Le conflit au sujet de la Syrie menace la stabilité du Liban

Le gouvernement du Liban a déployé des troupes à Tripoli, la deuxième ville dans le Nord du pays, après que des affrontements sectaires ont tué 10 personnes samedi.

Le bilan humain le plus élevé ayant jusque-là un rapport avec la guerre civile dans la Syrie voisine s’est produit dans le district de Bab el-Tebbaneh et dans le quartier alaouite Jabal Mohsen. Des tireurs sunnites qui soutiennent l’opposition syrienne se sont opposés aux alaouites qui soutiennent le régime baasiste de Bachar al-Assad.

Au Liban, les tensions ont été grandes suite à une série de heurts armés, d’enlèvements ainsi que l’échec de l’Armée syrienne libre de libérer des pèlerins chiites enlevés en Syrie, ce qui menace de déstabiliser le pays.

Tripoli est un bastion sunnite et sert de base logistique aux forces d’opposition syrienne. On y a enregistré une augmentation notable des milices de combattants islamistes et des bandes. A son tour, ceci a attisé de violents affrontements entre les islamistes Sunnites et les Alaouites, une scission d’une secte chiite proche de la clique dirigeante syrienne.

L’augmentation des milices armées sunnites, tel le mouvement d’opposition en Syrie, est façonnée par ses promoteurs, l’Arabie saoudite, le Qatar, la Turquie et, avant tout, les Etats-Unis, en tant que mouvement sectaire contre le gouvernement du premier ministre Najib Mikati qui est soutenu par le Hezbollah. Le Hezbollah est un mouvement chiite soutenu par l’Iran et la Syrie. De même que de remettre au pouvoir le Mouvement du Futur de l’ancien premier ministre Saad Hariri, leur but ultime est de déloger en Syrie le régime d’al-Assad qui est basé sur les Alaouites et le gouvernement chiite en Iran.

Au début du mois dernier, des affrontements armés avaient éclaté à Tripoli, entraînant la mort de dix personnes et en blessant bien davantage. Ces affrontements ont fait suite à plusieurs journées de manifestations et de sit-in des Frères Musulmans et des Salafistes qui exigeaient la libération de rebelles islamistes pro-syriens, dont Shadi al-Mawlawi qui a été placé en détention pour cause d'appartenance à un groupe terroriste et pour avoir des liens avec Al-Qaïda. L’ordre n'a été rétabli qu’après que le gouvernement a mobilisé l’armée contre les Islamistes sunnites. Mawlawi a depuis été libéré contre le versement d’une caution bien que les accusations demeurent.

Les combats se sont propagés à la capitale, Beyrouth, où deux personnes ont été tuées lors d’affrontements entre des tireurs du Mouvement du Futur, qui est soutenu par Riyad et Washington, et un parti politique pro-Assad.

Le 21 mai, le cheikh Ahmad Abdel Wahed a été tué au moment où son convoi d’opposition pro-syrienne passait à un poste de contrôle à Akkar, après que l’armée libanaise a riposté à des tirs de francs-tireurs sunnites.

Ceci a provoqué des combats sectaires à Tripoli et à des échanges de tirs et de combats aux lance-grenades dans le quartier de Tariq al-Jedideh à Beyrouth. Un groupe de 200 jeunes salafistes masqués ont envahi et mis à sac un bureau appartenant à Shaker Berjawi, le dirigeant du courant arabe pro-syrien, tuant deux hommes de Berjawi.

Alors que Beyrouth a depuis longtemps été habituée à des escarmouches entre bandes armées, ceci semble avoir été l’oeuvre d’un groupe organisé bénéficiant d’un accès à des armes nouvelles, vu que toutes les balles étaient de la même marque au lieu de provenir de vieux fusils accumulés au fil du temps. Ceci porte la marque d’un plan conçu à Washington, Riyad et Doha dans le but de chasser hors du Sud Liban les partisans du Hezbollah pour renforcer l’influence sunnite dans la ville et exacerber le conflit.

Le 22 mai, un groupe de 11 pèlerins chiites libanais rentrant d’Iran ont été enlevés près d’Alep en Syrie. L’action a été revendiquée par une milice d’opposition syrienne précédemment inconnue, apparemment comme monnaie d’échange pour obtenir la libération d’opposants et déstabiliser le Hezbollah au Liban. La nouvelle a immédiatement amené des Chiites en colère à descendre dans les rues en bloquant les routes et en brûlant des pneus. Le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, a fait une rare apparition à la télévision pour appeler au calme.

