Les retombées économiques du conflit Chine-Japon autour des îles s’amplifient

A la dernière minute, deux hauts représentants chinois – le gouverneur de la Banque centrale, Zhou Xiaochuan, et le ministre des Finances, Xie Xuren – n’ont pas participé à la réunion annuelle du Fonds monétaire International (FMI) et de la Banque mondiale qui a eu lieu vendredi dernier, 12 octobre, à Tokyo. La rebuffade diplomatique est un nouveau signe que la querelle entre la Chine et le Japon au sujet des îles Diaoyu/Senkaku est en train d’exacerber la tourmente économique.

En exprimant les craintes éprouvées par les milieux financiers internationaux, la directrice du FMI, Christine Lagarde a dit sur le ton de la mise en garde qu’elle "espérait" que les différends, bien qu’existant de longue date pourront être résolus harmonieusement et rapidement de façon à ce que la coopération puisse se poursuivre du point de vue économique.

Les implications mondiales de la querelle entre la Chine et le Japon sont illustrées par le fait que ces pays représentent respectivement les deuxième et troisième plus grandes économies du monde. Les deux pays comptent pour près d’un cinquième du produit intérieur brut mondial (PIB) et le volume de leurs échanges commerciaux bilatéraux s’élèvent à plus de 340 milliards de dollars US par an.

Les deux plus hauts responsables financiers chinois restés absents, apparemment, pour des « problèmes d’emploi du temps » avaient envoyé leurs adjoints en remplacement. Les « Quatre grandes » banques d’Etat de la Chine ont également boycotté les réunions. Ces décisions visaient manifestement à humilier le gouvernement japonais qui était l’organisateur du sommet.

Les relations s’étaient dégradées après que le premier ministre japonais, Yoshihiko Noda, avait officiellement racheté en septembre de leurs propriétaires privés japonais les îles Senkaku qui se trouvaient déjà sous le contrôle des gardes côtes. La décision visait à attiser le nationalisme japonais en tant que moyen de détourner l’attention du mécontentement grandissant sur le plan national à l’égard de la politique impopulaire de Noda, notamment au sujet du doublement de la taxe sur la consommation et du redémarrage des centrales nucléaires fermées après la catastrophe nucléaire de Fukushima en 2011.

Noda a dit à l’hebdomadaire américain Businessweek après que la Chine eût réduit le calibre de sa délégation : « Il s’agit des deuxième et troisième plus grandes économies du monde et notre interdépendance ne cesse d’augmenter. Si nos relations se refroidissent, notamment les relations commerciales, la question n’est alors pas de savoir quel pays souffrira car les deux seront perdants. » Il a instamment réclamé des pourparlers au sujet des îles Senkaku afin « de garantir qu’il n’y aura aucune incidence sur l’ensemble des relations. »

Beijing, cependant, estime que c'est Tokyo qui a le plus à perdre. Selon un article paru le mois dernier dans le People’s Daily, le conflit économique est certes un « couteau à double tranchant » qui blessera également la Chine, mais « si le Japon continue ses provocations, la Chine engagera inévitablement la lutte. » Dans la mesure où le marché chinois en pleine croissance a été un élément décisif pour surmonter le marasme japonais dans les années 1990 et 2000, a averti ce journal, « le Japon préfère-t-il plutôt perdre 10 ans de plus et serait-il même prêt à retomber 20 ans en arrière ? »

Tout comme Noda, le régime du Parti communiste chinois (PCC) est en train d’attiser le nationalisme au sujet du conflit sur les îles dans le but de détourner l’attention des tensions sociales engendrées par la croissance économique chancelante de la Chine. Beijing a donné le mois dernier le feu vert à des protestations antijaponaises qui ont donné lieu à des agressions physiques largement répandues contre des commerces et des citoyens japonais. Sous le slogan réactionnaire d’un « boycott des marchandises japonaises », des millions de consommateurs issus en grande partie de la classe moyenne ont participé à des campagnes organisées contre l’achat de véhicules de marques japonaises ou de vacances passées au Japon. Les douaniers chinois retardent délibérément les importations japonaises.

