Perspectives

Il faut défendre Julian Assange

L’on arrive à un moment critique de la vendetta prolongée du gouvernement américain et de ses alliés contre l’organisation WikiLeaks et son éditeur, Julian Assange.

Les possibilités d’appel pour empêcher que l’éditeur de WikiLeaks, Julian Assange, soit extradé de Grande-Bretagne vers la Suède pour être confronté à des allégations d’agression sexuelle présumée, s’amenuisent très rapidement. Le 30 mai, la majorité du jury de sept juges de la Cour suprême britannique a rejeté son appel contre la décision qu’un mandat d’arrêt international lancé par la Suède soit appliqué.

Les avocats d’Assange devraient tenter de présenter une demande de réouverture du dossier avant la date limite du 13 juin. Les juges britanniques sont susceptibles de ne pas accepter l’argument de la défense selon lequel leur décision était fondée sur une argumentation juridique non évoquée au cours de l’audition. Ses avocats pourraient aussi tenter de déposer un recours devant la Cour européenne des Droits de l’homme mais ceci aussi risque d’avoir peu de chance d’aboutir.

L’extradition d’Assange vers la Suède donnera presque certainement lieu à une inculpation et à sa détention. Elle créerait également les conditions pour les autorités américaines de dévoiler une accusation secrète d’un grand jury pour espionnage et le dépôt d’un mandat pour son extradition de la Suède.

L’existence d’un acte d'accusation secret en Virginie en 2010 a été confirmée dans des courriels divulgués par Fred Burton, vice-président de la société privée de renseignement Stratfor. Burton avait écrit en février 2011 : « Ne pas publier – nous avons un acte d’accusation scellé sur Assange. SVP protéger… Assange sera un beau gibier en prison. Bousillez le terroriste. Il bouffera à jamais de la pâtée pour chien. »

Cette haine farouche à l’égard d’Assange parmi les cercles dirigeants aux Etats-Unis est la conséquence de la révélation au grand jour par WikiLeaks des machinations sinistres et des crimes perpétrés par le gouvernement américain et des gouvernements de par le monde. Le site internet avait publié des informations qui avaient révélé les atrocités américaines en Irak et en Afghanistan ainsi que des centaines de milliers de câbles diplomatiques américains documentant les intrigues antidémocratiques qui sont tramées tous les jours dans les couloirs du pouvoir au plan international.

La réponse de l’establishment politique américain a été brutale et incessante. Assange a été confronté à des menaces de mort publiques. Le vice-président, Joseph Biden, l’a accusé d’être « un terroriste high-tech. » WikiLeaks a eu son domaine internet fermé et ses activités financières bloquées. Ses employés et ses partisans ont fait l’objet de harcèlement et de surveillance par l’Etat.

Le soi-disant informateur Bradley Manning est détenu sans chef d’accusation depuis plus de deux ans et sera traîné devant une cour martiale militaire en novembre prochain. Manning risque l’emprisonnement à vie pour espionnage et pour « collusion avec l’ennemi » comme ce serait le cas pour Assange s’il était poursuivi pour les mêmes chefs d’accusation.

Le gouvernement travailliste australien a collaboré ouvertement dans la poursuite judiciaire d’Assange, citoyen australien. Avant même toute accusation ou procès, le premier ministre australien, Julia Gillard, a qualifié ses actions de divulgation de dépêches diplomatiques d’« illégales ». Le procureur général a menacé d’invalider son passeport et a exigé que la Grande-Bretagne exécute le mandat d’extradition. Au cas où Assange parviendrait à retourner en Australie, le gouvernement travailliste a amendé le mois dernier la loi pour supprimer toute barrière à l’extradition de citoyens australiens pour des « infractions politiques » commises dans d’autres pays.

Le traitement d’Assange, de Manning et de WikiLeaks font partie d’une attaque plus générale contre les droits démocratiques sur le plan international, qui est déjà en cours sous la forme d'une « guerre contre le terrorisme. » Les droits fondamentaux tels la liberté d’expression et d’association sont en train d’être criminalisés par des gouvernements déterminés à protéger les intérêts de l’élite patronale dans le contexte de l’aggravation de la crise mondiale du capitalisme. Les méthodes d’Etat policier utilisées pour persécuter Assange seront plus généralement dirigées directement contre les masses de travailleurs alors qu’ils s’engagent dans des luttes contre l’austérité et la poussée vers la guerre. »

La disparition, parmi les cercles dirigeants, de tout engagement pour la défense des droits démocratiques est démontrée le plus concrètement par la réaction des soi-disant libéraux et gauchistes. Partout en Europe et aux Etats-Unis, ce milieu a pour l’essentiel refusé de défendre Assange et nombre d’entre eux ont accordé crédit aux allégations politiquement motivées d’agression sexuelle faites contre lui par un avocat général suédois de droite. Parmi les pseudo-radicaux, la presse de l’International Socialist Organisation (ISO) aux Etats-Unis et le Socialist Workers Party en Grande-Bretagne, ont fait savoir qu’Assange ne devrait pas être défendu parce qu’il est accusé de viol. Les inquiétudes sur la fausseté des accusations suédoises ont été écartées comme relevant de la « théorie du complot. »

En Australie, les Verts et les organisations pseudo-gauches « défendent » Assange en affirmant qu'on peut faire pression sur le gouvernement Gillard pour qu'il « fasse davantage » pour l’aider. Cette campagne sert à couvrir le rôle du Parti travailliste en aidant et en encourageant les efforts des Etats-Unis et de leurs complices à acheminer Assange dans une prison américaine. Une telle perspective ne peut que désorienter et démoraliser un grand nombre de personnes qui sont contre la traque d’Assange. La position du parti des Verts est particulièrement cynique. A aucun moment son ostensible préoccupation concernant les droits démocratiques ne l’a conduit à remettre en question, et encore moins à rompre, son accord pour maintenir au pouvoir le gouvernement travailliste minoritaire.

La défense d’Assange et de WikiLeaks doit être motivée par une compréhension des forces politiques et de classe qui sont à l’oeuvre. Les droits démocratiques sont attaqués par les gouvernements du monde entier parce que l’élite financière et patronale ne peut défendre ses profits et sa fortune que par la répression active de l’opposition au sein de la classe ouvrière. En d’autres termes, la démocratie est incompatible avec l’existence prolongée d’un ordre capitaliste qui a échoué.

La lutte pour la défense de Julian Assange et des droits démocratiques plus généralement est inséparablement liée à la mobilisation de la classe ouvrière en Grande-Bretagne, en Australie, aux Etats-Unis et internationalement contre le système de profit et ses partisans politiques. Il n’existe pas de raccourci au moyen de protestations et d’appels lancés à l’adresse des gens au pouvoir. Ce qui est nécessaire, c’est le développement d’un mouvement politique de la classe ouvrière qui soit indépendant et qui lutte pour l’établissement de gouvernements ouvriers, qui soit déterminé à réorganiser la société sur la base des besoins humains, et non des profits privés, et une démocratie authentique dans tous les domaines de la vie économique, politique et sociale.

(Article original paru le 9 juin 2012)

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