Perspectives

Les questions politiques soulevées par le lockout des enseignants au Danemark

Le lockout, grève décidée par les patrons, de dizaines de milliers d’enseignants danois par l’Etat marque une nouvelle étape dans la lutte des classes en Europe. Il montre clairement que l’assaut implacable mené contre les droits fondamentaux et les acquis sociaux antérieurs de la classe ouvrière ne se limite pas qu’à la Grèce et à d’autres pays lourdement endettés.

Dans un pays scandinave dont le système éducatif et la politique sociale ont pendant des décennies été considérés comme des modèles de réforme progressiste, l’Etat empêche depuis près d’un mois 90.000 enseignants de travailler. Des enseignants responsables de l’éducation de tous les élèves âgés de 6 à 16 ans ont perdu un mois de salaire. La plupart des parents des près de 900.000 enfants touchés, et qui travaillent ont dû soit prendre un congé soit payer pour une garderie privée.

Par ce lockout, le gouvernement du Parti social-démocrate cherche à forcer les enseignants à accepter une augmentation drastique des heures de travail sans augmentation de salaire. Ceci ne rendrait pas seulement intolérables les charges de travail des enseignants, mais cela affecterait aussi sérieusement la qualité de l’enseignement. L’attaque perpétrée contre les enseignants est le prélude à l’imposition de mesures similaires dans l’ensemble du secteur public.

Le lockout enfreint tout autant la pratique existante des négociations collectives que les statuts juridiques. Le gouvernement a recours à l’une des formes les plus agressives de la lutte des classes. Des lockouts importants n'ont précédemment été imposées que dans la situation d’une escalade massive du conflit de classe axé sur des questions fondamentales.

Il s’agissait alors d'époques où la classe dirigeante était prête à renoncer à la production, des mois durant, afin d’affamer les travailleurs jusqu’à leur soumission. Aujourd'hui, l’élite financière est déterminée à annuler tous les droits acquis par la classe ouvrière durant des décennies de lutte et elle a recours à des méthodes similaires pour ce faire.

Le gouvernement danois a délibérément choisi l’éducation publique pour prouver qu’il est prêt à perpétrer des attaques massives dans les secteurs sociaux essentiels avec un mépris délibéré envers les intérêts et l’opinion de la population en général. Les dictats des marchés financiers sont le maître mot.

Le rôle joué par les gouvernements sociaux-démocrates dans l’exécution de telles attaques a été initialisé par la « Troisième voie » du premier ministre travailliste britannique Tony Blair et le chancelier social-démocrate allemand Gerhard Schröder. L’agenda 2010 de ce dernier attaquait les prestations sociales, notamment celles des chômeurs et des retraités et mettait en avant une expansion massive du secteur à bas salaire, en Allemagne.

Plus récemment, en Grèce, en Espagne et au Portugal, des coupes sociales dévastatrices ont été initiées par des gouvernements sociaux-démocrates.

Tout comme dans ces pays, Helle Thorning-Schmidt, premier ministre social-démocrate du Danemark est en train de collaborer étroitement avec les syndicats pour mener son attaque. Le syndicat danois des enseignants (DLF) fait tout son possible pour empêcher une mobilisation sérieuse contre les agissements du gouvernement. Au lieu de cela, il a réagi en organisant des protestations symboliques et des soi-disant « flash mobs » (mobilisations éclairs) qui sont totalement inefficaces et qui obscurcissent la gravité de la situation.

D’autres syndicats qui, en vertu de la loi danoise sont en droit d’appeler à des grèves de solidarité, sont en train de bloquer toute mobilisation plus large contre le gouvernement, en isolant délibérément les enseignants.

Au Danemark, l’ensemble de la pseudo-gauche petite bourgeoise s’est rangée derrière le gouvernement et les syndicats dans l’assaut mené contre les enseignants. La coalition gouvernementale se compose de sociaux-démocrates, de sociaux-libéraux et du Parti populaire socialiste (Socialistisk Folkeparti, SF). Ce dernier parti a six ministres au gouvernement.

