La loi du gouvernement du Québec criminalisant la grève étudiante menace les droits fondamentaux de tous

Malgré des critiques répandues sur ses clauses draconiennes, le gouvernement libéral du Québec a passé, en moins de 24 heures, une loi spéciale qui criminalise la grève étudiante au Québec qui dure depuis 14 semaines.

Au nom de la garantie d’accès aux universités et aux cégeps de la province, la loi 78 rend criminel le piquetage des étudiants. Il sera dorénavant illégal pour les partisans de la grève de piqueter ou d’organiser « toute forme de rassemblement » dans un rayon de 50 mètres des « limites externes » du « terrain » de toute université ou cégep.

La loi menace d’infliger à chaque étudiant en grève, leurs partisans, les chefs des associations étudiantes, les associations étudiantes et les syndicats des amendes massives s’ils tentent d’empêcher, ou s’ils encouragent d’autres personnes à empêcher, les étudiants d’assister à leurs cours, d’entrer dans les institutions postsecondaires dans lesquelles ils sont inscrits ou encore d’accéder à d’autres services. De plus, la loi 78 stipule que les associations étudiantes et les syndicats qui représentent les professeurs et les autres employés de cégeps et d’universités doivent « employer les moyens nécessaires afin de persuader » leurs membres de se conformer en entier à ses clauses sous peine d’être passibles de poursuites criminelles.

La loi 78 est une attaque qui touche beaucoup plus que les étudiants qui s’opposent au plan du gouvernement libéral d’augmenter les frais de scolarités universitaires de 82 pour cent sur les sept prochaines années. Elle touche beaucoup plus que les étudiants non seulement parce que la nouvelle loi établit des précédents légaux à glacer le sang, mais aussi parce que le gouvernement et l’élite jugent que la suppression de la grève étudiante est fondamentale pour aller de l’avant avec ses mesures d’austérité de droite contre la classe ouvrière en entier.

La loi 78 rend illégal pour tous d’organiser ou de participer à une manifestation de plus de 50 personnes partout au Québec et sur toute question à moins que les organisateurs de la manifestation n’ait informé la police par écrit au moins 8 heures à l’avance de la route précise de la manifestation et de la durée de celle-ci et qu’ils aient accepté de se conformer au chemin de la manifestation prescrit par la police. La loi établit aussi une responsabilité légale pour les organisateurs de la manifestation afin de s’assurer que ceux qui se joindront à leur manifestation suivent la route approuvée par la police.

Au cours des trois derniers mois, la police a régulièrement déclaré des manifestations illégales, arrêtant les participants en masse et les dispersant avec des gaz lacrymogènes, des matraques et des grenades assourdissantes. La police a justifié leur désignation de plusieurs manifestations comme « des attroupements illégaux » en clamant la « violence » -- en réalité des échauffourées provoquées par la police ou des actes isolés de vandalisme.

La loi 78 établit de nouvelles restrictions radicales sur les droits de rassemblement et de liberté d’expression, permettant à la police de réprimer les manifestations dès le début : les manifestations seront illégales à moins d’avoir été longuement supervisées par la police et les organisateurs de la manifestation seront légalement contraints à servir d’auxiliaires de la police en surveillant le chemin prescrit par la police.

La loi 78 contient une série de mesures coercitives spécifiquement dirigées contre les professeurs et les autres employés des universités et des cégeps ainsi que leurs syndicats afin de les empêcher de prendre part à toutes actions en appui aux étudiants en grève. À la grande consternation du gouvernement et des médias de la grande entreprise, plusieurs professeurs ont appuyé le boycottage étudiant en refusant de donner des cours par respect des souhaits démocratiquement déterminés du corps étudiant et en rejoignant les étudiants dans les piquetages de masse pour empêcher l’imposition des injonctions de la cour qui ordonnent que l’enseignement régulier et les examens soient dispensés.

Sous la menace de pénalités financières majeures, la loi 78 oblige légalement les employés des institutions d’enseignement postsecondaires de la province à « accomplir tous les devoirs attachés à ses fonctions… sans arrêt, ralentissement, diminution ou altération de ses activités normales ».

Les pénalités financières stipulées dans l’article 78 sont massives. Les individus trouvés coupables de contrevenir à toutes clauses sont passibles d’une amende de 1000 à 5000 dollars. Dans le cas d’une récidive, les amendes minimums et maximums sont doublées. Dans les cas où les personnes sont coupables d’avoir bloqué l’accès à un établissement d’enseignement postsecondaire ou d’avoir perturbé ses activités, les amendes seront infligées sur une base quotidienne.

Dans le cas d’un chef, d’un représentant ou d’un porte-parole d’une association étudiante, l’amende minimum est de 7000$ et l’amende maximum est de 35 000$ par jour.

Les associations étudiantes et les syndicats sont passibles d’amendes entre 25 000$ et 125 000$ par jour. Le gouvernement s’est aussi donné le pouvoir d’ordonner aux institutions d’éducation de retenir les cotisations aux associations étudiantes – qui sont perçues comme une partie des frais d’université et de cégep – au rythme d’un trimestre de cotisation pour chaque jour qu’une association est jugée avoir défiée la loi.

La loi 78 suspend également jusqu’à la mi-août la réalisation du trimestre d’hiver aux 14 cégeps et aux 11 universités où plus de 150 000 étudiants demeurent en grève.

