maintenir une pression politique sur la junte afin de projeter une façade démocratique. Elle écrit : « Il ne convient pas d’explorer ici la question de savoir jusqu'où la direction militaire et ses alliés civils iront pour consolider une façade de démocratie bourgeoise et dans quelle mesure ceci sera un espace démocratique élargi par rapport à la situation pré-révolutionnaire. Assurément, si les principaux architectes de ce nouvel ordre politique sont les généraux… il est vraisemblable que les limites de ce système ‘démocratique’ stabilisé seront très précisément déterminées par le degré de volonté et d'organisation des masses pour lutter à le maintenir ouvert. »

Ceci soulève davantage de questions que cela n'apporte de réponses. Pourquoi les travailleurs devraient-ils se satisfaire d’une « façade de démocratie bourgeoise ? » Si les travailleurs étaient vraiment «la volonté et l'organisation pour lutter » – ce qui n'est pas à la perspective d’Alexander – pourquoi le SWP ne souhaite-t-il pas qu’ils renversent la junte pour établir un Etat ouvrier et mettre en oeuvre une politique socialiste?

De telles propositions ne viendraient pas l’esprit d’Alexander ou de ses condisciples. Ces derniers se concentrent sur la perspective d’un « espace démocratique élargi, » cadeau de la junte. Quelle que soit la signification de cette formulation vague, elle ne représente pas la satisfaction des revendications pour lesquelles les travailleurs sont entrés dans la révolution. Bien que les travailleurs aient fourni un exemple héroïque de lutte, ils sont encore très clairement sous-payés et exploités ; ils courent encore le risque d’être matraqués et de comparaître devant des tribunaux militaires s’ils protestent contre la politique réactionnaire de la junte.

Un « espace démocratique élargi » sous la dictature du CSFA ou de quelque autre régime bourgeois répressif en Egypte n’est nullement une avancée pour la classe ouvrière en Egypte ou internationalement. Toutefois, cela représente des avantages clairs pour les couches plus aisées pour lesquelles les partis pseudo-gauches s’expriment. La direction des SR est invitée aux réunions des partis de droite, elle fait des déclarations à la presse égyptienne et internationale, et elle a accès à la publicité et à des revenus sans précédent.

DemonstrationLa manifestation de masse se dirige vers la place Tahrir

M. Al-Hamalawy publie régulièrement ses articles dans le Guardian et apparaît à la BBC. Une interview sur la chaîne américaine Comedy Central – par un heureux hasard – a fait de la peu réfléchie Gigi Ibrahim des SR le « visage de la révolution », et elle rejoint à présent Hamalawy dans les émissions d’actualité traitant de l’Egypte. Leur rôle leur concède des récompenses tant qu’ils ne font rien qui exaspère les patrons de la BBC au sein du gouvernement britannique ou de Viacom, propriétaire de Central Comedy aux Etats-Unis.

L’« espace démocratique élargi » est en fait l’ouverture que la classe dirigeante offre en temps de crise politique aux éléments de la classe moyenne pseudo-gauche – lorsque les services de ces derniers sont indispensables pour étouffer la lutte du prolétariat. C’est ce qu’Alexander tient à protéger.

Elle insiste pour que les travailleurs soient contrôlés au moyen d’alliances avec la bureaucratie de l’Etat et les forces de droite et qu’ils soient vaccinés contre une critique marxiste à l’encontre de telles alliances.

Elle fait l’éloge des syndicats égyptiens qui ont servi le régime Moubarak au sein duquel leurs bureaucrates y occupaient des postes. La capacité des syndicats à lutter, écrit-elle, « ne dépend pas… de la nature de leur direction ou de leurs arrangements organisationnels internes mais de leur lien avec les luttes des travailleurs et de l’équilibre général des forces de la révolution. Même sans être démocratique, la bureaucratie syndicale peut être un tremplin pour les luttes en faveur des revendications les plus limitées et qui sont en mesure de rapidement déborder les limites du corporatisme. »

Cette déclaration falsifie les événements qui se sont déroulés pendant la révolution. En janvier, l’écrasante majorité des syndicats industriels égyptiens étaient contrôlée par la centrale syndicale jaune ETUF. Le prolétariat a lutté non pas avec mais contre l’ETUF. En effet, durant les premières protestations, le président de l’ETUF, Hussein Mogawer, avait exigé que les responsables syndicaux « empêchent les travailleurs de participer à toutes les manifestations du moment, » et qu’ils l’informent 24 sur 24 des tentatives des travailleurs de rejoindre les protestations. »

