La crise de l’euro et la leçon de la République de Weimar

Durant les dernières années de la République de Weimar, entre 1930 et 1933, le programme d’austérité appliqué par le gouvernement Brüning en réponse à la fuite des capitaux et à la crise économique mondiale fut une des principales causes de la catastrophe qui s’en suivit : chômage de masse, nazisme et guerre. Pendant des décennies, cela avait été considéré comme une évidence, qu’on enseignait dans les écoles. Le déroulement actuel des événements en Europe montre cependant que la classe dirigeante n’est pas capable d’apprendre de l’histoire.

Ces derniers jours, les gouvernements grec et espagnols ont approuvé des mesures d’austérité qui vont bien au-delà des mesures d’urgences appliquées par le gouvernement Brüning.

Malgré le fait que la Grèce ait été en récession depuis six ans, le gouvernement grec a approuvé un nouveau train de mesures d’austérité, de 11,5 milliards d’euros celui-là. Selon les calculs du gouvernement lui-même, le produit économique du pays baissera de 25 pour cent par rapport à 2008 – une baisse sans précédent en temps de paix. La plupart des coupes seront réalisée dans les retraites, la santé et les dépenses sociales, aux dépens des couches les plus pauvres de la population.

La semaine dernière, le gouvernement espagnol a réduit le budget pour 2013 de 40 milliards d’euros supplémentaires. Les cinq trains de mesures d’austérité mis en œuvre par le gouvernement Rajoy l’an dernier se montent ainsi en tout à 127 milliards d’euros. Ce qui équivaut à un quart du budget annuel national.

Pour une grande partie de la population, ces mesures signifient la misère. Néanmoins, pour l’Union européenne (UE) et surtout pour le gouvernement allemand, elles ne vont pas assez loin. L’UE, Allemagne en tête, pousse à l’imposition de coupes supplémentaires, même si cela produit une catastrophe sociale.

Les attaques sociales ne se limitent pas aux pays fortement endettés de l’Europe méridionale. Un énorme transfert de richesse vers le haut est en train de se faire dans les pays plus riches de l’Europe du Nord. Les fortunes privées de l’Allemagne ont ainsi augmenté de 1,4 billion depuis le début de la crise économique, il y a cinq ans, tandis que la pauvreté à l’autre bout de la société se développe comme un cancer.

Vu à la lumière de l’expérience historique du siècle dernier, un tel cours apparaît comme de la pure folie. Il est néanmoins défendu par tous les partis de l’establishment, qu’ils s’intitulent conservateurs, libéraux, Verts, sociaux-démocrates ou « de gauche ».

Les partis sociaux-démocrates tels que le SPD (Parti social-démocrate allemand) sous la conduite de Gerhard Schröder, le Parti travailliste britannique sous celle de Tony Blair ou, plus récemment, le PASOK grec de George Papandréou et le PSOE espagnol de José Zapatero, ont tous étés les champions de la destruction des conditions sociales et de tous les acquis passés de la classe ouvrière. La même chose se produit actuellement en France, sous la direction du Parti socialiste à la suite de l’élection de François Hollande à la présidence.

Cela en soi montre déjà que les événements actuels ont de profondes racines dans la réalité objective. Marx avait raison lorsqu’il écrivait « l’histoire de toute société jusqu'à nos jours n'a été que l'histoire de luttes de classes. » Ce n’est pas la raison et les idéaux nobles qui déterminent la politique de la classe dirigeante, mais des intérêts sociaux bien tangibles.

Au cours des trente dernières années, des changements socio-économiques fondamentaux ont eu lieu qui rendent impossible le retour à une politique du compromis social. La production mondialisée transcende les frontières nationales dans le cadre duquel les syndicats négociaient au nom du « consensus social » entre les classes. Les industries nationales se sont vues exposées à une compétition mondiale sans merci, et qui pousse chaque bourgeoisie à attaquer sa « propre » classe ouvrière.

Pendant le boom boursier des années 1990, le secteur financier s’est en grande partie séparé du processus réel de la production et a pris un caractère de plus en plus parasitique. Des émoluments et primes annuelles à hauteur de dizaines de millions d’euros qui auraient été inconcevables il y a trente ans sont à présent la norme dans les banques et les entreprises. Une aristocratie financière insatiable est apparue, qui, au nom du « sauvetage de l’euro », attaque sans aucune restreinte tous les gains sociaux acquis par la classe ouvrière au cours des 65 dernières années. Les partis politiques et les médias lui sont asservis.

Sans rompre le pouvoir de l’aristocratie financière, une catastrophe ne peut être évitée. Ce qui est nécessaire est une révolution sociale. Les grandes banques et les grandes sociétés doivent être expropriées et placées sous contrôle démocratique, les profits des spéculateurs confisqués et les immenses fortunes doivent être imposées massivement.

Un tel changement radical n’est possible qu’à travers la mobilisation de la classe ouvrière, par l’intervention indépendante des masses dans la politique. Les conditions d’une telle intervention se développent rapidement. La colère monte à vue d’œil. Le nombre des grèves, des mouvements de protestation et des manifestations augmente visiblement, bien que les syndicats fassent tout ce qu’ils peuvent pour les isoler et les étouffer. Les sondages d’opinion montrent régulièrement une profonde hostilité vis-à-vis des banques et ce, même dans une bonne partie de la classe moyenne.

Les syndicats et les partis sociaux-démocrates ont peur d’une telle mobilisation plus que de toute autre chose. Les appareils bureaucratiques ont depuis longtemps rompu les liens avec les intérêts de la population laborieuse. Leurs permanents viennent des rangs de la classe moyenne argentée et sont liés par d’innombrables fils aux banques, aux sociétés et aux gouvernements. Ils rejettent une transformation socialiste de la société et considèrent la répression de la lutte des classes et la défense du capitalisme comme étant leur tâche.

Cela vaut aussi des partis comme La Gauche en Allemagne, le Front de gauche en France et la coalition SYRIZA (Alternative de gauche) en Grèce. Ils tentent tous de contenir la radicalisation de la classe ouvrière et de la jeunesse en critiquant un peu le capitalisme et en encourageant les illusions dans sa capacité à se réformer. En même temps, ils collaborent étroitement avec les syndicats pour isoler et trahir les luttes de la classe ouvrière.

Ils se préparent d’autre part à entrer au gouvernement dans le cas où les autres partis bourgeois perdraient le contrôle de la situation.

De tels gouvernements « de gauche » n’agiraient que pour défendre le capitalisme en réprimant brutalement la résistance sociale. De plus, le désillusionnement politique généré par une telle politique droitière menée sous une étiquette « de gauche » favorise aussi les tendances d’extrême-droite comme on a pu le mesurer aux résultats électoraux du Front National de Marine Le Pen en France où à l’ascension des partis Fidesz et Jobbik en Hongrie.

La construction d’un nouveau parti indépendant de la classe ouvrière qui lutte pour un programme socialiste internationaliste est à présent la tache politique la plus urgente.

(Article original publié le 3 octobre 2012)

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