Un Israélien s’immole par le feu pour protester contre la crise sociale

Les médecins ont annoncé que Moshé Silman, 57 ans, se trouvait mardi dans le coma et dans un état critique, après s’être immolé par le feu trois jours plus tôt durant une protestation à Tel Aviv contre la détérioration des conditions de vie en Israël.

Silman, qui possédait une entreprise de transport florissante jusqu’au jour où il fut ruiné à cause de dettes et de problèmes de santé, a régulièrement participé au mouvement de protestation qui avait commencé l’année dernière contre l’augmentation du coût de la vie et les coupes dans les programmes sociaux et les prestations sociales. Il avait fait partie d’une foule de plusieurs milliers de personnes qui s’était rassemblée samedi pour marquer le premier anniversaire de ces protestations.

Alors que les intervenants s’adressaient au groupe, Silman commença à s’asperger d’essence puis à y mettre le feu. D’autres manifestants s’étaient pressés autour de lui en essayant d’éteindre le feu avec leurs chemises et des bouteilles d’eau mais il a subi des brûlures de 90 pour cent du corps.

Silman a laissé une lettre dactylographiée où il accuse l’Etat d’Israël, le premier ministre Benjamin Netanyahou et le ministre des Finances, Youval Steinitz, pour « l’humiliation constante que les citoyens d’Israël doivent endurer au quotidien » et pour « prendre aux pauvres pour le donner aux riches. »

Il a accusé le gouvernement d’avoir détruit sa capacité de pouvoir gagner sa vie et de l’acculer au point de devenir un sans-abri. « L’Etat d’Israël m’a volé et dépouillé », a-t-il écrit. « Ils m’ont rien laissé. » Il a ajouté, « Et je ne veux pas devenir un sans-abri et c’est pourquoi je proteste. »

Selon la presse israélienne, l’entreprise de transport de Silman a périclité après une querelle au sujet d’une question de taxe avec l’Institut national d’assurance, une agence du gouvernement israélien. D’abord ses camions furent saisis pour rembourser ses dettes, puis ses comptes en banque et finalement la maison que sa mère lui avait laissée à sa mort.

Après une attaque cérébrale, il fut obligé de se déclarer inapte au travail en recevant un versement mensuel d’à peine 2.300 shekels (581 dollars, environ 400 euros, dans un pays où le coût de la vie est aussi chère qu’aux Etats-Unis). Pour raison de santé, on lui refusa l’autorisation de conduire un taxi à mi-temps, ses indemnités d’incapacité de travail furent stoppées complètement pour six mois en décembre et il fut alors classé comme n’ayant pas droit à un logement social. Il aurait dû être expulsé de son appartement dans deux semaines.

En parlant aux médias devant l’hôpital où Silman lutte contre la mort, le frère de Silman, Amron Elul, a dit, « Il est né en Israël, il a servi dans l’armée pendant sept ans et après cela il a été réserviste pendant de nombreuses années. Il n’a jamais fait de tort à personne, et pourtant l’Etat lui a tout pris, son entreprise, sa maison, et à la fin, personne ne voulait l’aider. »

La protestation par l’immolation par le feu a eu un effet de choc à travers toute la société israélienne. Dimanche, plusieurs milliers de gens ont défilé à Tel Aviv en signe de sympathie. Lors d’un rassemblement à Haifa, où Silman vivait, des manifestants ont brandi des pancartes disant, « La nation entière est Moshé Silman ».

D’autres se sont rassemblés devant la résidence du premier ministre Netanyahou à Jérusalem sous une bannière où on pouvait lire, « Nous sommes tous Moshé Silman : le gouvernement a du sang sur les mains, » et en brandissant des pancartes disant, « Bibi, tu nous as brûlés, nous aussi »

Selon un commentaire publié sur le site Internet d’information israélien Ynet, la ruine économique de Silman et son invalidité ont coïncidé avec les réductions drastiques des allocations d’invalidité imposées par Netanyahou alors qu’il était ministre des Finances en 2004-2005. L’impact des coupes budgétaires sur les soins de santé fut prouvé par le fait que « Lorsque Silman fut emmené au service des grands brûlés à l’hôpital il n’y avait pas lit disponible pour lui. Le service travaillait à pleine capacité, comme c’est le cas dans de nombreux services des hôpitaux israéliens. Silman a dû être hospitalisé dans un autre service. »

De plus, selon une étude réalisée par Calcalist et publiée le mois dernier, 63 pour cent des Israéliens de la « classe moyenne » ne seraient pas en mesure de faire face à une dépense d’urgence exceptionnelle de 8.000 shekels (2.000 dollars, 1.630 euros) rendant ainsi une grande majorité de la population vulnérable au genre de crise qui a détruit Moshé Silman.

Un deuxième homme a tenté lundi d’imiter la tentative de suicide de Silman dans la ville de Be’er Sheva, dans le Sud d’Israël. L’homme de 47 ans s’était aspergé d’un liquide inflammable, mais des gardes de sécurité se sont rapidement précipités sur lui pour empêcher une nouvelle tragédie. L’homme avait récemment demandé à l’office public du logement de lui fournir un abri, selon un des articles parus dans la presse.

L’establishment politique israélien a réagi à la protestation tragique de Silman avec l’indifférence et le mépris habituels. Le premier ministre Netanyahou a rejeté ce geste comme étant « une tragédie individuelle » — c’est-à-dire n’ayant aucune autre signification sociale — et son porte-parole officiel a ajouté que la tentative de suicide était une « situation humanitaire et n’avait rien à voir avec la politique ».

Un porte-parole du maire de Tel Aviv s’est efforcé de souligner que Silman était un « étranger » qui ne faisait pas partie de la ville. Il a écrit : « Alors que cet incident tragique a eu lieu à Tel Aviv, il n’a vraiment rien à voir avec l’establishment de la ville. La personne qui s’est incendiée est venue d’une région extérieure de la ville pour protester dans une grande manifestation qui s’est déroulée en la ville. »

Le dirigeant du Parti travailliste d’opposition, Shelly Yachimovich, a dit que Silman « ne doit définitivement pas être considéré comme un symbole de la protestation pour la justice sociale »

Mais, selon un responsable de Tel Aviv, 400 personnes par an se suicident en Israël pour des raisons de détresse économique : en réalité, un Moshé Silman chaque jour de l’année.

Le ministre israélien de la Santé et des services sociaux et l’Institut national d’Assurance ont annoncé la mise en place d’une équipe « pour résoudre les incidents exceptionnels qui vont au-delà des moyens que nous avons à notre disposition, » ainsi qu’une permanence téléphonique « pour traiter et assister ces cas complexes ». Le but de tels gestes cosmétiques est de minimiser l’embarras futur du gouvernement face à l’impact dévastateur de la crise économique et de sa propre politique sociale droitière.

(Article original paru le 18 juillet 2012)

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