Orson Welles and Roger Hill: A Friendship in Three Acts

Un aperçu remarquable d'histoire culturelle

Orson Welles and Roger Hill: A Friendship in Three Acts (BearManor Media, 2013, 328 pages) est un regard fascinant sur la relation entre le réalisateur Orson Welles et son mentor et ami de longue date, Roger Hill (1895-1990), enseignant et directeur à la Todd School for Boys de 1926 à 1931 à Woodstock en Illinois.Welles fréquenta l'école de 1926 à 1931 et fut profondément influencé par ses méthodes d'enseignements progressistes et par Hill lui-même, un être cultivé et charismatique. 

Todd Tarbox, le petit-fils de Hill, a rendu un service considérable en rédigeant habilement les conversations enregistrées et la correspondance entre Welles et Hill durant les années 1980 sous la forme d'une pièce de théâtre en trois actes.

Welles, l'une des plus grandes figures du cinéma et du théâtre du 20e siècle, est né en 1915 à Kenosha au Wisconsin de Béatrice et Richard Welles. Son enfance fut quelque peu chaotique. Son père fit fortune en tant qu'inventeur, abandonna son travail et sombra dans l alcoolisme. La mère de Welles aspirait à une carrière de pianiste de concert, mais décéda peu après le 9e anniversaire de son fils. Son père mourut six ans plus tard. Ses parents s'étaient séparés et avaient déménagé à Chicago en 1919.

Orson Welles, 1931-32

À l'âge de 11 ans, Welles fut inscrit à la Todd School, «à cause de ma délinquance» avait-il affirmé avec ironie, où enseignait alors Roger Hill (connu sous le pseudonyme de Skipper) qui allait devenir plus tard directeur. Aux dires de tous, Welles adora son séjour à l'école et contribua beaucoup à la vie scolaire, particulièrement par ses productions théâtrales, incluant son mélange (réalisé à l'âge de 15 ou 16 ans) de pièces historiques de Shakespeare, appelé Five Kings (Cinq rois).

Welles, dans le commentaire auquel nous avons déjà fait référence et que l'on retrouve dans le livre de Tarbox, explique qu’«Après m'être donné toute cette peine pour attirer son attention [celle de Hill] au théâtre, j'étais pris au piège. J'ai dû apprendre toute l’oeuvre de Shakspeare parce qu'il la connaissait et j'ai dû apprendre la bible en entier parce qu'il la connaissait.»

Welles et Hill, et l'épouse de Hill, Hortense, forgèrent une amitié qui dura près de 60 ans.

Roger Hill, 1936

Après avoir quitté Todd, Welles refusa une bourse d'études pour Harvard et se consacra au théâtre, d’abord, assez curieusement, en Irlande. En avril 1936, Welles (alors âgé de 20 ans) dirigea sa fameuse production de Macbeth pour le Federal Theatre Project's Negro Theater Unit à New York, avec la musique de Virgil Thompson. Un an plus tard, Welles présenta la pièce de gauche The Cradle Will Rock de Marc Blitzstein, suscitant de nouvelles controverses. Par la suite, lui et John Houseman fondèrent le Mercury Theater, qui attira un groupe extraordinaire d'acteurs. Welles travailla aussi beaucoup à la radio.

La carrière cinématographique de Welles est légendaire. Il réalisa certaines des plus importantes œuvres cinématographiques des années 1940, 1950 et 1960, dont Citizen Kane (1941), The Magnificent Ambersons (1942), The Lady from Shanghai (1947), Macbeth (1948), Othello (1952), Mr. Arkadin (1955), Touch of Evil (1958), The Trial (1962) et Chimes at Midnight [Falstaff] (1965).

Welles à 15 ans avec ses camarades de classe

Au moment des premières conversations incluses dans le livre de Tarbox (en 1982), Welles, le plus grand réalisateur américain toujours en vie, n'avait pas été capable de terminer un long métrage de fiction depuis plus de 15 ans. Non parce qu'il ne faisait rien, loin de là. Il avait ébauché ou commencé le travail sur de nombreux films (et dirigé The Immortal Story [1968] et le documentaire F for Fake [1973]), mais le «nouveau Hollywood» des années 1970 et 1980 n'avait pas plus de sympathie pour ses projets que le «vieux» système de studios l'avait été, et peut-être même encore moins. Une partie des conversations entre Welles et Roger Hill est dévouée aux différents travaux que le cinéaste espérait réaliser. Tous ces projets tombèrent essentiellement à l’eau en raison de l'étroitesse de vue, de la timidité et du philistinisme de l'industrie du cinéma et de la télévision.

