La chancelière allemande rejette les demandes des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne d’apporter une « réponse immédiate » à la crise de l’euro

Lors de discussions qui ont eu lieu jeudi à Berlin avec le premier ministre David Cameron, la chancelière allemande Angela Merkel a répondu par une nette rebuffade aux exigences américaines et britanniques en faveur d’une action immédiate concernant l’aggravation rapide de la crise financière européenne. Après avoir consulté le président américain Barack Obama, le dirigeant britannique s’est rendu à Berlin pour faire pression sur le gouvernement allemand pour qu’il accepte un plan de sauvetage des banques européennes.

Merkel a répondu en déclarant « il n’y a pas de solution miracle » pour résoudre la crise. Elle a laissé entendre que l’Allemagne était disposée à envisager l’éclatement de l’Europe en groupes économiques concurrents.

Les gouvernements américain et britannique incitent instamment l’Allemagne à soutenir une nouvelle injection de fonds dans le système bancaire européen soit par la Banque centrale européenne (BCE) soit par le Mécanisme européen de stabilité (MES), qui est le fonds de sauvetage européen. A long terme, Londres et Washington demandent l’établissement d’un mécanisme de financement pan-européen, les soi-disant euro-obligations, afin d’étayer le système bancaire du continent.

Toutes ces mesures nécessiteraient d’énormes transferts de fonds de l’Allemagne vers les économies et les banques plus faibles de l'Europe, une mesure à laquelle le gouvernement, la banque centrale et de vastes couches du monde des affaires sont opposés. Plutôt que de céder aux exigences des Etats-Unis et de la Grande-Bretagne, qui sont soutenus par les économies en difficulté comme l’Italie et l’Espagne, Merkel a clairement fait comprendre que l’Allemagne était prête à aller de l’avant avec un groupe plus petit de pays, dans une Europe à « deux vitesses. »

Jeudi matin, avant l’arrivée de Cameron, Merkel a accordé une interview à la télévision allemande au cours de laquelle elle a déclaré qu’en réponse à la crise, les pays qui font partie d’« une union monétaire doivent se rapprocher davantage. » Elle a poursuivi en disant, « Nous ne pouvons pas simplement rester immobile [bloquer le processus] parce que l’un ou l’autre ne veut pas nous suivre. »

Sans nommer expressément la Grande-Bretagne, la cible de ses remarques était évidente. La Grande-Bretagne n’a pas rejoint la zone euro et a refusé, en début d’année, d’accepter que la règle budgétaire stricte élaborée par Berlin s’applique à l’ensemble de l’Europe. Merkel a, à plusieurs reprises, insisté en disant que toute acceptation des euros obligations par l’Allemagne était subordonnée à l’obligation d’accepter son pacte budgétaire. Ses remarques visaient à prévenir la Grande-Bretagne que l’Allemagne ne dépend pas de sa coopération pour déterminer la future politique européenne.

Le gouvernement allemand a aussi des différences avec la Grande-Bretagne et les Etats-Unis au sujet de l’application d’une taxe européenne sur les banques qui créerait une modeste réserve de fonds pour les prochaines années. Mercredi, la coalition dirigée par l’Union chrétienne démocrate (CDU) de Merkel a conclu un accord avec l’opposition sociale-démocrate qui rend le soutien du plan budgétaire du gouvernement tributaire d’une décision en faveur d’une telle taxe bancaire. Pour leur part, le Royaume-Uni et les Etats-Unis rejettent toute mesure susceptible d’empiéter sur le rôle de premier plan joué sur les marchés financiers internationaux par la City de Londres et Wall Street.

L’ampleur des divergences entre l’Allemagne et l’axe Londres et Washington s'est révélée dans un échange entre l’économiste en chef du Financial Times, Martin Wolf, et Ludger Schuknecht, un haut responsable du ministre allemand des Finances.

Dans une réponse à un récent article dans lequel Wolf critiquait Berlin pour avoir surévalué l’austérité et pour avoir omis de prendre des mesures visant à empêcher l’effondrement de l’euro, Schuknecht a rejeté toutes « mesures à court termes. » Il a poursuivi en excluant la création d’euro obligations, en disant qu’elles ne feraient qu’aggraver la situation.