Ce Parti populaire socialiste joue un rôle identique à celui de la Coalition de la Gauche radicale (SYRIZA) en Grèce [qui entretient des relations fraternelles avec le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon en France et le parti Die Linke d’Oskar Lafontaine en Allemagne]. Il a été établi dans les années 1950 à partir d’organisations staliniennes et radicales. Dans les années 1990, il s’est adapté aux positions du groupe parlementaire européen des Verts dont il fait partie actuellement.

Le gouvernement danois bénéficie aussi du soutien de la Liste de l’unité Rouge-Verte (EL), une alliance électorale fondée en 1989 et formée par les Socialistes de gauche (VS), le Parti communiste danois (DKP), les maoïstes du Parti communiste des travailleurs (KAP) et le Parti socialiste des travailleurs (Socialistik Arbejderparti, SAP) qui est la section danoise du Secrétariat unifié pabliste.

Les forces pseudo-gauches ont assuré la survie du gouvernement minoritaire de Thorning-Schmidt à plus d’une occasion, les députés EL ayant voté les budgets d’austérité de 2012 et de 2013 qui ont été le prélude à l’actuel assaut contre les enseignants.

Fidèle à elle-même, EL a poursuivi son soutien au gouvernement durant le lockout des enseignants. Le porte-parole d’EL, Per Clausen, avait initialement fait un appel aux enseignants pour engager des négociations avec le ministre des Finances et, lorsque le ministre a refusé de négocier avec le syndicat des enseignants, il a lancé un appel aux membres des partis au pouvoir pour faire pression sur le ministre. Ce qui importait, selon le communiqué d’EL, c’était que « de véritables négociations » aient lieu « lors desquelles des compromis sont faits non seulement par les enseignants mais aussi par les employeurs locaux. »

Ceci n’est rien d’autre qu’un soutien implicite à l’attaque de l’Etat contre les enseignants et l’éducation publique.

Le rôle anti-classe ouvrière joué par EL confirme l’analyse du World Socialist Web Site selon lequel cette tendance ainsi que des organisations similaires, tels SYRIZA en Grèce, La Gauche (Die Linke) en Allemagne, le Nouveau Parti anticapitaliste (NPA) en France, le Socialist Workers Party en Grande-Bretagne et l’International Socialist Organisation aux Etats-Unis, ne peuvent aucunement être considérées comme des courants de « gauche » mais sont au contraire des partis bourgeois à caractère essentiellement droitier. Elles sont alliées à la bureaucratie syndicale et s'expriment au nom des couches aisées de la classe moyenne qui sont hostiles aux intérêts des travailleurs.

Avec l'intensification des conflits, ces tendances pseudo-gauches se rapprochent de plus en plus de l’appareil d’Etat en fournissant un soutien à ses attaques contre la classe ouvrière ainsi qu'à sa politique étrangère impérialiste, dont les guerres néocoloniales en Libye et en Syrie. Les travailleurs qui cherchent à défendre leurs droits fondamentaux sont confrontés non seulement au gouvernement et au patronat, mais aussi aux syndicats et à ces groupes pseudo-gauches.

Les actions des gouvernements danois et européens ne sont pas la preuve de la force de l’élite dirigeante mais plutôt de sa faiblesse et de sa faillite. Elle n’a rien d’autre à offrir à la grande masse de la population, notamment aux jeunes, que le déclin social et une politique réactionnaire. Par crainte d’un mouvement de masse de la classe ouvrière, elle planifie des méthodes de répression de plus en plus brutales.

Pour la classe ouvrière, la question cruciale dans les luttes à venir sera la préparation d’une direction révolutionnaire afin d’armer ces luttes d’un programme socialiste et internationaliste.

(Article original paru le 25 avril 2013)

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