L'une des «scènes» du livre, une conversation tenue en décembre 1984, concerne l’échec de Welles à faire un film à partir de The Cradle Will Rock:

ROGER: Comment fais-tu pour endurer ces coups?

ORSON: Ce ne sont que des nouvelles terribles. Le ciel m'est tombé dessus à six heures hier soir… J’ai une équipe d'acteurs formidable. J'ai tout, sauf l'argent. La production et le scénario m’appartiennent.

ROGER: Tu n'es pas lié au producteur? Il ne te possède pas?

ORSON: Non, je n'ai jamais rien signé.

ROGER: Alors ce n'est qu'une question de trouver l'argent d'une autre source?

ORSON: Oui, mais ce n'est pas toujours facile…

ROGER: Je suis désolé qu'Hortense [Hill] ne soit pas là pour voir ton scénario parce que nous passions tellement de temps avec toi cet été-là [1937].

ORSON: Je sais. Ce que j'ai écrit n'est pas strictement factuel, mais c'est essentiellement la vérité.

ROGER: Ça l'est vraiment. C'est essentiellement la vérité à propos de toi et de Virginia [Nicolson, la première épouse de Welles, avec laquelle il s'était enfui en 1934].

ORSON: Je suis très franc à propos de moi-même.

ROGER: Exactement. Oui, on peut voir et sentir l'esprit de ta jeunesse. Je pense que c'est magnifique. Personne n'aurait pu faire un meilleur travail.

ORSON: Ç’a été difficile à faire, très difficile de me distancer de moi-même, d'être objectif.

ROGER: Tu as capturé un moment unique, ce regard de travers à peine sortit de l'adolescence alors que tu étais responsable de tout.

ORSON: Et son aspect «pas tout à fait adulte », je pense, est très bien réussi. J'en suis très fier. Je pense que c'est la meilleure chose que j’aie écrite.

Welles et Hill étaient des êtres d'une grande stature intellectuelle et culturelle. Ils appartenaient à une génération forgée par les classiques de la littérature occidentale. Les citations de Shakespeare, Poe, Ben Jonson et autres formaient un élément organique de leurs conversations. C'est un moment émouvant lorsque Hill récite le «Sermon sur la Montagne» du Christ par coeur.

Welles dans le rôle de Mercutio Romeo and Juliet

À un certain moment, le plus vieux s’exclame: « Je peux citer la Bible, Shakespeare, et un grand nombre de poèmes appris durant mon enfance. Mais je ne peux me souvenir aussi clairement de ce qui est arrivé la semaine dernière, ou le mois passé.» Ce à quoi Welles réplique, «Tu sais très bien que le vieux matériel est meilleur que le plus récent. Ne serait-ce pas terrible si c'était l'inverse? Que diable y a-t-il à se souvenir du mois dernier? Les grandes choses sont encore avec nous. Accroche-toi à ces précieuses pensées. [rires]»

Welles raconte des souvenirs amusants, comme celui à propos du faux «magicien chinois» Chung Ling Soo, de son vrai nom William Robinson, qui a eu «une longue et fructueuse carrière jusqu'en 1918, lorsqu'il fut accidentellement touché par balle alors qu'il exécutait un tour consistant à attraper avec ses dents une balle tirée par un tireur d'élite. Il mourut le lendemain, qui était, ironiquement, l'anniversaire de naissance d'Houdini.»

Il parla aussi avec émotion de l'acteur John Barrymore, qui n'était pas «l'alcoolique que les gens croyaient être.» Barrymore, selon Welles, avait peur de devenir fou, comme son père, qui avait été interné. «Il [Barrymore] buvait pour fuir cette probabilité. Il se saoulait ou prétendait être saoul lorsqu'il était vraiment perdu, lorsque soudainement il ne savait plus où il était ou ce qui se passait.»