L’essentiel de l’argument réactionnaire d’Alexander est que des organisations même « non démocratiques et bureaucratiques » sont acceptables pour la classe ouvrière. Ceci signifie, comme elle l’explique, que les SR et des partis identiques n’ont pas besoin de se limiter à des « organisations qui sont dans une certaine mesure des initiatives de la gauche. » Elle poursuit en disant, « Au contraire, [cela] signifie avant tout être là où sont les masses. »

La conclusion incontournable est que les SR peuvent et doivent travailler avec (ou même au sein de) groupes droitiers, tels les Frères musulmans ou Gamaa Islamiya. Alexander insiste même pour dire que de telles alliances doivent être protégées de toute critique marxiste à l’encontre de leur caractère droitier. Elle demande que les SR « empêchent que le virus du sectarisme n’infecte le mouvement ouvrier et ne mine l’unité requise pour, par exemple, vaincre les patrons. »

Il s’agit là d’un appel à peine voilé à la censure et aux proscriptions. La critique politique n’implique pas une rupture de l’unité des luttes et grèves des travailleurs ou des manifestations de rue. Elle offre une perspective pour vaincre Tantawi, renverser la junte et lutter pour le socialisme en Egypte et internationalement. Ceci requiert une offensive politique pour discréditer les alliances droitières des partis pseudo-gauches – et c'est ce que l’attaque préventive d’Alexander contre le soi-disant « sectarisme » cherche à empêcher.

La pseudo-gauche égyptienne rejette à l’unanimité la perspective de la construction d’un parti luttant pour le socialisme et le marxisme au sein de la classe ouvrière. Les SR ont créé le Parti démocratique des Travailleurs (PDT) au moyen duquel ils espèrent recruter des membres sur une base pro-capitaliste. Le dirigeant des SR, Kamal Khalil, a insisté pour dire que le PDT n’est pas un parti socialiste parce que les travailleurs ne sont pas « prêts à soutenir le socialisme. »

Quant à Tagdid, le groupe insiste pareillement en disant que « la majorité des travailleurs radicalisés et des militants de gauche n’aimeraient pas faire partie d’un groupuscule socialiste léniniste révolutionnaire. »

Lorsque des militants pseudo-gauches tels les dirigeants de Tagdid affirment qu’ils ne veulent pas participer à un parti marxiste, ils disent la vérité. Leurs affirmations que les travailleurs ne veulent pas adhérer à un mouvement socialiste parce ce que celui-ci serait une petite organisation et pas un parti de masse est, par contre, une tentative de tromperie pour conduire à une démoralisation politique.

En renversant Moubarak, la classe ouvrière a montré sa volonté de prendre des mesures révolutionnaires et a prouvé combien les pessimistes invétérés de « l’extrême-gauche » sous-estiment sa volonté d’engager une lutte politique. De toute façon, la logique objective des événements pousse la classe ouvrière vers le socialisme. Elle fournit à la classe ouvrière l’unique base pour transformer son opposition à la pauvreté et à la dictature en une lutte consciente visant à vaincre la poussée du capitalisme vers l'austérité sociale et la guerre.

Quant aux affirmations qu’un parti révolutionnaire serait non viable parce qu’il serait petit au départ, c’est tout simplement un argument pour ne rien faire ou un argument en faveur d'un opportunisme débridé. Aucun parti égyptien, y compris les partis pseudo-gauches, ne jouit actuellement d’un grand nombre d’adhérents, issus notamment de la classe ouvrière. Un parti de masse reste encore à construire, et les déclarations de Tagdid et des SR ne font qu’indiquer leur hostilité à la construction d’un parti de masse des travailleurs sur une base socialiste.

Les commentaires d’Alexander font voler en éclats les affirmations de la pseudo-gauche prétendant lutter pour la démocratie. Pour les SR et le PDT, des organisations « non démocratiques et bureaucratiques » sont acceptables pour les travailleurs. Ces organisations croient manifestement qu’une dictature militaire peut tout à fait convenir à l’Egypte. Le seul objectif que celles-ci défendent est l'« espace démocratique élargi » lucratif que le régime de la junte propose aux classes moyennes supérieures.

