La décision sur la faillite de Detroit ouvre la voie à une attaque nationale contre les retraites

Le juge du tribunal de commerce fédéral Steven Rhodes a donné le feu vert mardi à la ville de Detroit pour le lancement de la plus importante procédure de faillite municipale de toute l'histoire américaine.

Dans sa décision en faveur de la demande déposée par le liquidateur judiciaire Kevyn Orr, Rhodes a explicitement validé la destruction des pensions des 23.500 employés municipaux en retraite, écartant les interdictions de ce type de coupes qui figurent dans la constitution du Michigan. Durant le prononcé de sa décision, qui a duré 90 minutes, Rhodes a fourni un cadre pseudo-légal pour l'attaque à échelle nationale contre les retraites de millions de pompiers, d'enseignants, de travailleurs des transports, et autres employés du secteur public.

Rhodes a conçu sa décision pour qu'elle établisse un précédent pour les gouvernements des villes et des Etats fédérés dans tout le pays afin qu'ils puissent mener des conspirations similaires à celle de Detroit contre la classe ouvrière, se servant des tribunaux de commerce fédéraux pour écarter les dispositions des Etats et des autorités locales, et ainsi priver les travailleurs des droits à la retraite gagnés au cours de leurs années de service public.

Ce n'est pas par hasard que quelques heures seulement après le prononcé de la décision, les deux chambres du parlement de l'Illinois ont voté une « réforme » des retraites qui retire des milliers de dollars de revenus aux employés de l'Etat de l'Illinois.

La décision de Rhodes marque un tournant dans les relations de classe aux Etats-Unis qui est comparable à ce qu'avait fait le président Ronald Reagan en licenciant les contrôleurs aériens de PATCO en grève en 1981. Cette action avait donné le signal d'une attaque soutenue par le gouvernement contre les syndicats durant laquelle les méthodes des briseurs de grèves des premières décennies du 20e siècle ont été ressuscitées pour imposer des licenciements massifs et des coupes brutales dans les salaires et les aides sociales. Avec la collaboration de la direction syndicale, les luttes des travailleurs contre ces concessions ont été isolées et vaincues, ouvrant la voie à un assaut contre le niveau de vie de la classe ouvrière qui s'est poursuivi jusqu'à aujourd'hui et qui s'est intensifié avec le crash de Wall Street de 2008.

La décision de Rhodes indique une nouvelle étape de l'offensive de la classe dirigeante, où les retraites, l'assurance-maladie, ainsi que les normes de sécurité et de santé, en bref, toutes les limites à l'exploitation de la classe ouvrière, seront éliminées. Cette attaque à échelle nationale a le soutien explicite du gouvernement Obama, qui a déposé une contribution au procès en faveur de la procédure de faillite.

Dans les années 1980 et 1990, les tribunaux de commerce avaient été utilisés pour détruire les retraites des travailleurs de l'acier, des compagnies aériennes et d'autres industries. Elles sont maintenant utilisées pour détruire les droits des travailleurs des services publics, dont 78 pour cent ont encore une retraite.

Cette procédure de faillite va aider Orr, homme de confiance des banques et qui n'a pas été élu, à vendre les biens de la ville, privatiser les services, et réorganiser la ville dans l'intérêt de l'élite patronale et financière. Toute l'opération vise à maximiser la quantité que les banques, les assureurs des emprunts et les autres institutions financières vont extraire du pillage de la ville et des ouvriers qui vivent là.

Après cette décision, Orr a déclaré aux journalistes que « certaines décisions très dures concernant les retraites » feront partie du plan de redressement qu'il va publier début janvier. Il a ajouté que la société de vente aux enchères Christie's aura terminé son évaluation des « près de 500 œuvres d'art de plus grande valeur » du Detroit Institute of Arts dans les deux semaines à venir. Il a répété son intention de « monétiser » (c-à-d, vendre) cette collection publique d'oeuvres d'art « d'une manière ou d'une autre. »

Le grand mensonge de Rhodes, répété par Orr, les politiciens démocrates comme républicains ainsi que les médias locaux et nationaux, est que la procédure de faillite est menée dans l'intérêt des gens de Detroit. Ce serait le « dernier recours » pour garantir des services publics de base à la population.

