Manifestations de masse contre le président égyptien Morsi

marchLa foule sur la Place Tahrir mardi 27 novembre au Caire [Photo: Lilian Wagdy]

Des centaines de milliers de personnes ont protesté hier 27 novembre sur la Place Tahrir au Caire et partout en Egypte contre le président islamiste Mohamed Morsi et les Frères Musulmans (FM).

Dans des scènes rappelant les premiers jours de la Révolution égyptienne qui a abouti à la chute de l’ancien dictateur Hosni Moubarak en février dernier, les masses égyptiennes exigent une fois de plus le départ d’un despote soutenu par les Etats-Unis. Parmi les slogans les plus populaires figuraient, « A bas, à bas Morsi-Moubarak » et « Morsi poltron, agent des Américains. »

Les troubles n’ont cessé de croître partout dans le pays depuis que Morsi a rendu public la semaine dernière un décret constitutionnel revendiquant tous les pouvoirs législatifs, constitutionnels, exécutifs et judiciaires.

La tentative de Morsi de s’accaparer les pouvoirs dictatoriaux est soutenue par l’impérialisme américain. Cette tentative a eu lieu immédiatement après que la secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a remercié Morsi personnellement pour sa fiabilité à l’égard de Washington durant l’attaque brutale d’Israël contre Gaza. Morsi appuie aussi l’agression militaire américaine contre la Syrie et donc contre l’Iran.

Tout au long de la journée, les défilés de masse se sont poursuivis sur la Place Tahrir, les manifestants venant de toutes les couches sociales. Des centaines d’artistes sont partis de l’Opéra du Caire et ont traversé le Pont Qasr al-Nil en scandant « A bas la déclaration constitutionnelle. »

Dans l’après-midi, une manifestation rassemblant des milliers d’avocats est arrivée sur la place. Selon le Club des juges, 99 pour cent des tribunaux et des procureurs avaient cessé le travail et avaient commencé une grève contre le décret de Morsi qui interdit un examen juridique de ses décisions et élimine quasiment le pouvoir judiciaire.

Les défilés les plus importants, comptant des dizaines de milliers de manifestants, ont débuté dans les quartiers ouvriers de Shubra au Nord du Caire, à partir de la mosquée Mostafa Mahmoud à Mohandiseen et de la mosquée Fatah de la place Ramsès. Des milliers de personnes sont venues d’autres communes du Caire pour rejoindre les protestations anti-Morsi.

Dans la soirée, bien plus que 100.000 manifestants s’étaient rassemblés sur la place et dans les rues avoisinantes alors que le slogan « Irhal, Irhal », (dégage, dégage) retentissait dans le centre-ville du Caire.

Tout au long de la journée, d’intenses affrontements ont eu lieu sur la place Simon Bolivar derrière l’ambassade des Etats-Unis où les forces de sécurité centrales (CSF) de Morsi ont attaqué des centaines de jeunes avec des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc. Les manifestants ont renvoyé les pierres contre les unités de CSF détestées qui avaient intensifié leur brutale répression ces derniers jours.

Depuis l’éclatement des affrontements lundi dernier, des centaines de manifestants sont détenus par la police et plus de 400 ont été blessés. A ce jour, trois manifestants ont été tués. Hier, Fatehy Gareb, un membre du Parti de l’Alliance populaire socialiste est mort étouffé par des gaz lacrymogènes. Avant lui, Ahmed Naguib, 18 ans, et Gaber Salah, surnommé « Jika », 19 ans, un membre du Mouvement du 6-Avril, ont été abattus par la police.

Les marches des étudiants des trois universités de la capitale – l’université du Caire, d’Aïn Shams et d’Helwan – sont arrivées tard dans la soirée pour commémorer les martyrs. « Gaber Jika est mort et le président est responsable, » et « Tuez-nous, peu importe, votre tyrannie ne nous affecte pas, » ont-ils scandé. Ils brandissaient des bannières disant : « A bas le régime du guide suprême. »

Des protestations ont eu lieu dans toutes les principales villes égyptiennes. Dans la ville côtière d’Alexandrie, des dizaines de milliers de personnes sont descendues dans la rue. Des protestations se sont également déroulées à Suez, Mansoura, Aswan, Damietta, Bani Suef, Fayoum, Louksor, Tanta, Zagazig et Mahalla.