L’impérialisme occidental et l’« opposition » issue de la classe moyenne égyptienne

La célébrité toute neuve des journalistes des SR n’est que la partie émergée de l’iceberg pour ce qui est des opportunités offertes à la classe moyenne aisée égyptienne par l’« espace démocratique élargi ». Alors que la pseudo-gauche assume un rôle plus important pour étouffer politiquement la classe ouvrière, les puissances occidentales, soucieuses de stopper la révolution au Moyen-Orient, ont injecté des fonds dans cette couche sociale. Ces forces se sont à leur tour précipitées pour aller à la soupe du financement occidental, notamment américain.

Cette alliance est construite sur des intérêts de classe partagés entre l’impérialisme occidental et l’« opposition » issue de la classe moyenne égyptienne. Tous deux cherchent à réprimer et à démobiliser politiquement la classe ouvrière en propageant l’illusion que la junte créera la démocratie. L’impérialisme a généreusement récompensé – ou, pour parler plus franchement, corrompu – ces couches de la classe moyenne.

Ainsi, en avril, l’ambassadrice américaine nouvellement nommée au Caire, Ann Patterson, avait annoncé que Washington allouait 105 millions de dollars à « diverses organisations non gouvernementales [ONG] pour les aider à participer à la vie politique du pays. » Le Jerusalem Post a cité des articles selon lesquels les autorités américaines avaient déjà reçu un millier de demandes de financement de la part d’organisations égyptiennes.

Un tel financement existe déjà depuis un certain temps pour les ONG pro-Etats-Unis. Al-Ahram a cité le professeur Gamal Zahran de l’Université du Canal de Suez, qui a dit que durant le deuxième mandat du gouvernement Bush (2005-2009), Washington avait détourné son financement civil de l’Egypte des projets d’infrastructure pour l'orienter vers un « renforcement d’organisations de la société civile travaillant dans le domaine de la surveillance des élections et du contrôle de la situation de droits de l’homme. »

Ce n'est à présent un secret pour personne que l’armée égyptienne – qui bénéficie d’un financement annuel de 1,3 milliards de dollars des Etats-Unis – a cyniquement essayé de justifier les répressions en mentionnant le financement américain des ONG pour affirmer que la révolution égyptienne était un complot de l'étranger.

Ceci est bien entendu absurde. La principale force de la révolution a été la lutte de millions de travailleurs et de jeunes, et non pas les quelques milliers de membres des partis pseudo-gauches. Toutefois, les liens existant entre l’impérialisme occidental et les groupes de la classe moyenne égyptienne étaient trop évidents pour être niés et, le 12 août, Jim Bever, le chef en Egypte de l’Agence des Etats-Unis pour le développement international (USAID), fut obligé de démissionner.

Il est clair qu’il existe des liens significatifs – financiers, mais aussi opérationnels – entre les puissances occidentales et des éléments de la pseudo-gauche égyptienne. Et donc, selon le New York Times, quelques membres du Mouvement du 6 avril furent formés par l’organisation serbe Otpor. Groupe ayant aidé en 2000 à diriger le coup d’Etat, soutenu par l’OTAN, contre le président serbe Slobodan Milosevic. Otpor a formé des organisateurs des « révolutions de couleurs » en Europe de l’Est – des putchs politiques qui mirent en place des régimes pro-occidentaux, notamment en Géorgie (2003) et en Ukraine (2004).

Une dépêche secrète américaine de décembre 2008 et publiée par WikiLeaks a confirmé que des liens directs existaient entre des dirigeants du Mouvement du 6 Avril et des responsables américains. La dépêche a révélé que des diplomates américains au Caire avaient reçu des informations d’un membre apparemment bien ancré dans le Mouvement du 6 avril et qui avait fourni des rapports détaillés sur l’« opposition » égyptienne. Cet individu dont le nom a été modifié rentrait de Washington où s’était tenu un sommet de l’« Alliance des mouvements de jeunes », au cours duquel il avait eu des entretiens avec plusieurs membres du Congrès.