A son tour, Wolf a publié une réplique cinglante en prévenant : « On oublie souvent, notamment en Allemagne, que l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler fut précédée non pas par la grande inflation qui avait eu lieu une décennie plus tôt, mais par la grande dépression et l’austérité de Heinrich Brüning, conséquemment. » Wolf a conclu en reprochant à Schuknecht d’ignorer les risques inhérents au type de malaise économique qui englobe aujourd'hui l’Europe.

La rebuffade de Merkel à l’égard de Cameron et sa divulgation d’une Europe à deux vitesses dénotent un niveau de préoccupation croissant au sein de l’élite financière et patronale allemande. L’édition de vendredi du journal Handelsblatt a consacré six pages à un article se plaignant des coûts de l’intégration européenne pour l’Allemagne. Le rédacteur en chef du quotidien allemand, Gabor Steingart, privilégie l’« approche prudente » de la chancelière vis à vis de la crise et l’invite instamment à se réjouir de ce qu’elle n’est pas aussi isolée qu’il semble. »

Steingart poursuit en rejetant une Europe vivant aux dépens de l’Allemagne, en disant que les propositions d’utiliser les réserves fiscales et les économies de ses citoyens (près de 2 milliards de milliards d’euros) pour sauver d’autres pays constituent « une notion qui ne peut que nuire à l’Europe. »

Dans son éditorial publié à la Une, le journal écrit que la crise actuelle soulève « des questions d’une importance historique, » et poursuit : « Devons-nous nous sauver jusqu’à en mourir ? Les coûts de sauvetage de l’euro sont-ils équitables par rapport aux coûts impliqués dans une éventuelle réduction de l’union monétaire à un groupe viable et fiable? »

Les commentaires de Merkel soulevant la possibilité d’une Europe à deux vitesses sont similaires aux propositions mises en avant par Jörg Asmussen, le membre allemand du directoire de la Banque centrale européenne. Dans un discours tenu il y a deux semaines, il avait appelé à un processus accéléré d’intégration des pays de la zone euro dans une « union bancaire, une union budgétaire et aussi une union politique. » Pour pouvoir se concentrer sur ce projet, Asmussen avait proposé que l’UE suspende ses projets d’expansion aux Balkans et en Turquie.

Alors que toute l’attention est actuellement monopolisée par les problèmes immédiats des banques espagnoles, ceux-ci ne forment que la partie émergée d’un bien plus grand iceberg. Un éditorial paru mercredi dans le journal britannique The Guardian a indiqué que la véritable question n’est pas simplement celle des banques insolvables en Espagne ou en Irlande, mais de tous les marchés financiers de l’Europe périphérique, en plus des principales banques (en Allemagne, en France et en Autriche) qui leur prêtent de l’argent. L’article déclare : « Oublions l’austérité, les unions budgétaires et les régimes d’inflation à la BCE… l’effondrement de l’euro a pour objet principal la question de savoir comment gérer les épaves de leur secteur financier.

Dans le contexte d’un effondrement financier nécessitant des centaines de milliards en nouveaux fonds de renflouement, d’influents cercles d’affaires et financiers en Allemagne avertissent que le temps est venu de tirer la sonnette d’alarme. Berlin, disent-ils, doit cesser d’être le trésorier-payeur de l’Europe et se préparer à l’éclatement de l’Europe en un petit groupe de pays au Nord dominés par l’Allemagne et les autres abandonnés à leur sort.

Le fait qu’une telle proposition soit à présent discutée publiquement en Allemagne est l’expression d’une profonde crise politique en Europe. Un tel éclatement qui pourrait commencer avec la sortie de la zone euro de la Grèce, relancerait des problèmes historiques non résolus de longue date. Par exemple, où la France se positionnerait-elle dans une Europe divisée ?

Les propositions diffusées par Berlin, si elles étaient appliquées, exacerberaient considérablement les tensions entre les élites nationales de l’Europe, en augmentant le risque d’une balkanisation du continent et de nouveaux conflits militaires.

La classe ouvrière en Europe doit être mobilisée sur la base de sa propre perspective internationale indépendante pour le renversement des institutions réactionnaires de l’UE et des divers gouvernements nationaux pour les remplacer par les Etats socialistes unis d’Europe.

(Paru en anglais le 9 juin 2012)

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