Le journal The Guardian révèle encore plus de surveillance d’Internet

Mercredi, le journal britannique The Guardian, qui avait en premier diffusé les divulgations du lanceur d’alerte de l’Agence de sécurité nationale (NSA), Edward Snowden, sur l’espionnage massif et illégal pratiqué par le gouvernement, a publié un rapport du journaliste Glenn Greenwald décrivant le « plus vaste » programme d'espionnage sur Internet. Le programme, qui s’appelle XKeyscore, permet à l’agence de renseignement d’effectuer toutes les actions allant d’une surveillance à vaste échelle jusqu’à la lecture de contenus d’emails individuels.

Le système permet aux agents du renseignement de consulter, trier et surveiller presque tout le trafic Internet dans le monde entier, y compris le contenu spécifique des communications. Il peut par exemple servir à générer des listes de tous les gens qui consultent un site web. Une fois ces listes établies, presque toutes les communications par Internet des personnes présentes sur les listes peuvent être interceptées.

Le rapport du Guardian est un puissant démenti à la thèse officielle soutenue autant par le président Obama, le chef du Renseignement américain James Clapper, les hauts responsables de la NSA et du FBI, que par les membres démocrates et républicains du Congrès, à savoir le mensonge éhonté que la NSA ne serait pas en mesure de lire le contenu des communications personnelles sans un contrôle juridique serré.

Comme le montre le rapport du Guardian, les fouilles étendues et intrusives des « emails, des activités des réseaux sociaux et des historiques de navigation » rendues possibles par le système XKeyscore ne nécessitent aucune autorisation préalable.

La révélation du programme XKeyscore fait suite aux divulgations précédentes basées sur des documents dévoilés par Snowden, à savoir que les principaux opérateurs téléphoniques remettent régulièrement tous leurs registres d’appels téléphoniques à la NSA et que l’agence a mis en place un massif système mondial d’écoutes téléphoniques sur Internet connu sous le nom de PRISM.

Le rapport du Guardian a été publié le jour même où la Maison Blanche rendait publics des documents jusqu'ici classifiés et tous fortement expurgés, dont deux rapports concernant le « programme de collecte en vrac » de la NSA et une ordonnance judiciaire indiquant les procédures à suivre pour la surveillance des appels téléphoniques à l’intérieur du pays. Le gouvernement affirme que les documents montrent qu’aucune écoute téléphonique ne pouvait avoir lieu sans que les services secrets aient d'abord prouvé avoir des soupçons concrets et que toutes les actions de ce genre étaient soumises au contrôle du tribunal FISA (relatif au renseignement étranger).

La diffusion de ces documents fait partie de la campagne de désinformation lancée par le gouvernement pour limiter les dégâts, tout en semant la confusion dans les esprits afin de dissiper l’opposition populaire aux programmes d'espionnage. Elle est censée prouver une « transparence » en ce qui concerne les programmes secrets qui sont régulièrement approuvés par le tribunal secret FISA, lequel se trouve en dehors du système judiciaire ordinaire.

Même si l’on supposait que la NSA, le FBI et les autres services secrets respectent véritablement les procédures indiquées dans ces documents – et ils ne le font pas – cela ne changerait rien au fait que l’interception sans mandat et à vaste échelle de communications personnelles se fait en violation flagrante du quatrième amendement de la Constitution américaine, qui interdit les recherches et les interceptions déraisonnables et arbitraires.

La date de publication des documents a été choisie pour coïncider avec une séance de la Commission judiciaire du Sénat sur les programme de surveillance interne, au cours de laquelle plusieurs de ses membres ont cherché à se présenter comme des critiques tout en laissant voir qu’ils soutenaient la poursuite des programmes.

La séance a été l'occasion d'une autre effusion d'amour préfabriquée entre le Congrès et les services secrets. Censée montrer le contrôle exercé par le Congrès sur la NSA et le FBI, elle faisait partie en fait du camouflage officiel des actes d’espionnage entrepris par la Maison Blanche avec la complicité à la fois des deux partis politiques et des médias.

