L’ancien premier ministre roumain est blessé par balle quelques heures après avoir été condamné à une peine de prison

Le 20 juin, l’ancien premier ministre de la Roumanie, Adrian Nastase, a été transporté à l’hôpital de Bucarest avec une blessure par balle au cou. Quelques heures plus tôt il avait été condamné à deux ans de prison par la cour suprême pour abus de pouvoir et financement illégal des partis. Ce jugement est sans appel.

Selon les comptes rendus dans les médias, l’ancien premier ministre a écouté le verdict avec calme. Lorsque les policiers sont arrivés chez lui pour l’emmener à la prison, Nastase a demandé de pouvoir disposer d’un peu de temps pour prendre des livres dans sa bibliothèque. C’est à ce moment, a dit la police qu’il a tenté de se tuer avec un pistolet.

Quelques jours plus tard, toutefois, des doutes sont apparus sur cette histoire de suicide. Le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung a fait remarquer que Nastase qui est droitier et un chasseur expérimenté possédant un permis de port d’arme, aurait tenté de se suicider de la main gauche.

Parmi un certain nombre d’autres incohérences, l’on a remarqué que bien qu’il ait été emmené à l’hôpital par une ambulance, il n’avait pas de pansement au cou au moment de son admission. L’hôpital est dirigé par un collègue et membre du parti social-démocrate de Nastase qui est également soupçonné de corruption.

Le verdict contre Adrian Nastase doit être vue dans le cadre de la crise politique actuelle en Roumanie. Début février, le gouvernement de centre-droit du premier ministre Emil Boc (Parti démocrate-libéral, PD-L) fut contraint de démissionner après des semaines de protestations et de manifestations de masse contre le programme d’austérité brutal du régime.

Durant son mandat de trois ans et demi, le gouvernement Boc a imposé le plus rigoureux des plans d’austérité de toute l’Europe. Bien qu’en Roumanie le salaire moyen ne dépasse pas 350 euros par mois, le gouvernement a réduit les salaires dans la fonction publique de 25 pour cent et augmenté la taxe à la valeur ajoutée de 19 à 24 pour cent. Plus de 200.000 fonctionnaires ont perdu leur emploi depuis 2009.

Le gouvernement Boc avait pris le pouvoir fin 2008, d’abord sous la forme d’une coalition avec les sociaux-démocrates du PSD. Dix mois plus tard, toutefois, le PSD retirait tous ses ministres du gouvernement après que des querelles portant principalement sur le ministère de l’Intérieur ont éclaté au sein du gouvernement. Boc a imposé le renvoi du ministre de l’Intérieur Dan Nica pour attribuer le poste à l’un de ses compères. Le ministère de l’Intérieur était chargé d'organiser les élections présidentielles en novembre 2009 et le PSD craignait que Boc ne truque le scrutin. Après le départ du PSD du gouvernement, Emile Boc a poursuivi sur la base d’un gouvernement minoritaire PD-L.

C’est à ce moment-là que la Direction nationale anticorruption (DNA) a formulé des accusations contre le président de longue date du Parti social-démocrate, Adrian Nastase. Les autorités l’ont accusé de « trafic d’influence ou d’abus de pouvoir en tant que président du parti pour avoir organisé un symposium de l’industrie du bâtiment appelé ‘Le Trophée de la Qualité’ dans le but de lever des fonds pour sa campagne présidentielle. »

Cette conférence était organisée par une agence de l’Etat. Les entreprises et les institutions ont donné des fonds s’élevant à 1,6 millions d’euros qui ont ensuite été consacrés à la campagne électorale de Nastase en 2004. « Le Trophée de la Qualité » a été un procès très long impliquant les interrogatoires d’un millier de témoins. C'était le premier de trois procès à l’encontre de l’ancien premier ministre Nastase et qui vient de s’achever la semaine passée.

Nastase est une figure bien connue de la scène politique roumaine. Il fait partie du groupe d’anciens staliniens qui, après la chute de Nicolae Ceauseşcu, ont proclamé leur conversion à l’économie libérale. En 1989, il était un fervent partisan de Ceauseşcu, occupant le poste d’ambassadeur de Roumanie en Chine. Un an plus tard, il devint porte-parole du Front du Salut national (FSN) et secrétaire du parti pour les relations internationales. Le FSN était constitué de fidèles de Ceauseşcu issus de l’armée, du service secret et de l’ancien Parti communiste roumain.