En réalité, les responsables du déclin de Detroit et d'autres villes industrielles du pays, à savoir les géants de l'automobile, les banques et leurs serviteurs politiques dans les deux grands partis, se servent de la crise causée par les fermetures d'usines, les licenciements massifs et les coupes budgétaires comme d'un prétexte pour voler des milliards de dollars aux travailleurs qui ne sont en aucune manière responsables de ce qui s'est passé.

Dans sa décision, le juge n'a pas tenté d'expliquer comment l'abandon des retraites, le fait de plonger des dizaines de milliers d'habitants dans la misère, ou la privatisation des services de la ville et la vente des trésors culturels, pourraient améliorer la santé et la sécurité des habitants de Detroit.

Rhodes a admis que Detroit est pris dans un nœud d'arrangements financiers « complexes et confus » imposés par les banques durant les années précédentes Tout en notant que, en conséquence de ces arrangements et de la crise économique, le remboursement de la dette pourrait passer de 28 à 65 pour cent du budget annuel de la ville, Rhodes n'a jamais suggéré que les institutions de Wall Street puissent devoir payer pour le désastre qu'elles ont créées. Il a préféré insister sur l'idée que la seule source des difficultés financières de la ville tient aux « frais hérités », c'est à dire, les retraites et l'assurance-maladie des retraités.

Cette affirmation a été remise en question le mois dernier durant le procès de neuf jours qui portait sur la procédure de faillite relative au chapitre 9 du code des faillites [qui concerne spécifiquement les personnes publiques, ndt]. Des preuves ont été apportées montrant que l'ensemble de la présentation par Orr de la crise financière de la ville était exagérée et déformée afin de justifier le fait de mettre la ville en redressement et de réduire les retraites.

Un récent rapport du Think-tank Demos montrait que la cause principale de cette crise ne tenait pas aux retraites et à l'assurance-maladie mais aux modèles de financement prédateurs des banques, ainsi qu'à des années de réductions d'impôts pour les entreprises et de réductions des subventions de l'Etat.

Rhodes a ignoré ces preuves et accepté sans aucune critique la présentation politiquement orientée de la situation de la ville faite par Orr.

Sa décision n'est pas une œuvre d'objectivité. C'est une décision politique et de classe prise pour le compte de l'élite patronale et financière. Le juge a assemblé entre eux une série d'arguments spécieux pour déformer la réalité, contourner la loi, et arriver à des conclusions déterminées à l'avance.

Dans la droite ligne de la décision de la Cour suprême des Etats-Unis en 2000 qui contredisait la Cour suprême de Floride et mettait fin au décompte des voix afin de confier la victoire à Bush, la décision de Rhodes affirme la suprématie du droit fédéral pour écarter purement et simplement toute la constitution de l'Etat du Michigan et sa garantie des retraites publiques.

Pour conclure à la possibilité pour la ville d'invoquer une procédure de faillite, le juge a écarté les arguments juridiques des retraités et d'autres personnes qui ont intenté des procès contre la décision de Orr et contre la loi antidémocratique du Michigan sur les liquidateurs judiciaires. Rhodes a refusé d'accorder une valeur juridique aux dispositions de la constitution qui interdisent clairement de « porter atteinte ou diminuer » les retraites des employés du secteur public, il a affirmé qu'il n'existe aucune interdiction de la sorte et que les tribunaux fédéraux peuvent valider une atteinte aux pensions des travailleurs.

