La journée de deuil en Afrique du Sud ne calme pas la colère provoquée par le massacre de Marikana.

La colère continue de grandir au sujet du massacre de 34 mineurs grévistes de la mine de platine du groupe Lonmin de Marikana le 16 août et ce en dépit des efforts officiels déployés pour atténuer les tensions.

La journée de deuil national décrétée jeudi par le président Jacob Zuma du Congrès national africain (African National Congress, ANC), parti au pouvoir, a clairement montré que des paroles de tristesse ne suffiront pas à faire disparaître l’indignation à l’égard non seulement des compagnies minières mais aussi de l’ANC et de ses alliés au sein du National Union of Mineworkers (NUM), du Congress of South African Trade Unions (Congrès des syndicats sud-africains, COSATU) et du Parti communiste sud-Africain.

Lors de la principale commémoration en mémoire des victimes de la mine de Marikana au Nord-Ouest de Johannesburg, les veuves en pleurs des travailleurs tués ont été rejointes par plus d’un millier de personnes, dont les parents des 259 grévistes qui sont actuellement emprisonnés.

Plus tôt, Impala Rustenberg, la plus grande mine de platine du monde, a annoncé que l’ensemble de la production avait été stoppée pour la journée pour permettre aux travailleurs de rendre hommage à leurs collègues. Impala Rustenberg a été cette année le théâtre d’une grève âpre de six semaines qui a coûté la vie à quatre travailleurs.

L’hostilité à l’égard de Zuma est telle qu’il n'a été en mesure d’assister à aucune des cérémonies. La police a fait profil bas bien, néanmoins des centaines de policiers étaient regroupés dans les rues avoisinantes.

Les responsables du gouvernement, les dirigeants de l’église et des syndicats s’étaient mis d’accord pour qu’aucun discours politique ne soit autorisé. Mais l’humeur combative au sein des mineurs a trouvé son expression durant la célébration lorsqu’un homme non identifié est monté à la tribune pour exiger, avant d’être privé du microphone, la démission de Zuma.

Plus tard, à la fin de la cérémonie, le dirigeant exclu de la Ligue de Jeunesse de l’ANC, Julius Malema, a été applaudi lorsqu’il a attaqué la collusion de l’ANC avec les compagnies minières, en disant, « Notre gouvernement est devenu un cochon qui mange ses enfants. » Ancien pilier de Zuma, Malema avait été exclu de l’ANC en février dernier, accusé de « semer la zizanie ». Un dizaine de ministres du gouvernement ANC ont quitté la cérémonie durant son discours.

Plus d’une semaine après le massacre, moins d’un tiers des employés ont repris le travail à Lonmin, et beaucoup d’autres se sont jurés de mener le combat jusqu’au bout. La plupart des foreurs qui menaient le débrayage sont des immigrés. Ils travaillent dans des conditions extrêmement dangereuses pour à peine 500 dollars par mois et ils sont logés dans des campements sordides. Nombre d’entre eux ont quitté le NUM, qui est, à juste titre, considéré être de mèche avec les patrons des mines, pour rejoindre l’Association des mineurs et de la construction (Association of Mineworkers and Construction Union, AMCU) née de cette scission.

Alors même que le gouvernement tentait d’apaiser les tensions, d’autres exploitants des mines de platine alertaient qu'il y avait propagation des troubles. En début de semaine, les mineurs du groupe Royal Bafonkeng Platinum ont exigé une augmentation de salaire tandis que les travailleurs d’Anglo American Platinum de Rustenburg contournaient les syndicats pour soumettre à la direction une liste de revendications à satisfaire d’ici vendredi.

Vendredi matin, plus d’une centaine de travailleurs de chez Anglo American ont défié l’ordre de reprendre le travail après n’avoir reçu aucune réponse à leurs griefs. Le travail n'a été repris qu’après que la compagnie a entamé des négociations avec des représentants choisis par les mineurs.

Les craintes, au sein de l’élite dirigeante, concernant une révolte grandissante des travailleurs non seulement contre les employeurs mais aussi contre le COSATU, sont résumées par le site Internet du patronat sud-africain Moneyweb, qui pose la question, « Lonmin ne serait-il que le début ? »

Moneyweb, en faisant état au cours de ces deux dernières années d’une escalade constante des grèves violentes, a cité le communiqué de l’assureur South African Special Risks Insurance Association (SASRIA) disant que « les déclarations de sinistre liées aux grèves ont sensiblement augmenté depuis 2006 » et représentent actuellement « plus de 70 pour cent des demandes de prise en charge de SASRIA. »

Le meurtre de travailleurs grévistes est la preuve que depuis la fin de l’apartheid, il y a deux décennies, rien n’a fondamentalement changé pour la grande masse des travailleurs noirs en Afrique du Sud. Une élite noire de l’ANC et du COSATU est devenue extrêmement riche sous le slogan de la « promotion économique des Noirs (« black empowerment »). Le fondateur du NUM, Cyril Ramaphosa, un multimillionnaire, siège au directoire de Lonmin tandis que la police est supervisée par la commissaire noire Riah Phiyega, qui a cautionné le massacre.

