Des protestations de masse contre le référendum sur la nouvelle constitution égyptienne

Plus d’une centaine de milliers de personnes ont manifesté au Caire et des dizaines de milliers d’autres se sont rassemblées hier 11 décembre dans d’autres villes égyptiennes contre le référendum prévu le 15 décembre sur la constitution islamiste. Promue par le président Mohamed Morsi et les Frères musulmans, la nouvelle constitution entérine l’autorité de l’armée.

Le week-end dernier, une déclaration publiée par Morsi a affirmé que le vote sur la constitution aurait bien lieu.

Les manifestants au Caire ont franchi une barrière de béton érigée par l’armée devant le palais présidentiel. Ils ont renversé des blocs de béton au moyen de chaînes tandis que des centaines de soldats se rapprochaient davantage des murs du palais. A Alexandrie, des milliers ont protesté et, dans les deux villes, des manifestations rivales ont été organisées par les partisans de Morsi.

Des manifestations anti-Morsi ont aussi eu lieu à Suez, à Mahalla et à Port Saïd. Les quartiers généraux des Frères musulmans à Alexandrie et à Mansoura ont été ravagés et incendiés dans le cas de Mansoura. Les Frères ont officiellement demandé que l’armé protège son principal quartier général au Caire.

Les combats entre des partisans des Frères et des manifestants anti-Morsi ont fait rage à Mahalla, un centre de l’industrie textile égyptienne, en faisant 300 blessés. Il y a également eu des affrontements à Port Saïd.

La police a à plusieurs reprises tiré des gaz lacrymogènes près de la Place Tahrir alors que les manifestants continuaient d’affluer en grand nombre.

Le journal britannique The Guardian a cité Haytham Mohamedeen des Socialistes révolutionnaires égyptiens disant que les protestations visaient à « mettre fin à l’oppression et à affronter la nouvelle dictature de Morsi. » Alors que ce porte-parole des Socialistes révolutionnaires pseudo-gauches n’est pas allé jusqu’à réclamer le renversement de Morsi, d’autres manifestants l’ont fait. Le slogan de la révolution de 2011 qui avait fait chuter le dictateur soutenu par les Etats-Unis, Hosni Moubarak, « Le peuple veut la chute du régime » a résonné au Caire et dans d’autres villes, dont Alexandrie et Suez.

Au cours de ces dernières semaines une répression de plus en plus brutale a été menée conjointement par les nervis des Frères musulmans et les services de police et de sécurité. Tôt mardi matin, des dizaines d’hommes armés et masqués ont attaqué des manifestants anti-Morsi sur la Place Tahrir, en blessant neuf avec des décharges de chevrotine. Deux manifestants ont été blessés à la poitrine et un dans l’aine. Des cocktails Molotov ont aussi été lancés. Des véhicules de police ont encerclé la place dans le centre-ville du Caire.

La semaine passée, des affrontements devant le palais présidentiel ont fait des centaines de blessés et cinq morts, alors que des unités de style militaire des Frères ont matraqué les manifestants et tiré des coups de feu pendant 15 heures de batailles de rue. L’Associated Press a cité des rapports selon lesquels 12.000 partisans de Morsi ont attaqué quelques milliers de manifestants. Un centre de détention a été mis en place sous les yeux de la police et près d’un mur mitoyen avec le palais. Près de 140 manifestants anti-Morsi ont été détenus et torturés pour obtenir d'eux de fausses confessions d’être des agents à la solde d’Israël.

Lundi, une étape majeure a été franchie en vue de l’imposition d’un régime militaire avec l’entrée en vigueur d’un décret présidentiel – la loi 107 – autorisant l’armée à arrêter des civils et à protéger les « installations vitales de l’Etat » jusqu’à l’annonce des résultats du référendum de samedi. Le décret octroie à l’armée « tous les pouvoirs des magistrats, » en reprenant les dispositions de la constitution de Morsi qui permet à l’armée de juger des civils pour des crimes « portant atteinte aux forces armées. »

Même avec le soutien de l’armée, Morsi se trouve dans une situation précaire compte tenu de l’opposition grandissante contre son régime. C’est pourquoi il a été obligé de renier temporairement sa promesse d’imposer les coupes substantielles dans les dépenses et les hausses d’impôts exigées par le Fonds monétaire international en échange d’un prêt de 4,8 milliards de dollars prévu pour le 19 décembre en plus de 2 milliards de dollars supplémentaires de la Banque mondiale.

La décision suscitera très certainement l’inquiétude des Etats-Unis et d’autres puissances impérialistes dont Morsi dépend autant qu’il dépend de l’armée égyptienne.

Morsi et les Frères sont considérés être des alliés clé de Washington au Moyen-Orient, comme le montre le rôle clé qu’ils ont déjà joué en Tunisie, en Libye et en Syrie. Ils sont perçus comme un mécanisme politique clé pour contrôler et réprimer la classe ouvrière en Egypte.

