Le groupe punk russe Pussy Riot en prison pour une chanson anti-Poutine

Trois membres du groupe punk russe Pussy Riot ont été condamnés, vendredi 17 août, à deux ans de prison pour avoir chanté des chansons critiquant le président russe Vladimir Poutine.

Les jeunes femmes sont jugées à Moscou depuis le 30 juillet. Elles sont accusées « de conduite désordonnée et de mépris à l’égard des vénérables traditions de l’église orthodoxe russe, » ainsi que pour une performance non autorisée des Pussy Riot à la Cathédrale du Christ-Sauveur de Moscou (CCS) le 21 février dernier. Le groupe compte un grand nombre de partisans qui portent tous des masques lors des performances pour essayer de garder leur identité secrète.

Les trois jeunes femmes à qui on fait le procès et qui ont déjà purgé six mois de prison, sont Nadejda Tolokonnikova, Maria Alekhina et Ekaterina Samoutsevitch. Deux d’entre elles ont un enfant en bas âge.

Un document vidéo de cette performance ainsi qu’un autre enregistré deux jours plus tôt dans une autre église à Moscou ont conduit à l’affaire actuelle. Les jeunes femmes qui s’étaient rendues à l’autre église munies de guitares et d’une sonorisation ont été escortées hors des lieux par des gardes de sécurité au moment d’entamer leur action.

La séquence vidéo, qui est apparue très rapidement sur l’internet, montre que les Pussy Riot considéraient leur action comme une prise de position politique. Le refrain de la chanson disant, « Mère de Dieu, chasse Poutine ! » Influencée par des théories postmodernistes et féministes, la perspective du groupe s’aligne sur de nombreuses organisations de la classe moyenne qui sont actives dans le mouvement de protestation ayant démarré en décembre dernier contre le trucage des élections parlementaires en Russie.

Deux des trois femmes ont été arrêtées le 3 mars, un jour avant les élections présidentielles lors desquelles Vladimir Poutine a été élu pour un troisième mandat présidentiel.

Le procès des trois membres du groupe Punk a été marqué par des violations grossières de procédure. Durant les auditions, les accusées étaient assises dans une cage de verre, un « aquarium », comme si elles posaient une menace pour la société ; la communication avec leurs avocats a été entravée. Presque tous les témoins cités par la défense ont été empêchés d’assister au procès tandis que des gens qui n’étaient même pas présents lors de l’événement ont été admis comme témoins à charge. La cour a tenté d’interdire aux journalistes de rendre compte des dépositions des témoins.

Le procureur général a exigé que les femmes soient condamnées à trois ans de prison. La juge Marina Syrova a dit, pour justifier la décision de la cour d’imposer une sentence de deux ans, « L’action des filles est un sacrilège, un blasphème et une enfreinte aux règles de l’église. » Elle a ajouté qu’elles étaient coupables de hooliganisme motivé par la haine religieuse, visant à offenser tous les croyants orthodoxes russes.

Les avocats de la défense envisagent de faire appel.

Le procès est une tentative délibérée des autorités russes de réduire au silence l’opposition publique en imposant des sanctions draconiennes lors de procès fabriqués de toute pièce pour avoir critiqué Poutine ou l’église orthodoxe russe.

De nombreux chanteurs et interprètes célèbres – dont Sting, Madonna, la veuve de John Lennon, Yoko Ono, et les groupes Faith No More, Franz Ferdinand, et Red Hot Chili Peppers – ont déclaré leur soutien à Pussy Riot.

Selon la loi russe, les actions de Pussy Riot ne sont pas passibles de poursuites criminelles. La Cathédrale du Christ-Sauveur en fait n’appartient pas à l’Eglise orthodoxe mais au gouvernement de Moscou. Tous les ans, plusieurs centaines de millions de roubles de fonds publics sont consacrés à son entretien ; l’Eglise orthodoxe ne fait que louer le bâtiment.