Le dossier d’Aurora Empowerment Systems en est un autre exemple. Il s'agit d'un partenariat entre le petit-fils de Nelson Mandela, Zondwa Mandela, et l’un des neveux de Zuma, Khulubuse Zuma. Aurora Empowerment Systems s'était vu accorder les droits pour reprendre, à la périphérie de Johannesburg, deux mines d’or qui avaient fait faillite en 2009. Ce partenariat s'est rapidement embourbé dans des allégations d’irrégularités et de dilapidation des actifs ainsi que des accusations de non-paiement des salaires aux travailleurs pendant 18 mois, les abandonnant à leur sort dans des baraquements sans électricité et tributaires de l’aide alimentaire.

Claude Baissac, le directeur général d’Eunomix, conseiller minier, a prévenu, « Ce n’est pas par hasard que le défi lancé au syndicat historiquement dominant, le NUM, affilié à l’ANC, se produise dans le contexte d’une contestation grandissante des travailleurs de la base à l’égard des agissements du gouvernement. »

Selon une étude réalisée par le Centre for the Study of Violence and Reconciliation (CSVR), il y a eu depuis 2009 une forte augmentation des protestations violentes dans les régions appauvries, qui est provoquée par l’absence de services de base et l'indifférence officielle. Ce rapport a été publié l’année dernière, l’année même où l’Afrique du Sud a déclassé le Brésil et est devenue le pays socialement le plus inégalitaire du monde. La moitié de la population vit en dessous du seuil de pauvreté et le taux officiel de chômage se situe à 25 pour cent.

La Commission d’enquête judiciaire annoncée par Zuma vise à blanchir le massacre de Lonmin et les conditions qui existent en général dans l’industrie, tout en tentant de rassurer les investisseurs que l’Afrique du Sud peut être exploitée en toute sécurité. L’ancien juge Ian Farlam devrait diriger la commission composée de trois magistrats et qui présentera son rapport dans cinq mois.

Celui-ci servira inévitablement à faire adopter de nouvelles mesures répressives contre les travailleurs. Zuma a dit qu’il consultera le gouvernement, la police, les syndicats et diverses personnes pour déterminer si le recours à la force « a été raisonnable et justifiable dans les circonstances de cet événement. »

Le ministre de la Police, Nathi Mthethwa, a annoncé l’ouverture d’une enquête sur « la manipulation politique présumée des mineurs, » alors que le COSATU a affirmé avoir découvert une « stratégie politique coordonnée » pour utiliser l’intimidation et la violence dans le but d’encourager les travailleurs à rompre avec le NUM. Les accusations sont que l’AMCU collabore avec Malema pour saper l’ANC et le COSATU. L’ANC et le COSATU participent à cette chasse aux sorcières aux côtés des compagnies minières.

Malema ne propose pas d’alternative viable à l’ANC et ses alliés. En défendant ses interventions fortement médiatisées de la semaine dernière, Malema a fait une déclaration fort révélatrice.

« Il y avait un vide politique et nous avons rempli cet espace, » a-t-il dit. « Si nous ne l’avions pas fait, ce sont les mauvais éléments qui auraient alors occupé cet espace. Nous l’avons pris pendant que la direction de l’[ANC] était en vase clos en train de se parler à soi-même. »

Son rôle est d’utiliser un discours radical pour contraindre les sections de travailleurs mécontents à se ranger derrière la faction exclue de l’ANC qu’il dirige et les soumettre une fois de plus à l’exploitation des entreprises mondiales en alliance avec la bourgeoisie noire.

Parallèlement aux menaces proférées contre l'AMCU, une campagne est menée pour récupérer à bord ce syndicat dissident. Des réunions ont été prévues entre le syndicat et le ministre du Travail ainsi que la Chambre des Mines, alors qu’Impala Platinum (Implats) a dit qu’il commencera à vérifier l’affiliation syndicale dans ses mines pour déterminer si l’AMCU devrait être reconnu au lieu du NUM ou à côté de lui. Le PDG d’Implats, Terence Goodlace, a dit que des progrès étaient accomplis malgré le fait que « bon nombre de ces gens ne sont pas aussi expérimentées que le NUM. »

Malgré ces efforts, de sérieux avertissements sont émis concernant les implications plus générales des événements de Marikana. Elizabeth Stephens, directrice du courtier en assurance Jardine Lloyd Thompson (JLT) qui évalue les risques politiques, a dit que ces développements constituaient « une indication de tensions économiques et politiques plus vastes partout en Afrique. »

Elle a poursuivi en disant: « Une vague de grèves a été observée ces derniers mois dans des régions minières clé d'Afrique et, dans la plupart des cas, les grévistes ont réussi à obtenir des augmentations de salaire, on pourrait dire conférant aux mineurs la confiance nécessaire pour faire grève sur des questions telles que le salaire. »

(Article original paru le 25 août 2012)

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