Les élections canadiennes préparent le terrain pour une intensification des conflits de classe

L'élection fédérale canadienne du 2 mai a produit un surprenant réalignement politique qui laisse présager une rapide intensification des conflits de classe.

Les conservateurs, qui sous Stephen Harper forment un gouvernement minoritaire depuis 2006, ont arraché une majorité parlementaire. Ils ont perdu des sièges au Québec et en Colombie-Britannique, mais ils ont largement compensé ces pertes par des gains en Ontario, particulièrement dans la banlieue de Toronto. Avec moins de deux pour cent de plus de la part du vote qu'à la précédente élection, les conservateurs ont remporté 23 sièges de plus, portant à 54 pour cent leur part des 308 sièges de la Chambre des communes.

Ces gains paraissent toutefois bien faibles comparativement à ceux du Nouveau Parti démocratique (NPD) qui, de la quatrième place, est soudainement devenu l'opposition officielle. Le NDP a récolté 65 sièges de plus, pour un total de 102, et a augmenté sa part du vote populaire de 12,4 pour cent, pour atteindre 30,6 pour cent. Le NPD n'avait jamais remporté plus de 43 sièges et 20 pour cent des votes.

Les libéraux, qui formaient l'opposition officielle, ont subi une humiliante défaite qui laisse planer un doute sur la capacité de ce parti à demeurer une force importante dans la politique nationale. Les libéraux ont recueilli moins de 19 pour cent des votes, soit une chute de plus de 7 pour cent par rapport à l'élection d'octobre 2008, où les libéraux avaient obtenu leur plus faible part du vote depuis 1867. Les libéraux passent ainsi de 77 à 34 députés.

Le Bloc Québécois (BQ), un parti régionaliste pour l'indépendance du Québec, a subi une défaite encore plus dévastatrice. Fondé en 1991, le BQ avait précédemment participé à six élections fédérales et n'avait jamais remporté moins que 38 des 75 circonscriptions du Québec ou moins que 38 pour cent du vote populaire de la seule province à majorité francophone du Canada. Lundi, il est passé de 47 à seulement 4 sièges, tandis que sa part du vote au Québec a chuté à 23,4 pour cent. Par conséquent, le BQ n'aura plus le statut de parti officiel au parlement.

Les sections les plus puissantes de la bourgeoisie canadienne ont soutenu vigoureusement les efforts des conservateurs pour obtenir une majorité, considérant ceux-ci comme le meilleur moyen pour imposer des coupes brutales dans les dépenses sociales du budget fédéral.

Comme ses rivaux, la grande entreprise canadienne réagit à la plus grande crise du capitalisme mondial depuis la Grande Dépression en cherchant à détruire tout ce qui reste des avantages sociaux que la classe ouvrière a pu arracher dans la lutte durant le siècle dernier.

Le système public de santé est la principale cible de la grande entreprise. Soutenant que l'actuel système public de santé est financièrement « non viable », la grande entreprise et ses représentants idéologiques exigent que la responsabilité du financement de la santé soit portée par les individus et leurs familles plutôt que par l'État. De plus, au nom de l' « efficacité », ils défendent avec insistance que l'on accorde un rôle beaucoup plus grand aux sociétés privées dans la prestation de soins médicaux.

La classe dirigeante compte aussi sur le gouvernement conservateur pour établir une relation stratégique encore plus étroite avec l'impérialisme américain à travers les discussions sur le périmètre de sécurité nord-américain, et pour poursuivre le développement du militarisme. Même si les quatre partis ont appuyé l'intervention du Canada dans les guerres impérialistes contre l'Afghanistan et la Libye, ce sont les conservateurs qui ont claironné le nouvel aspect belliqueux du nationalisme canadien. Sous Harper, les dépenses militaires ont grimpé à plus de 23 milliards de dollars par année, soit le montant le plus élevé, en dollars réels, depuis la Deuxième Guerre mondiale.

Les résultats électoraux viennent cependant souligner combien ce programme de guerre de classe au pays et de guerre impérialiste à l'étranger est impopulaire. Si l'opposition populaire n'a pu jusqu'à maintenant s'exprimer que de façon épisodique et déformée, c'est parce que les bureaucrates syndicaux et les politiciens sociaux-démocrates du NPD étouffent systématiquement la lutte des classes.

L'élite patronale et ses médias vont tenter d'intimider ceux qui s'opposent aux attaques du gouvernement Harper en invoquant la majorité parlementaire des conservateurs. En fait, les conservateurs n'ont obtenu que 39,6 pour cent des voix. De plus, ils n'ont pu gagner cette élection qu'en cachant à la population les conséquences des immenses coupes qu'ils s'apprêtent à imposer.

Le NPD a obtenu plus de votes et de sièges dans de nombreuses parties du pays, y compris en Ontario où, pour la première fois, plus de gens ont voté pour lui que pour les libéraux. Mais la part du lion des gains, en termes de voix et de sièges, est venue du Québec, une province qui avait été jusqu'à maintenant un désert électoral pour les sociaux-démocrates du Canada.