Un élément crucial de l’appel lancé par Morsi aux Etats-Unis et aux autres puissances occidentales est son engagement à procéder à des réformes économiques qui profiteront aux investisseurs internationaux de l’Egypte. Il appelle ses propositions en faveur d’un contrôle privé de l’économie, « une limite du rôle de l’Etat » et la réduction drastique des subventions sociales son « programme de Renaissance. »

Dimanche, le premier pas de cette « Renaissance » a été annoncé sous la forme d’un décret présidentiel imposant des augmentations d’impôts sur plus de 50 produits, dont le carburant, l’électricité, l’acier, le ciment, les cigarettes et l’alcool. Mais, dès le lendemain, Morsi a suspendu les augmentations d’impôt par une annonce faite à 14 heures sur sa page Facebook dans le but d’étouffer la dissidence politique parce que, a écrit Morsi, il avait « senti le pouls de la rue et est conscient du lourd fardeau qu’ont à porter les citoyens égyptiens en ces temps de crise économique. »

Mardi, le FMI a annoncé que le prêt prévu serait retardé d’un mois mais a souligné que c’était en réponse à une demande de l’Egypte. Le ministre des Finances, Mumtaz al-Said, a dit que le report, et non l’annulation, des « mesures requises » visait à laisser suffisamment de temps pour expliquer à la population égyptienne les mesures d’austérité amèrement opposées.

Les Etats-Unis n’ont en aucune manière abandonné Morsi. Cette semaine le gouvernement Obama a affronté des Républicains s’opposant à son intention d’honorer son engagement de livrer 20 avions de chasse F-16 dans le cadre d’un plan d’aide d’un milliard de dollars datant d’avant la chute d’Hosni Moubarak et prévu pour janvier 2013.

Le porte-parole du Pentagone, le lieutenant-colonel Wesley Miller a dit que la décision était indispensable compte tenu que les relations de défense entre les Etats-Unis et l’Egypte « ont servi pendant plus de trente ans de pierre angulaire à notre partenariat stratégique plus large. »

Le responsable du Département d’Etat, Andrew Shapiro, a ajouté, « Nous avons continué de compter sur l’Egypte pour soutenir et promouvoir les intérêts américains dans la région, y compris la paix avec Israël, pour faire face aux ambitions iraniennes, pour interdire la contrebande et soutenir l’Irak. »

Le Front de Salut national de l’opposition qui est dirigé par des figures bourgeoises telles Mohamed El-Baradei et Amr Moussa, a déclaré vouloir boycotter le vote sur la nouvelle constitution. Mais, il ne demande rien de plus qu’un arrangement avec les Frères et l’armée et qui garantira que les couches du patronat pour lesquelles il s’exprime bénéficieront d’une position d’autorité au sein de l’appareil d’Etat et participeront à l’exploitation de la classe ouvrière.

C’est pourquoi, le communiqué officiel du Front s’est plaint de ce que la décision de Morsi « ne causerait que davantage de division et de polarisation, » plutôt que de souligner ses implications antidémocratiques. El-Baradei est passé à la télévision pour ne demander qu'un report de deux mois du référendum.

Alors même que les manifestants se regroupaient en masse sur la Place Tahrir et devant le palais présidentiel, des articles de presse égyptiens ont commencé à circuler selon lesquels l’armée avait réclamé des pourparlers entre Morsi et l’opposition dans le but de mettre un terme aux protestations et de garantir que le référendum aurait bien lieu samedi.

Le général Abdel Fattah al-Sissi, ministre de la Défense et commandant en chef des forces armées de par la constitution intérimaire militariste de l’Egypte, a été cité sur la page de Facebook de l’armée pour avoir déclaré, « Le chef de l’armée et le ministre de la Défense demandent une réunion dans l’intérêt de l’Egypte et qui réunira les partenaires nationaux en présence du président de la République. »

Parmi ceux qui ont été invités à assister aux pourparlers convoqués mercredi 12 décembre 2012 à 16 heures 30 au Air-Defence Hall, dans le village olympique de l’Egypte dans le nouveau district du Caire, on compte le gouvernement, des juges et « toutes les forces politiques. »

Hamdeen Sabahi du parti nassérien La Dignité, souhaitant ne pas donner l’impression de renoncer à s’opposer au référendum, a dit craindre que sans un programme précis, il y avait le risque que les pourparlers ne seraient qu’un exercice de relations publiques. Il a remis à aujourd’hui une prise de décision définitive de participer ou non.

Dans le même temps, il a déclaré, « L’armée égyptienne est une grande armée qui est hautement appréciée de tous les Egyptiens. Nous la respectons elle et les efforts qu’elle entreprend. »

L’on s’inquiétait de toute évidence que de tels pourparlers, sous les auspices de l’armée et à peine trois jours avant la tenue du référendum, ne provoquent une réaction de colère de la part de millions de travailleurs et de jeunes opposés à Morsi et étant actuellement regroupés derrière le Front de Salut national. Ceci a incité l’agence de presse officielle égyptienne MENA à souligner que les pourparlers seraient un « dialogue [non politique] avec tous les partenaires nationaux » et « un message de réconfort pour le peuple égyptien. »

(Article original paru le 12 décembre 2012)

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