Selon la dépêche, « [Nom modifié] a affirmé que plusieurs forces d’opposition – dont le Wafd, des nasséristes, et les partis Karama et Tagammu, ainsi que les Frères musulmans, Kifaya et les Socialistes révolutionnaires – ont accepté de soutenir un projet non écrit pour une transition, avant les élections présidentielles prévues en 2011, vers une démocratie parlementaire, impliquant une présidence affaiblie et une responsabilisation du premier ministre et du parlement. Selon [Nom modifié], l’opposition est intéressée par un soutien de l’armée et de la police en vue d’un gouvernement transitoire avant les élections de 2011. [Nom modifié] a affirmé que ce projet est tellement sensible qu’il ne peut être formulé par écrit. »

Si c’est exact, il semblerait que la pseudo-gauche était en train de concevoir une alliance avec des sections de l’armée égyptienne qui, tout comme de nombreux diplomates américains à l’époque, désapprouvaient les projets de Moubarak de désigner son fils comme son successeur à la tête de l’Etat. Les SR, Tagammu et les autres partis mentionnés dans la dépêche de WikiLeaks n’ont pas fait de commentaires sur ces révélations.

Une autre initiative pseudo-gauche – des projets de mettre en place des soi-disant « syndicats indépendants » non liés à l’ETUF – est également soutenue par l’impérialisme occidental. Le 23 février, lors d’une conférence de presse, la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a publiquement confirmé ceci : « Comme beaucoup le savent, les Etats-Unis ont soutenu la société civile en Egypte. Nous avons accordé des subventions, ce que le gouvernement n’a pas apprécié, pour soutenir le recrutement syndical, pour épauler l'organisation au nom de l’opposition politique contre le régime. Cela remonte à de nombreuses années. »

En mai dernier, des responsables du syndicat SUD (Solidaires unitaires démocratiques) qui est influencé par le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) se sont rendus en Egypte. Ils ont fait la promotion des syndicats « indépendants » et rencontré des groupes en Egypte qui s’efforcent de les construire.

SUD a expliqué que le Centre de services pour les syndicats et les ouvriers (CTUWS) – la principale ONG qui essaie de construire des syndicats « indépendant » en Egypte – reçoit son financement d’Oxfam, de l’alliance syndicale Euro-Maghreb (comprenant SUD, la CGT espagnole et les syndicats algériens SNAPAP), de la Confédération européenne des Syndicats (CES) et de la Confédération syndicale américaine AFL-CIO.

Ils ont découvert que les travailleurs égyptiens ne font guère preuve d’enthousiasme pour des projets de création de nouveaux syndicats. Le rapport de SUD a cité une inspectrice du travail et membre de Tagdid, Fatma Ramadan, qui tente de les construire : « Nous n’avons pas d’héritage sur lequel nous pouvons nous baser, ou ce qui est pire encore, ce dont nous disposons est un mauvais héritage qui fait douter les travailleurs de l’intérêt d’avoir des syndicats. Ils ont du mal à voir en quoi les nouveaux syndicats pourraient différer des anciens. »

Les travailleurs égyptiens comprennent la réalité sociale bien mieux que les bureaucrates pseudo-gauches de SUD qui colportent aux travailleurs les projets de Washington.

Tant que la classe ouvrière est gouvernée par la junte – et contrôlé sur les lieux de travail par les syndicats jaunes de la junte ou par des syndicats « indépendants » financés par les partisans de la junte à Washington – les « nouvelles » conditions des travailleurs ne différeront pas des anciennes. La tâche primordiale à laquelle sont confrontés les travailleurs n’est pas la création de nouveaux syndicats pour négocier avec la junte mais le renversement de la junte et la prise du pouvoir. Ce n’est qu’en plaçant les ressources de l’économie égyptienne et mondiale sous le contrôle des travailleurs qu’il sera possible d’obtenir les ressources pour mettre fin à la misère sociale supervisée par Moubarak et Washington.

Comment la pseudo-gauche attaque le marxisme pour s’opposer à la révolution

Un facteur majeur de la capacité de la pseudo-gauche à se présenter comme une tendance de gauche est son recours à la rhétorique socialiste. Elle ne le fait toutefois que pour mieux répudier les principes historiques et le contenu révolutionnaire du marxisme. C’est précisément parce que le marxisme est le guide du prolétariat pour l'action dans la lutte révolutionnaire, un guide historiquement élaboré, que la pseudo-gauche est contrainte de le falsifier, de le contredire et de l’attaquer à chaque occasion.