Le procès a donné la possibilité à différents politiciens impérialistes occidentaux de se présenter hypocritement comme les amis de la démocratie en critiquant Poutine. La chancelière allemande Angela Merkel dont le gouvernement a à maintes reprises insisté pour que la Grèce impose une politique d’austérité impopulaire indépendamment de l’opinion de l’électorat et du parlement grecs, a dénoncé le verdict. Elle a dit qu’il n’était pas « en harmonie avec les valeurs européennes d’Etat de droit et de démocratie pour lesquelles la Russie s’est prononcée en tant que membre du Conseil de l’Europe. »

Les agissements du Kremlin ne sont pas uniquement un signal à l’adresse du mouvement de protestation comme quoi les autorités sont prêtes à recourir à une répression dure à son égard mais ils ont aussi un contexte politique et idéologique plus général. Ils forment les préparatifs pour une répression de l’opposition de la classe ouvrière et un virement plus prononcé à la droite de l’oligarchie « gangster » dirigeante russe.

Dans l’incapacité de formuler une quelconque argumentation cohérente pour sa légitimité, cette oligarchie qui a émergé de la liquidation de l’URSS et du pillage des biens publics soviétiques est actuellement en train d’adopter une base explicitement religieuse pour son règne.

Les médias de masse pro-Kremlin appellent ouvertement à la suppression de la séparation de l’église et de l’Etat. Larisa Pavlova, l’avocate de l’église dans le procès Pussy Riot, a soutenu que « le patriarche n’est pas un simple citoyen ; c’est une personne qui a des qualités sacrées. »

Cette position reprend celle de l’église même. L’archiprêtre Vsevolod Chaplin, en sa qualité de représentant de l’Eglise orthodoxe russe, avait dernièrement insisté pour que les tribunaux jugent les affaires « suivant la loi morale, qui parfois supplante la loi [séculaire]. »

Dans un article paru le 19 juillet sur le site Internet Vzglyad, Alexander Razuvayer a écrit : « Après l’effondrement du communisme, un vide idéologique s’est formé en Russie. L’effondrement du communisme en soi a été, dans une large mesure, le résultat d’un athéisme agressif exigé par le communisme… Certains Etats pygmées européens peuvent bien se passer d’une idéologie, mais un système social complexe et vaste tel que la Russie ne peut exister sans une idéologie. Et donc, l’Eglise en Russie ne doit pas être séparée de l’Etat. Elle doit jouer à peu près le même rôle qu’avant 1917. »

L’adoption du cléricalisme par le Kremlin cherche également à occulter l’immense richesse passée dans les mains de l’Eglise en raison de ses liens étroits avec l’Etat et ce, dans des conditions où la grande majorité de la population lutte pour joindre les deux bouts. Au printemps dernier, par exemple, un scandale avait éclaté lorsqu’il a été connu que le patriarche russe Kirill portait au poignet une montre Breguet valant 30.000 euros.

Plus généralement, le Kremlin fait systématiquement appel aux instincts les plus obscurantistes et aux préjugés réactionnaires et nationalistes pour tenter de sauvegarder l’apparence d’un soutien populaire en faveur de la clique dirigeante d’oligarques businessmen et d’anciens nervis du KGB.

Le président Vladimir Poutine a personnellement approuvé l’arrestation et le procès des jeunes femmes en l’associant à des appels à l’antisémitisme et à l’islamophobie.

A son arrivée à Londres pour les jeux olympiques d’été au début du mois d’août, il avait déclaré que « si ces filles étaient allées en Israël et y avaient profané quelque chose là-bas… ou si elles étaient allées dans le Caucase et y avaient profané quelque sanctuaire de l’islam, on n’aurait même pas pu les protéger. » Après cette déclaration, il avait hypocritement affirmé qu’il ne fallait pas juger les filles « trop sévèrement. »

(Article original paru le 18 août 2012)

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