Les associations étudiantes québécoises réclament de nouveaux pourparlers

Un peu plus d’un mois après que le gouvernement libéral a adopté la loi 78 – une loi draconienne qui criminalise dans les faits la grève des étudiants – et presque deux semaines après que le gouvernement a rompu une nouvelle série de fausses négociations, les associations étudiantes réclament à nouveau des pourparlers.  

Cet appel se base sur l’affirmation que la lutte des étudiants pour l’accès à l’éducation postsecondaire peut être réconciliée avec le programme d’austérité du gouvernement libéral de Charest, un programme qui vise des coupes dans les dépenses publiques, des hausses de taxes régressives et l’imposition du principe de l’« utilisateur-payeur » pour les services publics, un prélude à leur privatisation. 

En fait, la lutte combative menée par les étudiants au Québec les a directement mis en conflit non seulement avec le gouvernement libéral, mais avec l’ensemble de la classe dirigeante canadienne, sa justice et sa police. Dans un geste qui souligne le soutien de la classe dirigeante à travers tout le Canada pour la tentative du gouvernement libéral d’éradiquer la grève des étudiants au moyen de mesures antidémocratiques, le gouvernement fédéral conservateur a proposé que le Parlement adopte une motion renforçant le soutien pour la loi 78 en dépit des critiques émises par le Haut-Commissariat des Nations unies aux droits de l’Homme.

Lors de la dernière série de négociations, les quatre associations étudiantes provinciales ont accepté de laisser tomber leurs revendications pour que le gouvernement abroge ou suspende certaines sections de la loi 78 et elles ont aussi accepté la part du lion des augmentations des frais d’inscription à l’université exigées par le premier ministre Charest et la ministre de l’Éducation, Michelle Courchesne. Mais elles se sont rebiffées à l’exigence du gouvernement pour que les augmentations des frais de scolarité entrent en vigueur en septembre prochain, de crainte qu’en les acceptant, elles ne s’exposent à la colère des étudiants. Début mai, les étudiants avaient massivement rejeté un accord traitre que le gouvernement avait contraint les dirigeants des étudiants à accepter avec l’aide des présidents des trois principales fédérations syndicales du Québec.

Lundi, la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) a tenu une conférence de presse pour instamment inviter le gouvernement à accepter une médiation. « Le médiateur… [est là] pour permettre d’arriver à un compromis qui est acceptable pour tous », a affirmé la présidente de la FECQ, Éliane Laberge. Laberge a remarqué que toutes les autres associations étudiantes ont déjà déclaré leur soutien à une médiation.

La proposition de la FECQ a été fortement appuyée par la Fédération des travailleurs et des travailleuses du Québec (FTQ), la plus importante fédération syndicale de la province qui a à maintes reprises déploré la « crise sociale » engendrée par la grève des étudiants.

Il n’a pas fallu attendre longtemps pour que le gouvernement rejette l’appel de la FECQ. « Ce ne sont pas les tierces parties qui décident pour le gouvernement du Québec », a dit un porte-parole du gouvernement au micro de Radio-Canada.

Le gouvernement compte sur les syndicats, sur le parti social-démocrate canadien, le Nouveau Parti démocratique (NDP), et sur d’autres forces prétendument de gauche pour isoler les étudiants en les laissant face aux dispositions de la draconienne loi 78.

Tout en dénonçant la loi 78 d’être une grave menace aux droits démocratiques, les syndicats ont promis de respecter la loi, y compris les dispositions qui stipulent qu’ils fassent tout leur possible pour garantir que les enseignants et autres employés des universités et des cégeps (des collèges préuniversitaires et techniques) aident le gouvernement à briser la grève des étudiants. En maintenant cette position, les syndicats n’ont pas condamné l’arrestation d’Amir Khadir, l’unique législateur de Québec solidaire, pour avoir commis le « crime » de manifester sans l’autorisation de la police.

Quant au NDP, il a justifié son refus de même soutenir pour la forme les étudiants ou de s’opposer à la loi 78 au motif que l’affrontement entre les étudiants et le gouvernement libéral était une « question provinciale ».