Les tentatives de la pseudo-gauche de cacher son soutien pour la junte au moyen de phrases tirées du lexique du marxisme témoignent simplement de son ignorance et de sa mauvaise foi. Ainsi, Fatma Ramadan du Tagdid, en s’adressant aux bureaucrates de SUD, a cité Fath Allah Mahrous du Parti socialiste égyptien : « Il aime à dire que nous sommes dans une situation de double pouvoir, avec d’un côté la rue et de l’autre l’armée. »

En fait, la dualité de pouvoir – selon le terme utilisé par les marxistes – n’existe pas en Egypte. La responsabilité en incombe, au premier chef, au Tagdid, aux SR et à des groupes identiques. Ils sont intervenus pour démanteler les comités populaires et pour empêcher le développement d’organes populaires de pouvoir capables d’être la base d’un nouveau pouvoir d’Etat luttant pour le renversement de la junte égyptienne.

La tentative de Tagdid pour occulter ce fait en qualifiant les manifestations de rue de « double pouvoir » est une dérobade cynique. Dans Histoire de la Révolution russe, Léon Trotsky fait remarquer que l’inévitable conflit entre les vœux des masses opprimées et la politique de l’Etat capitaliste ne constitue pas un double pouvoir. Il explique que : « Des classes antagonistes existent toujours dans la société et la classe dépourvue de pouvoir s’efforce inévitablement de faire pencher à tel ou tel degré le cours de l’Etat de son côté. Cela ne signifie pourtant pas du tout que, dans la société, règne une dualité ou une pluralité de pouvoirs. »

Trotsky explique comme suit la dualité de pouvoir: « La préparation historique d’une insurrection conduit, en période pré-révolutionnaire, à ceci que la classe destinée à réaliser le nouveau système social, sans être encore devenue maîtresse du pays, concentre effectivement dans ses mains une part importante du pouvoir de l’Etat, tandis que l’appareil officiel reste encore dans les mains des anciens possesseurs. C’est là le point de départ de la dualité de pouvoirs dans toute révolution. »

Il faut se poser la question suivante: Est-ce qu’en Egypte les travailleurs « concentre[nt] dans [leurs] mains une part importante du pouvoir de l’Etat, » ou peut-on même parler d'une quelconque part du pouvoir ? Ont-ils créé des institutions tels les soviets (conseils) du prolétariat révolutionnaire russe en 1917, qui formèrent un centre de pouvoir concurrent vis-à-vis du gouvernement provisoire bourgeois pour finalement le renverser sous la direction du Parti bolchevique ? Malheureusement la réponse est non.

Des comités populaires de quartier, formés spontanément durant la lutte contre Moubarak et ses nervis, avaient le potentiel de se développer en de telles institutions. Toutefois, comme nous l’avons vu, les groupes pseudo-gauches ont lutté pour briser ces comités en insistant pour qu’ils cèdent la place à des conseils composés de membres des Frères musulmans et à leurs propres cadres.

La dualité de pouvoir n’existe pas en Egypte – non pas parce que les travailleurs n’étaient pas prêts à cela mais parce que les organisations politiques égyptienne (et avant tout, les partis pseudo-gauches) ont lutté contre. Au lieu de cela, ils ont insisté pour que les travailleurs se limitent à l’« espace démocratique élargi » soi-disant fourni par la dictature militaire égyptienne.

La révolution égyptienne, tout comme toutes les autres, pose la question de l’armée avec une netteté extraordinaire. Les généraux gouvernent l’Etat, possèdent une grande part de l’économie, complotent avec Washington et exercent le contrôle sur une vaste armée d’appelés qui, en fin de compte, est en Egypte l’unique force suffisamment importante pour noyer dans le sang un soulèvement populaire. En Egypte, la tâche de toute lutte sérieuse pour la démocratie serait de rallier les soldats à la lutte pour la révolution socialiste et de briser l’autorité du corps des officiers.

La raison fondamentale expliquant le fait que la pseudo-gauche s'est opposée à une telle perspective est claire si l'on considère les commentaires faits par al-Hamalawy et les autres membres des SR : ils considèrent la junte et son corps des officiers comme la clé de voûte de la transition démocratique. De ce point de vue, une lutte pour détruire l’autorité des officiers sur les soldats est dangereuse. Elle risque d’aliéner les tyrans militaires sur lesquels la pseudo-gauche compte pour diriger la soi-disant transition démocratique !

