Le premier ministre japonais décide de redémarrer les réacteurs nucléaires

Le premier ministre japonais Yoshihiko Noda a passé outre les questions de sécurité et l'opposition populaire pour donner l'ordre de réactiver deux réacteurs du site nucléaire de Oi samedi dernier. Cette décision, acclamée par le monde des affaires, est considérée comme le premier pas vers le redémarrage des réacteurs fonctionnels du pays, qui avaient été arrêtés après la catastrophe du site de Fukushima Daiichi à la suite du tremblement de terre et du Tsunami de mars de 2011.

La catastrophe de Fukushima, la deuxième la plus grave au monde après l'explosion de Tchernobyl en 1986, a entraîné la fusion partielle du cœur de trois des six réacteurs du site. Plus de 80 000 habitants ont été contraints d'évacuer la zone interdite autour du site et ont été prévenus que cela pourrait prendre des dizaines d'années avant qu'un retour soit possible.

Dès le début de mai, les 50 réacteurs nucléaires du pays étaient tous à l'arrêt. Beaucoup d'entre eux étant hors circuit pour des maintenances de routine ou pour s'aligner sur les nouvelles normes de sécurité mais n'ont pas pu redémarrer en raison du large sentiment de méfiance du public envers les compagnies d'électricité et le gouvernement.

10 000 personnes ont manifesté à Tokyo samedi contre l'annonce faite par Noda. Le lendemain, plus de 2000 personnes ont rejoint une manifestation à Fukui, dans la même préfecture que Oi. Les maires de tout le Japon ont signé des lettres au Premier ministre contre cette décision.

D'après un sondage organisé par le Mainichi Shimbu au début du mois, 71 pour cent des personnes interrogées étaient contre un redémarrage anticipé des réacteurs de Oi, et seulement 25 pour cent y étaient favorables. Vendredi dernier, un groupe anti-nucléaire avec à sa tête le prix Nobel Kenzaburo Oe a adressé à Noda une pétition avec 7,5 millions de signatures demandant l'abolition de l'énergie nucléaire.

Noda a pris la décision de réactiver les réacteurs 3 et 4 du site de Oi sous la pression des investisseurs, dont le puissant lobby de l'énergie privée. La compagnie qui gère le site, Kansai Electric Power, avait indiqué que sans ce site, la demande d'électricité pourrait dépasser l'offre de 15 pour cent en été. La compagnie alimente la région de Kansai, qui comprends les villes d'Osaka et Kyoto, la seconde plus grande zone urbaine du pays.

Noda a insisté sur les coupures d'électricité dont pourrait souffrir la population. Mais le principal souci des élites qui dirigent l'économie est le manque d'énergie pour l'industrie, qui a été durement touchée non seulement par le triple désastre de l'an dernier, tremblement de terre, tsunami et crise nucléaire mais aussi par la crise économique mondiale qui s'aggrave, notamment en Europe. En dépit d'une croissance relativement forte au premier trimestre, 4,7 pour cent annualisés, la situation économique du Japon reste très incertaine.

L'agence de notation Moody's a accueilli la décision de Noda avec prudence, la qualifiant d'« indication d'un consensus émergeant » sur la réactivation des centrales nucléaires du pays qui est « importante pour le retour de l'industrie [électrique] à la rentabilité. » La fermeture des centrales nucléaires du pays avait entraîné des pertes financières dans pratiquement toutes les activités qui y sont liées au cours du dernier exercice fiscal.

Les deux centrales redémarreront avant même que le gouvernement n'ait mis en place le nouveau système de réglementation du nucléaire. La catastrophe de Fukushima a révélé les relations étroites entre la compagnie qui gérait la centrale, la Tokyo Electric Compagny (TEPCO) et l'Agence de sécurité nucléaire et industrielle (ASNI) qui était chargée de la superviser. Le puissant ministère de l'économie, du commerce et de l'industrie (le MITI), qui supervisait l'ASNI est également responsable de la promotion de l'énergie nucléaire.

L'ASNI n'a pris que des mesures limitées contre TEPCO, quatrième entreprise énergétique mondiale, en dépit de son lourd passif de manquements aux règles de sécurité, de falsification des rapports d'inspection de sécurité et de persécution des salariés qui osaient divulguer la vérité. TEPCO a été laissé aux commandes de la centrale de Fukushima alors même que sa gestion de la crise cherchait en premier lieu à protéger ses investissements et minimiser les pertes financières plutôt qu'à s'assurer que les réacteurs étaient maîtrisés aussi sûrement et rapidement que possible.

