L'ex-première secrétaire du Parti socialiste français au pouvoir, Martine Aubry, mise en examen dans l'affaire de l'empoisonnement par l'amiante

Martine Aubry, l'ancienne première secrétaire du Parti socialiste au gouvernement en France (PS) a été mise en examen pour homicides involontaires le 6 novembre dans le scandale de l'utilisation de l'amiante dans l'industrie française. Elle est accusée d'avoir permis la poursuite de son utilisation alors même que des études scientifiques et la législation de l'Union européenne avaient exposé le rôle joué par l'amiante dans le développement du cancer du poumon.

La juge ayant mis Aubry en examen a déclaré que la politicienne du PS n'avait pas pris les mesures adéquates pour empêcher que les ouvriers ne soient exposés aux fibres d'amiante et ne soient, en conséquence, contaminés.

Des scientifiques de l'institut d'Etat INSERM (Institut national de la santé et de la recherche médicale) estiment que 100.000 ouvriers mourront de la contamination par l'amiante d'ici à 2025.

L'amiante a été utilisée en grand pendant plus de quatre-vingt ans en tant que matériau de protection contre l'incendie. Son rôle dans le développement du cancer a été documenté sur des décennies, en particulier depuis les recherches menées par Selikoff, Chung et Cuyler en 1964.

Aubry est accusée, en tant que directrice des relations du travail au ministère du Travail sous la présidence de François Mitterrand, d'avoir bloqué l'application des directives européennes de 1983 destinées à réduire l'emploi de l'amiante. Les directives n'ont été définitivement intégrées à la réglementation française qu'en 1987, quand Aubry a quitté son poste. Ses avocats contestent l'accusation, affirmant qu'elle avait "consacré la plus grande partie de [sa] vie à protéger les droits de nos concitoyens"

Cette mise en examen est la première du genre en France, bien que les associations de victimes se soient, durant quinze ans, efforcé d'obtenir la condamnation de dirigeants industriels et politiques dont les actions ont conduit à la mort d'un grand nombre de travailleurs.

Dans l'intervalle, plusieurs sociétés multinationales ont été forcées de payer des compensations par des tribunaux administratifs. Des sociétés comme Valéo, Eternit, et Saint Gobain ainsi que la société nationale de chemins de fer SNCF et la société d'électricité EDF ont été déclarées coupables de négligence dans l'utilisation de l'amiante.

En février 2012, le plus grand procès traitant de la responsabilité criminelle dans la mort de travailleurs causée par le cancer du poumon a eu lieu à Turin, en Italie. Le juge dans ce procès a condamné le PDG milliardaire d'Eternit Stephan Schmidheiny et le baron belge Jean-Louis de Cartier de Marchienne à 16 ans d'emprisonnement pour avoir causé la mort de 3.000 travailleurs et personnes habitant dans le voisinage de leurs usines. En 1977, la France a introduit une réglementation d'"usage contrôlé" de l'amiante pour restreindre l'exposition à la poussière d'amiante, quelques 46 ans après la Grande-Bretagne et 31 ans après les Etats-Unis. Martine Aubry est aussi accusée d'avoir manqué d'analyser des données de la CNAM (Caisse nationale d'assurance maladie) qui aurait révélé le développement d'une épidémie en dépit de la réglementation de 1977.

Aubry a protesté et dit que les données en question ne confirmaient pas un risque d'épidémie, et que peu de cancers étaient liés à l'amiante dans les années 1980. Cependant en tant que directrice des relations du Travail elle devait être consciente du fait que le cancer du poumon associé à l'amiante s'était développé sur des décennies. Il y eut 35.000 morts dues à des maladies liées à l'amiante entre 1965 et 1995. En 2004, les conseillers juridiques du gouvernement au Conseil d'Etat ont trouvé l'Etat responsable d'une absence de réglementation spécifique de l'amiante avant 1977 et du fait qu'après cette date, une telle réglementation fut retardée et est restée insuffisante.

Dans les années 1990, l'industrie du bâtiment en France était, avec 80 kilos par habitant, devenu le plus gros utilisateur d'amiante d'Europe, tous les bâtiments publics étant affectés. Son usage ne fut interdit qu'en 1997. Un tribunal administratif a jugé en 2004 que l'Etat n'avait conduit aucune étude avant 1995 afin d'assurer que les mesures prises étaient adaptées aux risques sérieux et connus posés par l'exposition aux fibres d'amiante.

On a permis aux entreprises françaises de continuer leur utilisation à conséquences mortelles de l'amiante et ce, avec le soutien des gouvernements de 'gauche' et de droite et celui des syndicats. L'industrie, le gouvernement et les syndicats se sont réunis dans un Comité permanent amiante (CPA), un lobby constitué en 1982, dissout en 1996 et dont le but était d'obstruer les efforts pour interdire la fibre cancérogène. Un rapport du Sénat reconnut que ce comité était un "modèle de lobbying, de communication, et de manipulation". Son but était de bloquer toute réglementation supplémentaire sur l'amiante en "exploit[ant] en l’absence de l’Etat, de pseudo incertitudes scientifiques qui pourtant étaient levées, pour la plupart par la littérature anglosaxonne la plus sérieuse de l'époque".

Le rapport se moquait du ministère du Travail qui "n'a[vait] pas compris que le CPA n'était rien d'autre que le faux nez des industriels". Ce jugement sous-estime cependant la responsabilité des dirigeants socialistes; il n'y a effectivement aucune raison de croire qu'ils ne comprenaient pas exactement l'opération de blanchissement que le CPA avait pour objectif de réaliser. La politique de l'"usage contrôlé" de l'amiante était une fraude depuis le départ et s'est faite avec la complicité du gouvernement de "gauche" de François Mitterrand, soutenu par les syndicats, le Parti communiste et la gauche petite-bourgeoise.

Aubry nie avoir participé au CPA ou avoir rien su de son existence dans les années 1980. Mais la presse rapporte qu'un haut fonctionnaire du département des relations du travail, Jean Luc Pasquier, assistait bien aux réunions du CPA, et qu'Aubry en avait parfaitement connaissance. Il dit qu'il y allais sur ses ordres qu'Aubry était informée de tous les dossiers sensibles et que l'amiante en faisait partie. Si elle avait voulu que le Ministère quitte le CPA, elle comme ses successeurs, n'avait qu'à en décider ainsi, dit il (Voir en anglais: “French workers demand justice over asbestos poisoning“).

Le scandale de l'amiante met en évidence non seulement les actes d'Aubry, mais encore le rôle nauséabond joué par les "partenaire sociaux" – les syndicats et les groupes patronaux en collaboration avec l'Etat – et les marchés politiques qu'ils ont passés avec le Parti socialiste. Ils ont œuvré pour la protection des marges de profits de l'industrie française et aux dépens de la santé et de la vie des travailleurs.

(Article original publié le 17 novembre 2012)

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