Les écrits des grands marxistes sont clairs comme de l’eau de roche en ce qui concerne l’attitude du prolétariat révolutionnaire à l’égard de l’armée et de l’Etat. Dans L’Etat et la Révolution, Lénine cite avec approbation « l’idée de Marx est que la classe ouvrière doit briser, démolir la ‘machine de l’Etat toute prête’ et ne pas se borner à en prendre possession. »

Quant à l’armée, Friedrich Engels écrivait le 26 septembre 1851 dans une lettre adressée à Karl Marx : « Il est évident que la désorganisation des armées et le relâchement absolu de la discipline furent aussi bien la condition que le résultat de toute révolution qui ait triomphé jusqu’ici. »

Le soutien de la pseudo-gauche envers la junte et le corps des officiers égyptiens reflète non seulement ses liens avec la classe dirigeante égyptienne et l’impérialisme mondial, mais sa profonde hostilité à l'égard de l’accent mis par le marxisme sur le rôle révolutionnaire de la classe ouvrière. Comme Anne Alexander le montre clairement dans son article de 2006, « Suez et la marée haute du nationalisme arabe, » le SWP et la pseudo-gauche pensent que l’insistance du marxisme sur le rôle dirigeant de la classe ouvrière dans la révolution est incorrecte.

Elle cite, en se concentrant sur la crise de Suez de 1956, le rôle de Nasser, arrivé au pouvoir en 1952 après un coup d’Etat mené contre le roi Farouk, mettant fin au règne de la Grande-Bretagne. A l’époque, Nasser avait nationalisé le Canal de Suez et l’Egypte avait combattu une tentative de la Grande-Bretagne, de la France et d’Israël de reconquérir de force le Canal. Nasser avait recouru au Parti communiste égyptien stalinien pour organiser la résistance populaire dans le Port de Suez et au-delà, convaincu que les staliniens n’organiseraient aucune opposition révolutionnaire contre son régime. L’opposition populaire, ainsi que la menace d’une intervention soviétique et la décision des Etats-Unis de retirer leur soutien à la livre britannique en signe de désaveu, stoppèrent l’invasion franco-britannique.

Pour Alexander, le fait que Nasser ait gardé le pouvoir invalide la perspective de la révolution socialiste dans les pays coloniaux, formulée par Léon Trotsky qui insistait sur le rôle dirigeant de la classe ouvrière.

Trotsky, écrit-elle, « était d’accord avec Lénine pour dire que la classe ouvrière était l’unique classe capable de mener au succès la révolution démocratique mais soutenait qu’une fois au pouvoir, la classe ouvrière ne pouvait pas simplement se limiter à la construction d’un Etat bourgeois démocratique. Au lieu ce cela, il a dit, ‘la révolution démocratique se transforme immédiatement en une révolution socialiste et, par là, devient une révolution permanente.’… Les prévisions de Trotsky ne se sont pas confirmées dans la vague de révolutions nationales qui ont suivi la Seconde Guerre mondiale. Dans un pays après l’autre, les anciens régimes pro-coloniaux furent renversés mais pas par la classe ouvrière ou la paysannerie. Au contraire, des sections de l’intelligentsia ou des factions de l’armée prirent le contrôle de l’Etat. »

Ce commentaire est la parfaite illustration de la perspective nationaliste, propre à la classe moyenne, du SWP et de ses condisciples internationaux. Ils considèrent les officiers et les intellectuels comme étant les forces motrices de l’histoire. Selon le SWP, le fait que Nasser soit arrivé au pouvoir en Egypte en 1952 est la preuve qu’une perspective socialiste est une erreur et une légitimation de leur propre orientation vers la junte du CSFA, l’Etat national égyptien et, derrière eux, vers l’impérialisme occidental.

Alexander n’explique pas pourquoi, si la révolution démocratique avait bel et bien été réalisée par Nasser, comme elle l’affirme, la classe ouvrière se trouve à présent à l’avant-garde d’une lutte révolutionnaire contre une dictature corrompue dirigée par les héritiers politiques de Nasser. En fait, la répression de la classe ouvrière en Egypte dans les années 1950 a signifié l’échec de toute lutte pour la démocratie. Toutefois, Alexander ne soulève pas ces questions parce que sa perspective petite-bourgeoise la mène à une critique de Trotsky dénuée de tout principe et à une adaptation politique au nassérisme et au stalinisme.