Tentant de rassurer le public, le gouvernement a insisté sur le fait que tous les réacteurs devaient subir des « tests de résistance » et appliquer des mesures de sécurité pour empêcher la répétition de catastrophes du type de Fukushima. Les digues de la centrale de Fukushima n'étaient pas assez hautes pour empêcher le tsunami de noyer les générateurs dont la centrale aurait eu besoin au plus fort de la crise. Le manque de puissance et la perte des systèmes de refroidissement du réacteur ont rapidement entraîné des augmentations dangereuses de la température du cœur des trois réacteurs opérationnels, risquant d'entraîner une fusion complète.

Cependant, les « tests de résistance » et les mesures de sécurité visent plus à freiner l'intense opposition du public qu'à établir des procédures capables de parer à toute éventualité dans les centrales nucléaires japonaises. L'annonce de Noda au sujet de la centrale de Oi intervient un jour après que le Parlement a adopté un projet de création d'une nouvelle Autorité de régulation nucléaire (ARN) liée au ministère de l'environnement au lieu du MITI. L'ARN doit encore être créée et n'a donc pas fixé les nouvelles normes de sécurité.

Dans des commentaires au Christian Science Monitor, le professeur Mitsuhiko Watanabe de l'Université de Tokyo a soulevé des inquiétudes sur le redémarrage. Il dit qu'il ne s'oppose pas à l'industrie nucléaire, mais pense qu'il y a des preuves scientifiques allant dans le sens de la possibilité de « zones dévastées », c'est-à-dire des failles géologiques, sous la centrale de Oi. Il a mis au défi les partisans de la décision de Noda d'affirmer que « la sécurité n'est pas garantie, mais nous autorisons le redémarrage pour d'autres raisons. »

La rapidité avec laquelle Noda a ordonné la reprise de l'activité de la centrale de Oi indique que ce sont les profits, et non la sécurité, qui continueront à dominer le fonctionnement de l'appareil de régulation du nucléaire. Le ministre du commerce et de l'industrie, Yukio Edano, a déclaré qu'il ne pourrait y avoir aucune garantie absolue sur la sécurité nucléaire dans un pays très exposé aux tremblements de terre. « Il n'y a pas de procédure parfaite en matière de prévention des catastrophes », a-t-il dit.

Avant son annonce, Noda a obtenu l'accord de deux personnalités locales, le maire de Oi et le gouverneur de la préfecture de Fukui. Leur accord, cependant, ne fait que souligner la dépendance économique très forte de cette région envers l'industrie nucléaire – 14 réacteurs sont étalés sur 50 kilomètres de front de mer, connu comme la « nuclear alley » du Japon. La région reçoit des subsides gouvernementaux importants en conséquence.

La petite ville de Oi dépend de la centrale : près de 450 habitants sur 2700 y sont directement employés et de nombreuses activités locales dépendent de la centrale directement ou indirectement. « L'énergie nucléaire est une aubaine par ici, » dit Jiku Miyazaki, activiste anti-nucléaire local, dans le Christian Science Monitor. Il n'est pas surprenant qu'un sondage ait trouvé que 64 pour cent de la population de la ville étaient partisans du redémarrage, contre 34 dans les régions voisines.

Mais il y a des inquiétudes sur la sécurité, même parmi ceux qui soutiennent la réouverture de la centrale. Hiromichi Muramatsu, qui possède un magasin d'alcools à Oi, déclarait au Monitor : « Mes ventes se sont effondrées depuis que les réacteurs ont été arrêtés, donc d'un point de vue financier je voudrais que les choses redeviennent comme avant […] le gouvernement doit s'assurer qu'il fait cela comme il faut pour garantir la sécurité, mais je ne suis pas sûr qu'il ait envisagé toutes les possibilités. Pour moi, le redémarrage intervient trop tôt. »

La décision de réactiver l'industrie nucléaire intervient alors que le gouvernement est déjà confronté à une opposition intense à ses projets d'augmenter la TVA déjà très impopulaire du pays. La mauvaise gestion de la catastrophe de Fukushima a été un facteur majeur dans l'effondrement du taux d'approbation du précédent Premier ministre, Naoto Kan, ce qui a entraîné sa démission en août dernier. Noda est confronté à des difficultés politiques similaires étant donné qu'il applique lui aussi les exigences du monde des affaires.

(Article original anglais paru le 19 juin 2012)

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