Malgré l’existence d’articles relatant que les hommes enlevés avaient été libérés et avaient été rapatriés par avion d’Adana en Turquie à Beyrouth, ces hommes ne sont pas revenus. Les tensions ont été telles que le premier ministre Mikati et ses ministres de l’Intérieur et des Affaires étrangères se sont rendus à Istanbul pour rencontrer des responsables, dont le premier ministre turc, Recep Tayyip Erdogan, et s’assurer de leur aide pour le retour des hommes capturés. Erdogan avait préalablement donné des assurances que les personnes enlevées étaient « sauves et sur le chemin du retour à Beyrouth. » Une action de la sorte de la part de Mikati est la reconnaissance que la Turquie contrôle les forces d’opposition syriennes qui disposent de peu de soutien autonome ou populaire.

Publiquement du moins, Mikati, dont le gouvernement est redevable au Hezbollah et qui a lui-même d'étroites relations d’affaires avec l’élite syrienne, a cherché à tenir le Liban à l’écart du conflit en Syrie. Mais, il subit des pressions grandissantes des autocrates du Golfe qui font tout leur possible pour attiser des tensions sectaires comme moyen de torpiller son gouvernement.

Tout en apportant de l'aide aux forces d’opposition syriennes, la vaste quantité d’armes à bord de navires destinées à la Syrie via Tripoli a favorisé la croissance aux alentours de Tripoli et ailleurs au Liban de groupes combatifs sunnites.

Pour ne citer qu’un exemple, selon le Daily Star libanais, 300 Libanais de la plaine de la Bekaa, un bastion du Hezbollah, auraient rejoint les rebelles qui luttent contre le régime Assad. Alors que la plupart des volontaires se sont joints à l’Armée syrienne libre, il existe aussi une unité armée libanaise comptant entre 20 et 30 hommes qui opèrent entre la frontière et la ville syrienne de Qusayr. Le fait qu’un tel nombre existe dans la plaine de la Bekaa montre qu’un nombre bien plus important existe au coeur du monde sunnite.

Les tensions qui s’intensifient au Liban, notamment après la fusillade et le meurtre du cheikh Wahed à Akkar, ont contraint Mikati à retirer du Nord Liban l’armée composée en grande partie de Sunnites de crainte que les soldats ne refusent d’affronter les milices sunnites voire même qu'ils se joignent à eux.

En effet, Kikati est tenu de fournir un soutien aux forces d’opposition syriennes, tout en étant confronté à des demandes de plus en exigeantes de Damas de restreindre l’afflux des combattants et d’armes vers la Syrie. Ce qui n’est pas facile dans une situation où les deux économies sont étroitement intégrées et que de nombreux travailleurs syriens vont travailler au Liban, mais bien moins que le million qui jusque dernièrement y travaillait encore. Des centaines de poids lourds se déplacent dans les deux sens.

De nombreux incidents se sont produits le long des frontières poreuses du Liban dont les enlèvements d’hommes libanais emmenés en Syrie et qui ont provoqué des manifestations et des heurts séculiers ayant pour conséquence des meurtres de part et d’autre de la frontière.

L’atrocité du massacre survenu à Houla, en Syrie, où des dizaines de gens ont été tués dont des femmes et des enfants et qui a été attribué au régime syrien et à ses partisans sans qu’aucun élément de preuve concrète n’ait été jusque-là fourni, sert à aiguiser les divisions au sein du Liban et à déstabiliser le gouvernement.

Le Liban est en train de devenir à son tour l’élément central de graves conflits politiques entre les Etats-Unis et la Russie.

Le ministre russe des Affaires étrangères, Sergei Lavrov, s’exprimant le 23 mai lors d’une conférence de presse au sujet de l’enlèvement des pèlerins libanais avait prévenu, « Il y a un véritable danger que le conflit ne se propage au Liban où tout peut finir mal, compte tenu de son histoire, de la composition ethnique et religieuse de la population, et des principes sur lesquels est fondé le gouvernement. »

Faisant allusion aux promoteurs internationaux du conflit sectaire, il a clairement posé la question, « J’aimerais m’adresser à ceux qui sont en train d’attiser le conflit en Syrie. J’aimerais leur demander : veuillez dire ouvertement et honnêtement ce que vous voulez vraiment, que cherchez-vous à obtenir ? Si vous voulez que le régime de Bachar al-Assad soit renversé, pourquoi ne le dites-vous pas ouvertement ?

La secrétaire d’Etat américaine, Hillary Clinton, a répondu le 31 mai en accusant la Russie d’appuyer le régime d’Assad et de contribuer à « inciter une guerre civile. »

Le porte-parole de la Maison Blanche, Jay Carney, a cyniquement mis en garde contre une « guerre civile sectaire » se propageant au-delà des frontières syriennes » et se transformant en une « guerre par procuration » impliquant l’Iran qui soutient le gouvernement Assad ainsi que d’autres pays ou des forces qui soutiennent les insurgés. La réalité est qu’une telle guerre par procuration est déjà en train d’être menée, mais elle porte le label « Made in America. »

(Paru en anglais le 4 juin 2012)

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