Roger Hill et Orson Welles en 1978

Les questions abordées dans le livre sont trop nombreuses pour être toutes discutées dans cet article: l'éducation, l'administration Roosevelt, la bombe nucléaire, Welles défendant la cause d'un noir, vétéran de guerre, battu et rendu aveugle par un policier de la Caroline du Sud, Ronald Reagan et l'invasion de la Grenade en 1983 (Hill, ironiquement : «Ce fut une noble victoire.» Welles: «Oui, une super victoire») et plus encore…

Et il n'est pas surprenant, étant donné que ces deux hommes étaient en fin de vie, qu'à un moment donné la conversation se porte sur le sujet de la mort:

ORSON: Qu'est que la mort selon toi?

ROGER: Le sommeil, un sommeil que l’on souhaite et que l’on accueille et rien de plus. Il n’y a pas de réincarnation. Nous avons eu notre chance. Bon Dieu, une saison sur terre, n'est-ce pas assez? N'est-ce pas absurde de penser que nous puissions revenir?

ORSON: Serais-tu déçu d'avoir cette surprise?

ROGER: (rire) Je crois, oui.

ORSON: Imagine n’importe quelle forme d'immortalité. Serais-tu déçu de découvrir que ça existe?

ROGER: Je ne peux imaginer que de la douleur en regardant les espoirs que tu avais qui ne ce sont pas réalisés. J'aimerais terminer dans l'espoir. Tu es, en grande partie, responsable de ma décennie de méditations sur la mort, en commençant par notre habitude de lire sur les morts dans la Bible, qui sont parmi les plus poignantes de la littérature. Par exemple, la mort de David, qui avait été un véritable géant sexuel. Ils placèrent la belle servante Sunamite, Abishag, dans son lit. Souviens-toi du passage : «Le roi David était vieux, avancé en âge; on le couvrait de vêtements, et il ne pouvait se réchauffer.» Il faut aussi lire ce que Shakespeare a écrit sur la mort. Falstaff, que tu interprètes si brillamment depuis que tu es jeune, peut me faire pleurer. Dans Henry V lorsque Nell Quickly tend la main et dit…

ORSON: «Sur ce, il m’a dit de lui mettre plus de couvertures sur les pieds. J’ai mis la main dans le lit, et je les ai tâtés, et ils étaient froids comme la pierre;»

ROGER: «Alors je l’ai tâté jusqu’aux genoux,»

ORSON: «Et puis plus haut, et puis plus haut, et tout était froid comme la pierre.»

ROGER: «Froid comme la pierre.» C'est tellement poignant. Ça m'a effrayé toute ma vie.

ORSON: Bon, je ne te retiendrai pas plus longtemps. Ce fut très agréable de parler avec toi.

ROGER: Comme toujours, c'était fantastique.

ORSON: Au revoir.

Comme je l'ai indiqué dans la conversation avec Todd Tarbox, je pense que la partie la plus faible dans les discussions Welles-Hill concerne la période d'après-guerre, l'avènement des purges anticommunistes et les autres questions qui s’y rattachent. Welles utilise son ton le plus cynique et le moins convaincant dans ces passages. Il minimise son point de vue de gauche, parle avec sarcasme de la «menace communiste à New York» dans les années 1930, se plaint d'être traité de «communiste» alors qu'il aurait été plus que disposé à témoigner devant le Congrès à propos «des différences entre les progressistes ou les libéraux et les communistes», et ainsi de suite.

Malheureusement, même des artistes de gauches de la stature de Welles sous-estimaient leur propre travail et la menace qu'il représentait réellement. Sa mise à l'index sur la liste noire, et c'est ce dont il s’agissait, n'était pas fortuite. La purge des éléments de gauche dans l'industrie du cinéma et du théâtre avait été organisée par les pouvoirs en place parce qu'ils comprenaient, mieux que les artistes, qu'un art véritable, humain et complexe a toujours un impact radicalisant et subversif.

La «malédiction» de Welles a été qu'il ne pouvait pas arrêter de se consacrer à ce genre de cinéma, et il s'avéra que ce genre de cinéma était essentiellement incompatible avec l'ordre social américain et ses besoins idéologiques durant la période d'après-guerre. Ce ne fut pas la malchance, encore moins sa propre volonté, qui condamna Welles à tant d'années de frustration, mais bien son intégrité sociale et culturelle.

En tout cas, le livre de Todd Tarbox constitue une véritable contribution à notre compréhension d'une période historique cruciale et de deux personnalités remarquables. Orson Welles and Roger Hill: A Friendship in Three Acts est disponible en anglais sur le site amazon.com.

(Article original paru le 26 juillet 2013)

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