Les manifestations contre les Frères musulmans ont été appelées par divers groupes libéraux et pseudo-gauches, dont le Parti de la Constitution d’El-Baradei, le Parti Karama d’inspiration nassériste et dirigé par l’ancien candidat à la présidence Hamdeen Sabahi et le Parti des Egyptiens libres fondé par le magnat milliardaire Naguib Sawiris. Les organisations qui y ont participé étaient le Parti de l’alliance populaire socialiste, le Parti égyptien social-démocrate, le Mouvement du 6-Avril, Kifaya, le Parti Tagammu, les Socialistes révolutionnaires (SR) et divers autres. 

Un fossé de classe sépare ces partis et les masses de travailleurs et de jeunes qui ont demandé le départ de Morsi et la chute du régime.

Cinq mois après l’élection de Morsi, le caractère contre-révolutionnaire de son régime est dévoilé devant les masses égyptiennes. « Le pouvoir a démasqué les Frères. Nous découvrons leur véritable visage, » a expliqué Laila Salah, une femme au foyer, qui a dit avoir voté pour Morsi aux élections présidentielles et qui est actuellement en train de protester sur la Place Tahrir. Après Moubarak, a-t-elle dit, « Les Egyptiens n’accepteront plus d’être dirigés par un autocrate. »

La perspective de l’opposition séculaire et libérale cependant ne fera pas tomber Morsi par une lutte révolutionnaire de masse. Malgré leur violent conflit factionnel avec les FM au sujet de la répartition du pouvoir et de la richesse au sein de l’appareil d’Etat, leur objectif est d’arriver à un compromis avec les Islamistes. Dans une déclaration – présentée lundi au quartier général du Parti de l’Alliance populaire socialiste au Caire par le membre influent des SR, Haitham Mohammdein, – ces groupes ont lancé un appel à Morsi pour qu’il annule son décret et mette en avant un programme garantissant la « justice transitionnelle. »

Ces dernier mois, les SR avaient promu Morsi sans réserve. Ils l’ont soutenu lors des élections en cherchant à faire sa promotion, ainsi que celle des FM, en tant que forces révolutionnaires. Après que Morsi ait été proclamé président en juin, Sameh Naguib, un membre dirigeant des SR, a célébré son accession au pouvoir comme « une véritable victoire des masses égyptiennes et une réelle victoire de la révolution égyptienne. »

Alors que les travailleurs et les jeunes se sont retournés contre la dictature de Morsi, les groupes pseudo-gauches ont cherché à maintenir l’illusion que la démocratie pouvait être réalisée sous un régime islamiste et dans le cadre de l’Etat bourgeois. Le renouvellement des luttes fait toutefois apparaître très clairement les tâches les plus prenantes auxquelles la révolution égyptienne est confrontée : le renversement de l’Etat bourgeois par une révolution socialiste dirigée par la classe ouvrière pour éliminer les rapports capitalistes et la domination impérialiste au Moyen-Orient.

Les deux factions de l’élite dirigeante égyptienne cherchent par tous les moyens à empêcher une telle lutte et redoutent une situation susceptible de mener à une vague de grèves massive de la classe ouvrière, à une échelle comparable à celle qui avait fait tomber Moubarak en février 2011. Ces derniers mois, on avait déjà assisté à la plus importante vague de grève survenue depuis l’éviction de Moubarak et les travailleurs du textile de Mahalla ont rejoint les manifestations du mardi 27 novembre.

Des affrontements entre des manifestants anti-Morsi et des partisans des FM ont été signalés tout au long de la nuit du 27 au 28 novembre, faisant plus de 300 blessés. A Alexandrie, le quartier général des FM a été envahi par des manifestants en colère. Un autre quartier général a été incendié à Mansoura. Les forces de sécurité auraient, selon des informations de la presse, refusé de protéger les bureaux. Plusieurs quartiers généraux du Parti de la Liberté et de la Justice des Frères musulmans (PLJ) avaient été attaqués ces derniers jours. Les FM auraient fait appel à l’armée pour protéger leurs bureaux dans le district de Moqattam au Caire.

Après avoir reçu l’appui de Washington, Morsi et les FM refusent jusque-là à faire la moindre concession à leurs adversaires séculaires et planifient au lieu de cela une répression massive. Les FM accusent leurs rivaux de « ne pas tenir compte des intérêts nationaux du pays, » et le premier ministre Hisham Kandil a menacé d’affronter les saboteurs. Gehad el-Haddad, un conseiller haut placé des FM, a dit que Morsi « n’abrogerait pas la déclaration. »

(Article original paru le 28 novembre 2012)

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