En conséquence, un article publié la semaine passée par JPMorgan Chase a estimé que le conflit avec la Chine risquait de réduire le PIB du Japon de 0,8 pour cent au quatrième trimestre – en baisse par rapport aux prévisions antérieures de croissance nulle. L’article a prédit que le Japon ne connaîtrait pas de reprise avant au moins le deuxième trimestre de 2013.

La Chine compte pour 19,7 pour cent des exportations japonaises, contre 13,5 pour cent pour les Etats-Unis. JPMorgan Chase prévoit que les exportations japonaises de véhicules vers la Chine s’écrouleraient de 70 pour cent au dernier trimestre de 2012 et les pièces automobiles et autres marchandises, comme l’électronique, enregistrerait une baisse de 40 pour cent. Le nombre de touristes chinois visitant le Japon pourrait chuter de 70 pour cent tandis que le nombre de touristes japonais allant en Chine pourrait baisser de 30 pour cent. L’auteur de l’article, Masaaki Kanno, en a comparé l’impact au tsunami de 2011. « C’est tout à fait comme la catastrophe de l’année dernière, » a-t-il dit.

Les inquiétudes de l’élite patronale japonaise ont été révélées par Junko Nishioka, l’économiste en chef chez RBS Securities Japan Ltd., un ancien responsable de la banque centrale japonaise. Il a dit à Businessweek : « C’est la dernière chose dont le Japon a besoin en ce moment, compte tenu du ralentissement outre-mer et de la morosité de l’économie. Le conflit [avec la Chine] est devenu bien plus grave que nous ne l’avions initialement anticipé. »

Alors que Noda lance des appels pour la tenue de pourparlers au sujet des îles Senkaku, certaines factions du Parti démocrate du Japon (PDJ) au pouvoir exigent une réaction dure. Le ministre de l’Economie, Seiji Maehara, qui, en tant que ministre des Affaires étrangères, avait adopté une position très ferme envers la Chine durant la dernière querelle diplomatique à propos des îles en 2010, a dit jeudi dernier au Financial Times : « Je ne peux pas approuver les commentaires qui accordent la priorité aux questions économiques parce que notre souveraineté est la base de la nation dont dépendent nos activités économiques. »

Maehara a suggéré que l’économie chinoise serait elle aussi durement touchée. « Notre interdépendance économique est très forte [et] si les produits japonais fabriqués en Chine ne se vendent pas en Chine, cela aura un énorme impact là-bas sur le chômage. »

Maehara et d’autres personnalités va-t-en-guerre sont encouragés par le gouvernement Obama qui considère qu’un Japon plus agressif stimulerait partout en Asie ses efforts pour saper l’influence de la Chine. Tout en affirmant officiellement être neutres dans le conflit sur les îles, les responsables de l'administration Obama ont à maintes reprises dit que les Etats-Unis seraient contraints de soutenir militairement leur allié, le Japon, en cas de conflit au sujet des îles Senkaku.

A la fin de 2010, les Etats-Unis avaient encouragé le Japon à modifier ses « directives en matière de défense » et à réorienter sa position militaire, c'est-à-dire à quitter la traditionnelle concentration sur la Russie au nord, issue de la Guerre froide, vers un nouvel objet, « la chaîne des îles au Sud-Ouest, » y compris les îles Senkaku, désignant aussi la Chine comme la principale menace.

Le gouvernement Obama porte la principale responsabilité pour les conséquences économiques et sociales potentiellement explosives produites par le conflit territorial entre le Japon et la Chine en Mer de Chine orientale. Sa politique irresponsable qui a pour but de surmonter le déclin économique américain et réaffirmer l’hégémonie mondiale des Etats-Unis en utilisant leur puissance militaire est en train d’accélérer le glissement vers une dépression mondiale et vers la guerre.

(Article original paru le 17 octobre 2012)

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