Dans un autre subterfuge, le NDP affirme qu’il reste « neutre » dans la confrontation de classe qui a éclaté au Québec, de façon à se concentrer sur la « lutte contre Harper » – une lutte qui a consisté en ce que le NDP propose, de concert avec d’autres partis de l’opposition, des amendements au budget d’austérité « transformateur » du gouvernement conservateur. Compte tenu de la majorité du gouvernement, ces amendements étaient tous voués à la défaite.

La mise en quarantaine, dans les confins du Québec, de la grève des étudiants et du vaste mouvement formé largement par la classe ouvrière et qui a éclaté en réponse à la loi, va de pair avec une campagne concertée de la part de l’establishment politique, des médias qui sont à la solde des grandes entreprises, des syndicats et des associations étudiantes pour détourner le mouvement d’opposition combatif et progressant vers la gauche, dans les canaux de la politique électorale qui sont contrôlés par la classe dirigeante

La Presse, le quotidien le plus influent du Québec, a à maintes reprises publié des éditoriaux pour que des élections soient tenues dans les plus brefs délais. Il préconise clairement un retour au pouvoir du gouvernement libéral et il invoquerait un nouveau mandat électoral libéral pour qualifier d’illégitime et d’« antidémocratique » toute opposition à ses mesures d’austérité. Mais les éditorialistes de La Presse ont très clairement fait savoir que si le parti d’opposition officiel, le Parti Québécois (PQ), était élu, ils sont pleinement convaincus qu’il appliquera les mêmes mesures d’austérité que les libéraux, en y apportant tout au plus quelques changements cosmétiques. En avançant cet argument, le chroniqueur de La Presse, Alain Dubuc, a souligné, à juste titre, que les gouvernements péquistes avaient initié le démantèlement de l’État-providence et qu’ils avaient, entre 1996 et 1998, mis en place les plus vastes coupes sociales de l’histoire du Québec.

Il est significatif de noter que tout en simulant une opposition à la loi 78 – la dirigeante du PQ, Pauline Marois, a promis de l’abroger – le PQ soutient que jusque-là, la loi doit être respectée et appliquée.

Les syndicats se trouvent, pour leur part, à l’avant-garde de la tentative de l’establishment politique d’enchaîner l’opposition à l’encontre du gouvernement libéral pro-patronal, derrière son parti jumeau pro-indépendance du Québec, le PQ. La Fédération des travailleurs et travailleuses du Québec (FTQ) a proclamé que son principal slogan était « Après la rue, les urnes ! »

Québec solidaire, qui se vante d’être un « parti de la rue et des urnes, » a entre-temps une fois de plus précisé qu’il était prêt à former une alliance électorale avec le PQ.

La FECQ et la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ), qui entretiennent tous deux de très étroites relations avec les syndicats, ont promu tout au long du conflit le PQ comme étant un « allié » des étudiants. La semaine passée, ils avaient pressé les étudiants à se réjouir de la victoire surprise du PQ lors de l’élection partielle dans une circonscription qui avait été aux mains des libéraux depuis plus d’un demi-siècle.

La Coalition large de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (CLASSE) se présente comme une alternative combative à la FECQ et à la FEUQ. Mai, elle partage leur perspective de contester l’establishment et elle s’est opposée de manière véhémente à faire de la lutte des étudiants le catalyseur pour un mouvement politique indépendant de la classe ouvrière contre les gouvernements Charest et Harper en opposition à l’ensemble des coupes sociales, des réductions d’emplois et de salaires. Plutôt que de démasquer le PQ comme étant un parti de la bourgeoisie, les dirigeants de CLASSE, les seules fois où ils le mentionnent, n’émettent que des critiques très modérées.

Et, comme les événements l’ont montré, CLASSE, tout comme la FECQ et la FEUQ, fut prête à négocier avec le gouvernement sur la base d’une acceptation de la loi 78 et de ses paramètres financiers, c’est-à-dire dans les limites budgétaires créées durant les années de baisses d’impôt par les libéraux et le PQ au profit du patronat et des riches.

La grève des étudiants a secoué l’élite dirigeante au Québec et partout au Canada. Mais, pour ne pas être isolée et étouffée, elle doit devenir le moyen pour mobiliser la classe ouvrière dans une lutte politique indépendante. Seule la classe ouvrière a le pouvoir social et un intérêt en tant que classe à établir les droits sociaux et à briser la mainmise que le patronat et son dictat du profit détiennent sur la vie socioéconomique.

(Article original paru le 20 juin 2012)

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