Sur le plan de la politique étrangère, Nasser s’était appuyé au départ sur l’hostilité de Washington aux tentatives de l’impérialisme britannique de maintenir sa domination sur l’Egypte, puis sur une alliance avec la bureaucratie soviétique pour limiter la menace d’une intervention impérialiste. Sur le plan de la politique intérieure, il avait compté sur le rôle réactionnaire du Parti communiste égyptien qui, conformément à la politique du Kremlin, était contre une révolution socialiste dans le monde arabe. Cet appui politique était encouragé par les concessions sociales offertes aux travailleurs par le régime post-colonial.

Dans le même temps, le régime de Nasser écrasait brutalement les luttes indépendantes des travailleurs. Il fit exécuter deux travailleurs, Mustafa Kahmis et Muhammad al-Baqri, pour leur rôle joué dans la grève célèbre de 1952 à l’usine textile Misr. Malgré cela, le Parti communiste égyptien soutint Nasser. Le Parti communiste égyptien essayait de limiter l’opposition de la classe ouvrière à Nasser, justifiant son auto-dissolution en 1956 par l'affirmation que Nasser était en train de construire le socialisme.

La période historique durant laquelle le régime nassériste était capable de réprimer les luttes indépendantes de la classe ouvrière et de faire un numéro d'équilibriste entre l’impérialisme et l’Union soviétique ne dura pas longtemps. Après la guerre du Yom Kippour – 22 ans à peine après l’arrivée au pouvoir de Nasser – son successeur, Anwar Saddat, entama une politique d’infidah (d’ouverture) au capital étranger et d’alignement diplomatique sur l’impérialisme américain. Ceci comprenait la signature par Saddat des accords de Camp David en 1978, l’établissement de la paix avec Israël sur la base d’une répression de tout appel des travailleurs égyptiens au prolétariat israélien en faveur d’une lutte conjointe contre l’impérialisme et le sionisme.

L’intégration de l’Egypte dans l’économie capitaliste mondiale sous l’égide de Washington a conduit à une nouvelle croissance à la fois de la puissance sociale et de l'oppression économique de la classe ouvrière. Ces contradictions de classes qui se sont accumulées sous la surface de la vie politique égyptienne ont à présent éclaté en des luttes révolutionnaires qui ont des répercussions dans le monde entier.

Alexander, le SWP et leurs condisciples internationaux restent muets sur les questions de l’impérialisme et du stalinisme en raison de leur perspective petite bourgeoise. Politiquement hypnotisés par Nasser et l’armée égyptienne, ils luttent pour subordonner la classe ouvrière à l’armée tout comme l’avait fait le Parti communiste égyptien à l’époque de Nasser, bien que de nos jours, le régime égyptien fonctionne comme une agence directe de l’impérialisme.

Un coup sévère a été porté à cette orientation par la révolution égyptienne de 2011 et qui a confirmé l’insistance de Trotsky sur le rôle primordial de la classe ouvrière dans la lutte révolutionnaire. C’est la classe ouvrière qui a évincé Moubarak dont le régime était totalement hostile à toute sorte de réforme démocratique et totalement assujetti à l’impérialisme.

La théorie de la révolution permanente déclare que la classe capitaliste ne peut plus mener les luttes pour la démocratie comme elle l'avait fait lors des révolutions bourgeoises du dix-huitième siècle aux Etats-Unis et en France. Redoutant le prolétariat et– dans les anciens pays coloniaux tels l’Egypte – étant tributaires de l’impérialisme étranger, les capitalistes sont opposés à un régime démocratique dans leur propre pays. La démocratie ne peut être instaurée que par la classe ouvrière et en tant que partie intégrante de sa lutte pour la révolution socialiste mondiale afin de placer toutes les ressources de l’économie nationale et internationale sous le contrôle des travailleurs et des masses opprimées.

C'est une caractéristique de la traîtrise de la pseudo-gauche que de tenter de discréditer la théorie de la révolution permanente au sein de la classe ouvrière en la présentant comme une théorie allant à l’encontre de la lutte politique. Alors que les revendications de la classe ouvrière se multipliaient cet été en faveur d’une deuxième révolution, les SR publièrent une déclaration infâme intitulée « Pas de deuxième révolution mais une révolution permanente jusqu’à la chute du régime. »

Le fait de présenter les revendications des travailleurs en faveur d’une deuxième révolution comme étant opposées au trotskysme et à la théorie de la révolution permanente est foncièrement malhonnête. La lutte pour la réalisation de la révolution permanente ne peut qu’adopter la forme d’une offensive renouvelée de la classe ouvrière pour le renversement de la junte – ce qui est précisément ce que les travailleurs exigeaient en réclamant une « deuxième révolution. » Dans cette lutte, les travailleurs remarqueront que la pseudo-gauche est un adversaire déterminé : droitier, petit-bourgeois et anti-marxiste.