Avant l'élection de lundi, le NPD n'avait jamais fait élire plus d'un candidat du Québec, et ce, à seulement deux occasions. Lundi, il a remporté 58 circonscriptions au Québec, soutirant ainsi des sièges aux conservateurs, aux libéraux et au BQ. Il a récolté dans cette province 42,9 pour cent des voix, soit plus du double qu'à l'élection précédente.

Cette explosion de l'appui pour le NPD n'avait pas été prévue par l'ensemble de l'establishment politique, y compris par le NPD lui-même. Cela était si inattendu que le NPD n'avait même pas de bureaux électoraux dans la majorité des circonscriptions qu'il a remportées lundi. La plupart de ses candidats étaient politiquement inconnus ou des novices.

Le NPD a été l'expression d'un vote de protestation contre l'establishment politique, tant fédéraliste que souverainiste. Durant des années, ces deux factions de la bourgeoisie se sont querellées au sujet du statut constitutionnel du Québec tout en adoptant des politiques socio-économiques de droite identiques : des coupes dans les dépenses sociales, la privatisation des services publics et des baisses d'impôt pour la grande entreprise et les plus riches.

Le vote de lundi en a été aussi un de protestation contre les syndicats, qui, pendant des décennies, ont subordonné la classe ouvrière au BQ et à son parti frère, le Parti Québécois, qui est le parti, en alternance avec les libéraux, du gouvernement du Québec.

Le NPD est, cependant, un récipiendaire complètement indigne de la colère populaire contre Harper et l’establishment politique. Comme les partis sociaux-démocrates à travers le monde, le NPD a renoncé depuis longue date à un programme réformiste. Lorsqu’il a été au pouvoir dans différentes provinces, il a coupé dans les programmes sociaux qu’il avait déjà promus comme une preuve que le capitalisme pouvait être humanisé. Dans son discours postélectoral, le chef du NPD, Jack Layton, a offert de travailler avec Harper tout en mettant l’accent sur la ressemblance entre les politiques du NPD et des libéraux.

D’un point de vue historique, cependant, la défaite du Parti libéral a été le résultat le plus frappant des élections. Pendant le vingtième siècle, les libéraux ont été le parti préféré de la bourgeoisie canadienne pour gouverner, formant le gouvernement national tous les ans, sauf huit durant la période de 1935 à 1985.

Hier, en annonçant sa démission comme chef du Parti libéral, Michael Ignatieff a déploré l’effondrement du « centre » dans la politique canadienne. Cet effondrement trouve sa source dans le rejet, par la bourgeoisie, d’une politique de compromis de classe et dans sa poussée pour démanteler l’État-providence, un processus pour lequel le Parti libéral a une responsabilité directe.

Les gouvernements libéraux de Jean Chrétien et de Paul Martin (1993-2006) ont mis en oeuvre une contre-révolution sociale, mettant de l’avant des politiques qui allaient beaucoup plus loin que celles que le conservateur Mulroney avait mises en pratique. Ces politiques incluent : les plus grandes coupes budgétaires de l’histoire canadienne, qui ont eu des conséquences dévastatrices pour l'assurance-maladie et les programmes sociaux, des coupes dans l’assurance-emploi et des baisses d'impôt massives sur les revenus et les gains en capitaux des entreprises et sur les revenus personnels.

Le gouvernement libéral de Chrétien-Martin a aussi commencé à développer et réarmer les Forces armées canadiennes après les déploiements des FAC en 1999 dans la guerre de l’OTAN contre la Yougoslavie et, ensuite, lors de l’invasion de l’Afghanistan en 2001.

Le tournant vers la réaction de la bourgeoisie canadienne a été démontré par la crise constitutionnelle et politique de décembre 2008, lorsque Harper et les conservateurs ont persuadé la gouverneure générale d’utiliser ses vastes pouvoirs de réserve pour proroger le parlement. Cela avait pour but d’empêcher les partis de l’opposition de défaire les conservateurs dans une motion de défiance pour ensuite installer une coalition menée par les libéraux.

La prorogation du parlement dans de telles circonstances était en violation flagrante des normes de la démocratie parlementaire canadienne. La classe dirigeante s’est toutefois ralliée derrière Harper et son engagement d’utiliser tous les moyens à sa disposition pour empêcher la formation d’un gouvernement dépendant des « socialistes » (NPD) et des « séparatistes » (BQ).

Immédiatement, les libéraux ont répondu au coup constitutionnel en allant encore plus à droite. Ils ont choisi comme nouveau chef Michael Ignatieff, un « sceptique face à la coalition », qui a placé son influence comme intellectuel libéral au service de l’administration Bush, écrivant des traités défendant la torture et la guerre en Irak.

Sous Ignatieff, les libéraux ont répudié toute notion de coalition et ont servi, jusqu’au début de cette année, de principal pilier parlementaire pour le gouvernement conservateur. Les libéraux ont ainsi mené la tentative réussie de prolongation de la présence canadienne militaire en Afghanistan jusqu’en 2014 et ont aidé le gouvernement Harper à supprimer les preuves de la complicité canadienne dans la torture des détenus afghans.

(Article original paru le 4 mai 2011)

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