Des artistes québécois dénoncent la campagne gouvernementale de dénigrement à l'encontre de la grève des étudiants

Plus de 2 500 écrivains, cinéastes, acteurs et autres personnes de la communauté artistique québécoise ont signé une lettre ouverte à la ministre de la Culture du Québec, Christine St-Pierre, exigeant qu'elle retire sa déclaration qualifiant de « violente » la grève étudiante.

Commentant la décision du chanteur-conteur québécois Fred Pellerin de refuser, en signe de solidarité avec les étudiants en grève, un prix décerné par le gouvernement, St-Pierre a déclaré vendredi dernier, «Nous, on sait ce que ça veut dire le carré rouge, ça veut dire l’intimidation, la violence, ça veut dire aussi le fait qu’on empêche des gens d’aller étudier. »

« Nous nous trouvons aujourd’hui dans l’obligation de vous demander de présenter des excuses publiques pour ces propos démagogiques », dit la lettre ouverte qui a été publiée sur le site internet du Devoir, journal proche du Parti québécois, le parti de l’opposition officielle. Parmi les signataires de la lettre, on compte le dramaturge et romancier Michel Tremblay, sans doute l'écrivain le plus adulé, la cinéaste Léa Pool, le réalisateur et metteur en scène Martin Faucher, la romancière Marie-Claire Blais et les acteurs Sylvie Drapeau et Normand Chouinard.

La lettre accuse St-Pierre de chercher à « avilir » le débat public entourant la lutte des étudiants pour un enseignement supérieur qui soit accessible, et à discréditer malhonnêtement le port du carré rouge « méprisant du coup le choix réfléchi et affirmé de très nombreux membres de la communauté artistique québécoise ».

La lettre dit que le Québec est témoin d'une bataille entre « une culture humaniste » et « une culture d'entreprise qui violente la libre pensée » puis déclare, « Si le seul argument que vous décidez d’opposer à ce schisme idéologique profond est le recours à la peur pour justifier la nécessité du maintien de l’ordre, nous tenons à vous rappeler que ce flirt est extrêmement dangereux. » Faisant référence à l'imposition par le gouvernement fédéral de la Loi sur les mesures de guerre de 1970 au motif que le Québec était confronté à « une insurrection appréhendée », la lettre ajoute, « dresser les vieux épouvantails de la peur au service de l’ordre rappelle de très mauvais souvenirs d’une histoire pas si lointaine ».

Répondant directement aux allégations de violence de St-Pierre, la lettre dit: « Vous aimez “oublier” que ce mot qui vous vient si fréquemment aux lèvres n’est pas incarné par les centaines de milliers de personnes, étudiants et citoyens qui marchent chaque soir dans nos rues, mais par un corps policier qui multiplie honteusement les gestes de brutalité envers des manifestants pacifiques. »

Prenant la parole à l'Assemblée nationale mardi, St-Pierre a refusé de s'excuser et a, au contraire, réitéré ses calomnies contre les étudiants en grève. « Nous avons tous vu qu'il y a eu des manifestations d'étudiants qui, parfois, ont conduit à des scènes tout à fait disgracieuses, des scènes d'intimidation », a-t-elle proclamé. Jean-Marc Fournier, président de l’Assemblée nationale, est allé plus loin encore et a associé la grève des étudiants à des actes de malveillance commis par des personnes inconnues, dont l'envoi de lettres contenant une poudre inoffensive à divers politiciens du Parti libéral et à des médias, action qui aurait été effectuée par un groupe jusqu'ici inconnu, les Forces armées révolutionnaires du Québec.

Hier, St-Pierre a fait semblant de s'excuser alors qu'en fait elle réitérait le mensonge selon lequel la grève est violente. « Si des gens ont été blessés par mes commentaires, je m'en excuse », a dit la ministre. « ...Pour plusieurs personnes qui portent le carré rouge, elles ne veulent pas envoyer un message de violence et d'intimidation. Mais il y a beaucoup de Québécois qui ont été témoins de scènes totalement disgracieuses [commises par] des personnes qui portaient le carré rouge. » Plus tard dans une lettre aux journalistes, St-Pierre a déclaré que le symbole de la grève des étudiants avait été la cible d’une prise de pouvoir par des « vandales », l'associant ainsi à des « actes de violence ».

Dès les premiers jours de la grève des étudiants, le gouvernement et les médias capitalistes ont cherché à délégitimer la lutte des étudiants contre l'augmentation radicale des frais de scolarité, en la qualifiant de violente. En fait, le Québec a été témoin d'une campagne de violence policière sans précédent, la police attaquant de façon quotidienne des manifestations pacifiques, en ayant recours à la matraque, à des bombes assourdissantes, au gaz lacrymogène et en provoquant la violence par leurs actes agressifs et arbitraires.

Le vendredi 4 mai, alors que les leaders des étudiants étaient en train de négocier avec le gouvernement, la police de la province du Québec a organisé une attaque brutale contre une manifestation qui se tenait devant la convention du Parti libéral à Victoriaville, en tirant à plusieurs reprises des balles en caoutchouc dans la foule. Il ne fait pas de doute que cette violence policière était orchestrée par le gouvernement de façon à lui permettre d'intimider les leaders des étudiants. Le gouvernement a impudemment menacé de couper court aux négociations si les dirigeants des étudiants, qui étaient entourés par les gardes de la sécurité et effectivement empêchés de communiquer avec ceux qui ne prenaient pas part aux négociations, ne condamnaient pas immédiatement les « émeutiers » de Victoriaville.

Deux semaines plus tard, le gouvernement adoptait la loi 78, législation qui criminalise la grève des étudiants et place de nouvelles et vastes restrictions sur le droit de manifester sur n'importe quel sujet et n'importe où au Québec. Depuis le vote de cette loi, plus de 1 500 personnes, dont le député de Québec solidaire, Amir Khadir, ont été arrêtées pour avoir commis le « délit » de manifester. Et durant le Grand Prix du week-end dernier, la police a ciblé des personnes portant le carré rouge pour les fouiller et pour un contrôle d'identité, leur interdisant l'accès à certaines zones du réseau de métro et a procédé à l'arrestation préventive de plus de 30 militants étudiants.

Ce qui motive cette campagne de répression d'État est la reconnaissance par le gouvernement et l'élite dirigeante canadienne que la grève des étudiants constitue un défi à leurs efforts pour placer le fardeau de la crise du capitalisme sur la classe ouvrière. Ils craignent aussi que cette grève ne devienne le catalyseur déclenchant l'opposition de la classe ouvrière au démantèlement des services publics, à la réduction des salaires et aux suppressions d'emplois. 

(Paru en anglais le 14 juin 2012)

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