La classe ouvrière a besoin d’une nouvelle direction politique

Les premiers mois de la révolution égyptienne ont montré l’énorme puissance sociale de la classe ouvrière : sa capacité à faire chuter des dictateurs, à paralyser des pays entiers et à s’organiser pour une lutte contre la répression d’Etat.

La révolution a aussi toutefois révélé les limites de l’action spontanée. Privés de direction politique, les comités de grève et les groupes populaires d’autodéfense ont été démantelés ou laissées à l'abandon. L’initiative politique a été laissée à la junte et à ses co-comploteurs impérialistes toujours au contrôle de l’armée, des banques et de l’appareil d’Etat.

La révolution n’a pu triompher, ni même aller de l’avant, sous les partis politiques existants qui lui sont fondamentalement hostiles. Leur soutien à l’Etat et à la bureaucratie syndicale a permis à la classe dirigeante égyptienne de comploter la répression et la contre-révolution avec des émissaires de l’impérialisme occidental qui ont mené une guerre néo-coloniale en vue d’un changement de régime en Libye et qui menacent actuellement de déclencher une guerre en Syrie, en Iran et ailleurs.

Les travailleurs d’Egypte ont besoin d’un nouveau parti révolutionnaire pour renverser la junte CSFA, mettre en place un Etat ouvrier et mener la lutte pour mettre fin au régime impérialiste au Moyen-Orient, comme partie intégrante de la lutte internationale pour le socialisme.

Le capitalisme mondial est embourbé dans la plus profonde récession économique depuis la Grande dépression, particulièrement dans les centres impérialistes en Amérique et en Europe, ce qui crée une crise sociale mondiale et une résistance croissante de la part de la classe ouvrière internationale. Les conditions objectives nécessaires à une lutte pour la révolution socialiste mondiale, comme Trotsky et les autres marxistes influents l’avaient envisagé et expliqué dans la théorie de la révolution permanente, sont en train d'être réunies.

Le problème essentiel non résolu reste la crise de la direction de la classe ouvrière. Les premiers mois de lutte révolutionnaire en Egypte ont démasqué de façon dévastatrice les partis pseudo-gauches. Ils ne constituent pas la base pour la construction d’une telle direction mais bien un obstacle qui doit faire l’objet d’une critique politique impitoyable afin de pouvoir réarmer la classe ouvrière d’une perspective révolutionnaire.

Ces partis, liés à des forces profondément hostiles au prolétariat – l’impérialisme occidental, les mouvements islamistes et la junte elle-même – poursuivent une politique et promeuvent des perspectives farouchement opposées à la lutte pour le socialisme. Dans la mesure où ils conservent de l’influence sur les luttes de la classe ouvrière, ils engendrent des défaites et la démoralisation ainsi que le danger de voir la contre-révolution triompher.

La première tâche à laquelle sont confrontés en Egypte et de par le Moyen-Orient les travailleurs, les intellectuels et les jeunes à l’esprit socialiste est de briser l’influence de ces partis auprès des travailleurs les plus conscients politiquement, pour construire au sein de ces couches un parti révolutionnaire dans le but de mener la lutte de la classe ouvrière.

La base politique de cette perspective est la théorie de la révolution permanente et la lutte du Comité international de la Quatrième Internationale (CIQI) pour défendre la continuité révolutionnaire du trotskysme et les fondations historiques et programmatiques du marxisme.

Le CIQI est convaincu que la révolution égyptienne marque la première grande expérience d’une nouvelle période de luttes révolutionnaires internationales. Il a créé le World Socialist Web Site en tant qu’organe politique pour rendre compte, unifier et fournir une direction politique aux luttes de la classe ouvrière partout dans le monde. Il appelle ses lecteurs en Egypte, au Moyen-Orient et internationalement à lutter pour la perspective de la révolution permanente et à rejoindre le CIQI.

(Article original paru le 21 novembre 2011)

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