Perspectives

Le programme d’assassinats d’Obama et l’État policier

Le « livre blanc » de l’administration Obama sur l’assassinat de citoyens américains, ainsi que les actions commises sur la base des arguments que ce document avance, sont une sérieuse mise en garde pour la classe ouvrière aux États-Unis et à travers le monde. Les droits démocratiques de la population sont en grave danger. La classe dirigeante américaine, qui baigne dans l’illégalité et la violence, se dirige tout droit vers la dictature.

L’assaut frontal de l’administration sur les droits démocratiques et les protections constitutionnelles – un assaut qui affirme le « droit » du président d’ordonner unilatéralement et secrètement le meurtre de citoyens américains par l’État – est sans aucun doute une base suffisante pour une procédure de destitution. Les crimes de Richard Nixon, qui avait démissionné de la présidence il y a près de 40 ans afin d’éviter la destitution, semblent légers comparés à la défense par Obama de pouvoirs exécutifs illimités.

Les arguments pseudo-légaux du communiqué du département de la Justice, rappelant le fameux mémo de l’administration Bush sur la torture, se résument à ceci :

Le président ainsi que l’appareil militaire et de renseignements ont le pouvoir d’assassiner tout citoyen américain qu’ils auraient désigné comme membre dirigeant d’Al-Qaïda ou de « forces associées », sur la seule base de leurs propres délibérations internes. Ce pouvoir n’a pas de frontières géographiques. Il ne peut pas non plus être limité par une surveillance du Congrès ou du pouvoir judiciaire. La Maison blanche et ses conseillers de l’armée et des services du renseignement sont juge, jury et bourreau.

Tout le document n’est que double langage et sophismes. Bien qu’il soit écrit, par exemple, que ceux qui sont ciblés pour un assassinat doivent représenter « une menace imminente d’une attaque violente », le terme « imminente » est ensuite décrit comme son contraire. Le gouvernement n’a pas à avoir la preuve qu’une action précise est planifiée ou que quelque chose doit se produire dans un avenir immédiat.

Au final, il ne reste rien des droits démocratiques fondamentaux. Le principe du jugement en bon et due forme – qui remonte jusqu’au 13e siècle et qui est enchâssé dans le Cinquième amendement de la constitution des États-Unis, qui affirme que nul ne pourra être « privé de sa vie, de sa liberté ou de ses biens sans procédure légale régulière » – est jeté aux poubelles.

Les justificatifs qui sont présentés pour justifier ces pouvoirs dictatoriaux – la sécurité nationale et les exigences de la guerre (dans ce cas-ci, la « guerre contre le terrorisme ») – sont les mêmes qui ont été utilisés par tous les régimes militaires et fascistes, de Hitler à Pinochet.

Mais ces développements n’ont pas suscité de véritable opposition au sein de l’établissement politique ou médiatique.

La réaction du New York Times, le principal représentant du libéralisme américain, est particulièrement importante. Dans un éditorial publié le 6 février, le Times dit regretter que le mépris de l’administration pour les règles constitutionnelles soit si flagrant et propose certaines mesures pour que les opérations d’assassinat, y compris celles qui visent des citoyens américains, aient davantage un air de légalité. Le journal propose la création d’un « tribunal spécial [c.-à-d. secret] qui réglerait ces questions épineuses, comme celui qui avait été mis en place pour le programme d’écoute électronique ». Autrement dit, une véritable chambre étoilée pour autoriser les meurtres d’État de la même façon que le tribunal FISA approuve l’espionnage des citoyens américains.

Le Times ne demande pas la fin du programme d’assassinats extrajudiciaires, pas plus qu’il ne propose qu’Obama et ses complices soient jugés pour ces crimes.

Dans une section du Times publiée sur le Web et intitulée « Place au débat » (« Room for Debate »), le quotidien présente diverses opinions sur la doctrine d’assassinat, dont la plupart sont en faveur. Saikrishna Prakash, de l’école de Droit de l’Université de Virginie (qui a aussi été clerc pour le juge de la Cour suprême des États-Unis, Clarence Thomas), affirme que les arguments légaux amenés dans le livre blanc sont « rigoureux ».

Gregory McNeal de l’Université Pepperdine (et ancien haut conseiller pour les commissions militaires sur Guantanamo Bay sous l’administration Bush) soutient que « les cibles établies en temps de guerre relèvent de la décision du pouvoir politique, et non de celle de juges non élus qui n’ont pas à répondre de leurs actes ».

Les critiques du programme que présente le Times sont timides. Jameel Jafeer de l’Union américaine pour les libertés civiles s’inquiète que de telles actions soient une responsabilité qui incombe seulement à l’exécutif, car « des erreurs sont possibles ».

Voilà à quoi ressemble le « débat » officiel.

Le soutien que donne l’établissement libéral américain au programme présidentiel d’assassinat, y compris celui de citoyens américains, est le résultat d’une longue évolution vers la droite. Pendant que la Parti démocrate abandonnait tout lien avec les réformes sociales, il soutenait et défendait du même coup les attaques sur les droits démocratiques fondamentaux : la dissimulation du scandale des contras en Iran dans les années 1980; la tentative de coup d’État dans l’enquête de Kenneth Starr et l’impeachment de Clinton dans les années 1990; le vol des élections de 2000; la série de lois antidémocratiques votées dans la foulée du 11-Septembre et le déclenchement de guerres sur la base de mensonges dans les années 2000.

A présent, sous l’égide de l’administration Obama, le Parti démocrate et la classe moyenne aisée libérale qui compose son personnel et sa périphérie mettent en oeuvre des politiques criminelles aux États-Unis comme ailleurs qui vont encore plus loin que celles de l’administration Bush.

Cela ne s’explique pas par la « guerre contre le terrorisme » et la campagne contre Al-Qaïda. Derrière ces prétextes idéologiques se cachent de profonds processus politiques et sociaux.

Cette politique d’assassinats extralégaux de citoyens américains montre clairement le lien inextricable entre le militarisme à l’étranger et la destruction de la démocratie aux États-Unis. En réaction à sa position économique en déclin, la classe dirigeante américaine cherche à tirer profit de sa puissance militaire prépondérante afin de maintenir sa position mondiale dominante. Surtout depuis la chute de l’Union soviétique, les États-Unis ont lancé une guerre après l’autre, et maintenant une campagne d’assassinats par drone.

Le déclin du capitalisme américain s’accompagne au même moment d’une concentration accrue de la richesse dans les mains d’une aristocratie financière parasitaire, un processus qui n’a fait que s’accélérer depuis le début de la crise économique en 2008.

La classe dirigeante est très consciente que les attaques sans fin contre les emplois, les salaires et les programmes sociaux sont en train de générer une opposition de masse. La mise en place d’un État policier est dirigée contre l’éruption inévitable de luttes sociales de masse.

Il n’y a pas de base véritable pour la démocratie dans la classe dirigeante américaine et ses représentants politiques parmi les démocrates et les républicains. Les droits démocratiques sont de plus en plus incompatibles avec l’aristocratie financière et le système social sur lequel elle repose : le capitalisme.

La défense des droits démocratiques, comme tous les droits sociaux et politiques, dépend de l’organisation et de la mobilisation politique indépendante de la classe ouvrière dans le cadre de la lutte pour le socialisme.

(Article original paru le 7 février 2013)

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