En mai 1990, il devint ministre des Affaires étrangères, fonction qu’il occupa de 1990 à 1992. Entre décembre 2000 et décembre 2004, il fut premier ministre. Son gouvernement prépara la voie à l’entrée de la Roumanie dans l’Union européenne en imposant un programme d’attaques massives contre le niveau de vie, tout en permettant dans le même temps à une infime élite de s’enrichir considérablement.

Peu de temps avant sa destitution en 2004, le gouvernement Nastase vota un décret annulant des dettes de 400 millions d’euros envers l'Etat de deux raffineries de pétrole privées de l’Est de la Roumanie. Le principal propriétaire des raffineries, anciennes propriétés d’Etat, était Cornelius Iacobov, un membre influent du PSD. Aux côtés d’autres membres du parti et de partenaires d’affaires, Iacobov contrôlaient les deux raffineries qui furent privatisées en 2001 et vendues largement en dessous de leur valeur. Elles furent ensuite délibérément poussées au bord de la faillite alors que de vastes sommes d’argent étaient versées dans les caisses privées d’entreprises fictives.

La tentative actuelle de l’ancien premier ministre et dirigeant social-démocrate d’éviter une peine de prison n’est pas la première.

Nastase est déjà sorti indemne de deux autres affaires. Le 5 mai 2010, la DNA avait accusé Nastase d’avoir accepté, lui et son épouse Daniela Nastase agissant en complice, des pots-de-vin et de l’argent extorqué d’un chantage. L’affaire « Zambaccian » reposait sur les accusations selon lesquelles Nastase avait reçu environ 630.000 euros, soit directement soit au moyen d’intermédiaires.

Il a aussi tiré profit de marchandises importées de Chine et de l’exploitation des travailleurs impliqués dans la construction et la rénovation de ses propriétés à Bucarest et dans le village de Cornu.

Après l’audience, Nastase fut condamné à deux ans de prison ayant été reconnu coupable de chantage. Il fut acquitté dans l’affaire des pots-de-vin.

Un autre dossier controversé est celui de « La Tante Tamara » qui fut bouclé le 15 décembre 2011. Nastase fut acquitté, de même que deux autres inculpés, Ristea Priboi et Ioan Milinescu. En novembre 2000, Melinescu, membre de l’Office national pour la prévention et le combat du blanchiment d’argent (ONPCSB) avait contacté Nastase et Priboi les informant que l’institution enquêtait sur Daniela Nastase après qu’une somme de 400.000 dollars avait subitement apparu sur son compte bancaire. Pour empêcher que l’enquête ne progresse, Nastase aurait nommé Melinescu président de l’institution.

Un examen des circonstances concernant les 400.000 dollars placés sur le compte bancaire de Daniela Nastase a soulevé des questions quant à la légalité de la transaction. L’ancien premier ministre a déclaré que la somme provenait des revenus d’une vente de bijoux, de tableaux et autres objets précieux possédés par la tante âgée de 91 ans de Daniela Nastase, Cernasov Tamara, qui vivait seule dans un bloc d’appartements à Bucarest. Il n’y a aucune preuve toutefois que la Tante Tamara ait effectivement possédé les objets en question.

L’actuel premier ministre sortant, Victor Ponta (PSD), a depuis rendu visite à son « malheureux » prédécesseur à l’hôpital et a dit par la suite que Nastase était un « martyr ».

Ponta est aussi actuellement accusé d’allégations de plagiat et de corruption. Après sa victoire électorale au début de l’été, Ponta avait promis de diriger «  le gouvernement le plus honnête… que la Roumanie ait jamais connu. » Maintenant, il est accusé, entre autres, d’avoir plagié la moitié de sa thèse de doctorat en droit, à partir de passages d’autres publications scientifiques.

Dans une autre affaire, un membre du groupe parlementaire social-démocrate, Catalin Voicu, a été condamné pour corruption à cinq ans de prison sans sursis par la cour suprême. Il avait mis en place un réseau criminel fondé sur la corruption, l’intimidation et l’extorsion.

De vastes structures de corruption de type mafieux se sont développées en Roumanie sous les yeux des commissaires et des représentants du Fonds monétaire international (FMI). La campagne actuelle contre la corruption est toutefois étroitement liée à la tentative d’imposer un soi-disant gouvernement d’experts qui pourra imposer bien plus efficacement les coupes sociales exigées par l’UE et le FMI.

(Article original paru le 29 juin 2012)

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