Le gouvernement a affirmé que son but est d’imposer une « pause » de trois mois afin de diminuer les tensions. C’est une mauvaise blague. Le premier ministre Jean Charest et son gouvernement libéral ont régulièrement insisté sur le fait que l’augmentation des frais de scolarité est non-négociable tout en diffamant les étudiants en les décrivant comme étant violents et égoïstes. Maintenant, avec une mesure sans précédent dans l’histoire canadienne, ils ont criminalisé la grève étudiante.

Le gouvernement espère clairement que le soutien pour la grève va s'éroder au cours de l'été, spécialement lorsque les étudiants prendront conscience de la sévérité des sanctions criminelles qui planent maintenant au-dessus d’eux. Mais le trimestre d’hiver a été suspendu pour une autre raison, plus importante et sinistre. Le gouvernement et la police ont l'intention d'utiliser les trois prochains mois pour se préparer minutieusement à un déploiement policier sans précédent à travers le Québec, utilisant la force brute et les arrestations de masse, si cela devenait nécessaire, afin de briser la grève étudiante.

Le Conseil du patronat du Québec a chaleureusement applaudi la loi 78, tout comme de nombreux autres représentants de l'élite des affaires du Québec. Les médias de la grande entreprise, qui pendant des semaines ont braillé pour mettre un terme à la « violence » étudiante et au « désordre », ont, comme c'était à prévoir, accueilli l’interdiction par l'État de la grève étudiante. L'éditeur de La Presse, le quotidien le plus influent dans la province, a intitulé son premier commentaire sur la décision du gouvernement de légiférer contre la grève étudiante « Une fermeté intelligente ».

D'un autre côté, le bâtonnier du Québec, Louis Masson, a fait une sortie contre la loi, disant qu'elle « porte atteinte aux droits constitutionnels et fondamentaux des citoyens » incluant les droits à la liberté d'expression, de rassemblement et d'association. Étant donné les limites que la loi place sur le droit de manifester et les obligations que la loi impose sur les organisateurs de manifestation et même sur les manifestants eux-mêmes concernant le chemin à emprunter prescrit par la police, Masson a dit : « On est en droit de se demander qui osera encore manifester. »

Les leaders étudiants ont condamné la loi en la décrivant comme une « loi-matraque » et, en réponse au désarroi et à la colère de leurs membres, certains ont suggéré que les étudiants pourraient défier la loi 78, malgré ses clauses draconiennes.

« Le gouvernement du Québec », a déclaré le président de la FECQ (Fédération étudiante collégiale du Québec), Léo Bureau-Blouin « se sert d'une crise qu'il a lui-même provoquée pour transformer l'expression citoyenne en crime. … [Cette loi vise] à taire l’expression d’une population. …Elle ne vise pas seulement les étudiants, mais toute la population. » Martine Desjardins, la présidente de la FEUQ (Fédération étudiante universitaire du Québec) a lancé que le « gouvernement fait une déclaration de guerre au mouvement étudiant. C’est pire que la hausse des frais de scolarité. »

Le Parti québécois (PQ), un parti de la grande entreprise, Québec solidaire et les syndicats ont aussi vigoureusement dénoncé la loi, qui a été adoptée par un vote de 68 contre 48, la droitiste Coalition avenir Québec (CAQ), menée par l'ancien ministre péquiste de l'Éducation, François Legault, votant avec le gouvernement.

Deux semaines plus tôt, les leaders des trois principales centrales syndicales du Québec ont fait pression sur les leaders étudiants pour qu'ils acceptent une entente de concessions avec le gouvernement, qui fut subséquemment rejetée massivement par les étudiants. Tout en accusant les libéraux d'adopter une loi digne d'un État policier, les présidents des syndicats se sont empressés d'ajouter vendredi qu'ils vont fortement recommander à leurs membres de s'y conformer.

Dans les prochains jours et mois, les chefs syndicaux vont indiquer le caractère autoritaire de la loi et ses pénalités sauvages pour presser les étudiants à abandonner leur grève pour plutôt « se débarrasser des libéraux » aux prochaines élections. Cela veut dire d'appuyer le parti de la grande entreprise qu'est le Parti québécois, un parti qui a mis en oeuvre les plus grandes coupes dans les dépenses sociales de l'histoire du Québec lorsqu'il a été au pouvoir.

La FECQ et la FEUQ, qui profitent de liens étroits avec les syndicats et le PQ ont, depuis des mois, fait la promotion d'un plan pour organiser les étudiants dans le but de solliciter plus de votes pour s'opposer au gouvernement dans les circonscriptions où les libéraux ont gagné par une faible marge lors des dernières élections. Jeudi, les leaders de la FECQ et de la FEUQ sont revenus sur ce thème. « On va s’assurer de catalyser la mobilisation de la grève pour jouer un rôle crucial aux élections et encourager la participation des jeunes », a déclaré la présidente de la FEUQ, Martine Desjardins.

Si la classe dirigeante au Québec et à travers le Canada est aussi déterminée à écraser la grève étudiante, c'est parce qu'elle reconnaît qu'elle constitue un défi implicite à sa tentative de placer tout le fardeau de la crise du système capitaliste sur le dos des travailleurs. Pour que leur lutte progresse, les étudiants doivent rendre ce défi explicite, en opposition aux syndicats procapitalistes, pour la mobilisation industrielle et politique de la classe ouvrière contre toutes coupes dans les emplois, les salaires et les dépenses sociales, contre le démantèlement des services publics et pour des gouvernements ouvriers à Ottawa et à Québec. 

(Article original paru le 19 mai 2012)

 

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