Ce juge a également décidé que la loi de l'Etat fédéré sur les liquidateurs judiciaires, le Public Act 436, respecte la constitution alors que c'est pour l'essentiel la même loi que celle que les électeurs du Michigan on refusé d'adopter en décembre 2012.

Le juge s'est livré à des contorsions juridiques pour affirmer que la demande de procédure de faillite a été déposée « de bonne foi » alors même qu'il avait reconnu qu'Orr n'avait justement pas mené « de bonne foi » les négociations avec les groupes de retraités, les syndicats, et d'autres créanciers, ce qui fait partie des conditions pour l'application de la loi sur les faillites. Rhodes a décidé que toute nouvelle négociation serait « irréalisable » parce qu'il y aurait plus de 100 000 créanciers et que la ville n'a pas le temps et risque de ne pas pouvoir payer ses factures.

Dans la conclusion de ses remarques, Rhodes a fait un compte-rendu assez extraordinaire de ce qu'il appelle la « version composite » de l'argumentaire des opposants selon lequel cette demande avait été faite de mauvaise foi.

Rhodes a dit : « le dépôt de la demande par la ville était la conséquence d'une stratégie à long terme dont le but était de porter atteinte aux droits des retraités par le dépôt d'une demande de procédure de faillite par la ville. Sa genèse, d'après cette version, remonte à un article dans une revue juridique écrit par deux avocats du cabinet Jones Day. C'est important parce que Jones Day n'est pas simplement devenu l'avocat de la ville, c'est aussi le cabinet dans lequel le liquidateur judiciaire a été recruté. »

Cette « version », affirme-t-il, inclut l'idée que la ville n'aurait fait que le minimum nécessaire en tentant de négocier avec ses créanciers pour pouvoir ensuite affirmer devant la Cour qu'elle l'avait fait de bonne foi.

Rhodes a reconnu que non seulement les requérants, mais aussi « beaucoup de gens de Detroit croient à cette version ou du moins à de grandes parties de celle-ci. » Il a ajouté que la « Cour constate, dans certains cas, que les faits établis soutiennent l'idée que les requérants se font de la réalité qui a débouché sur cette demande de procédure de faillite. »

Malgré ces admissions, qui pointent vers une conspiration politique contre les habitants de Detroit, Rhodes a insisté sur l'idée qu'il « n'y a pas suffisamment de cas pour que cette Cour conclue que cette demande a été déposée de mauvaise foi. »

En somme, Rhodes a décidé que quelles que soient les fraudes commises pour aboutir à cette faillite, elle devrait quand même se poursuivre. Il a par conséquent ouvert en grand, sans doute intentionnellement, la porte aux autres villes pour qu'elles se déclarent en faillite et poursuivent leurs propres attaques contre les emplois et les droits sociaux de la classe ouvrière.

Cette décision souligne le fait que l'ensemble du système politique, de la Maison Blanche aux partis démocrate et républicain en passant par le Congrès et les tribunaux, est un instrument de l'aristocratie financière et mène une contre-révolution sociale contre la classe ouvrière.

L'élite patronale et financière est en mesure de continuer avec un mépris aussi affirmé pour les droits sociaux et démocratiques du fait de la lâcheté et de la complicité des syndicats. Comme cela a été clairement dit dans un recours la semaine dernière, les syndicats acceptent tout le cadre de cette faillite, ils demandent que la ville poursuive par des mesures encore plus agressives la vente des œuvres d'art du DIA (lire en anglais : The unions and the Detroit bankruptcy).

La mobilisation de la classe ouvrière contre cette attaque exige de révéler au grand jour toute cette opération criminelle et les intérêts financiers qui vont bénéficier du pillage des retraites et des biens publics. Pour cela, le Socialist Equality Party organise le 15 février une enquête ouvrière sur les attaques contre le DIA et sur la faillite de Detroit.

Pour plus d'informations sur l'enquête ouvrière, visitez le site detroitinquiry.org.

 

(Article original paru le 4 décembre 2013)

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