Des témoignages ont été fournis par le vice-procureur général James Cole, le directeur adjoint de la NSA John C. Inglis, et le directeur adjoint du FBI Sean M. Joyce. Ils ont tous faussement affirmé que les programmes de surveillance étaient parfaitement légaux et ne posaient aucun risque pour les droits démocratiques, tout en répétant la ligne officielle qu’ils étaient essentiels pour protéger les citoyens américains d’attaques terroristes.

Durant la séance qui a duré trois heures, pas un seul sénateur de l’un ou l’autre parti n’a mis en cause la constitutionnalité des programmes de surveillance.

Le président de la Commission, Patrick Lehey du Vermont, après avoir prononcé quelques phrases vides sur la « transparence » et le « contrôle », a concentré ses salves non pas sur l’illégalité et le caractère anti-démocratique de ces programmes mais sur la défaillance de ceux qui les opèrent pour n’avoir pas empêché Edward Snowden de divulguer à la population américaine leur nature criminelle.

Dianne Feinstein, la deuxième dans l’ordre hiérarchique des démocrates dans la Commission judiciaire et la présidente de la Commission du renseignement du sénat, a publié mercredi dans la rubrique « éditorial et opinion » du Washington Post un commentaire intitulé « Rendre les programmes de la NSA plus transparents » dans lequel elle a demandé d’apporter des « changements au programme d'écoute téléphonique de la NSA dans le but d’augmenter la transparence et d’améliorer la protection de la vie privée. »

Toutes les propositions de Feinstein, que ce soit une plus grande « diversité idéologique » du tribunal FISA ou la publication régulière du nombre d'appels téléphoniques interceptés et enregistrés, sont superficielles et ne visent qu'à créer l’illusion d’un contrôle public tout en laissant intacts les programmes d’espionnage de type Big Brother.

Dans son commentaire, Feinstein a régurgité le mensonge de la Maison Blanche voulant que les programmes ne visent pas à « écouter les appels téléphoniques » et elle a souligné que seule une vingtaine d’« analystes vérifiés de la NSA » ont accès aux données – comme si cela devait rassurer la population américaine !

La façade de légalité entourant les agences d’espionnage a été démolie par les divulgations faites mercredi par le Guardian, qui ont mis à nu l'ampleur des programmes de surveillance du gouvernement et le fait que les agences de renseignement peuvent intercepter un vaste éventail de communications privées avec la facilité d'un simple moteur de recherche sur Internet.

Comme le remarquait l’article du Guardian, « XKeyscore fournit la capacité technologique, si ce n’est l’autorité légale, de soumettre même des personnes aux Etats-Unis à une écoute électronique poussée sans recours à un mandat. »

XKeyscore est le « plus vaste » des nombreux systèmes numériques de collecte et analyse automatique de données (data mining) à être mis en place à la NSA. Il permet aux agents secrets de la NSA non seulement d'intercepter des communications ciblées mais aussi de ratisser large dans d'énormes banques de données pour dresser des listes de suspects.

Le programme permet aux agents du renseignement d’exercer une surveillance même si leurs cibles sont inconnues ou s’adonnent à une activité présumée anonyme comme naviguer sur le web. Contrairement à d’autres systèmes, il n’a pas besoin d’un « critère précis », telle une adresse email ou une adresse IP, pour effectuer la surveillance.

On ne saurait dire si un aussi gigantesque appareil d’espionnage et, en fin de compte, de répression a jamais été érigé ailleurs dans le monde, même sous les dictatures les plus féroces. Bien qu'on ne sache pas le nombre exact d'enregistrements conservés dans le système, il s'élève probablement à plusieurs milliards par jour.

Les révélations publiées mercredi et la réaction de l’establishment politique soulignent le fait qu’il n’existe aucune opposition, ni dans le parti démocrate ni dans le parti républicain, à l’expansion sans fin des pouvoirs policiers du gouvernement américain.

(Article original paru le 1er août 2013)

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