Le projet de loi 60 du Parti québécois viole les droits démocratiques

Faisant suite à sa «charte des valeurs québécoises» rendue publique en septembre dernier, le nouveau projet de loi 60 du Parti québécois attaque encore plus durement les minorités religieuses et les droits démocratiques et sociaux de plus d’un demi-million de travailleurs du Québec.

Son titre officiel est «Charte affirmant les valeurs de laïcité et de neutralité religieuse de l'État ainsi que d'égalité entre les femmes et les hommes et encadrant les demandes d'accommodement». La «laïcité» de l’État et l’«égalité des sexes» ne sont que des prétextes utilisés par le PQ, avec le soutien d’importantes sections de l’élite dirigeante et des classes moyennes adoptant une pose libérale, pour violer la liberté religieuse inscrite dans la Charte des droits et libertés de la personne, et diviser la classe ouvrière sur des lignes ethniques.

Si elle devient loi, la Charte interdira aux femmes musulmanes au visage voilé de recevoir des soins de santé (sauf en cas d'urgence) ou tout autre service public. De plus, au risque de perdre leur emploi, plus d'un demi-million de travailleurs du secteur public et parapublic – notamment les fonctionnaires, les enseignants et les travailleurs des hôpitaux – se verront interdire le port de signes religieux «ostentatoires» au travail. Le turban et le kirpan sikhs, la kippa juive et le hijab (foulard) musulman font partie de ces signes. Un travailleur d’une entreprise privée employé de manière contractuelle par un organisme public pourrait aussi se voir imposer le même traitement.

Le «droit de retrait renouvelable» prévu dans la proposition initiale – dont de nombreux établissements et organismes désiraient se prévaloir – est devenu une période d’«adaptation» d’une durée d’un an débutant au moment où la loi sera adoptée. Les organismes gouvernementaux, les municipalités, les réseaux de l’éducation et de la santé devront tous se conformer à la loi. Au terme de cette année, les établissements de santé et d'éducation puis les municipalités pourront demander une période de «transition» de quatre ans. Selon le projet de loi, si un organisme ne met pas en place de politique pour appliquer la charte, le ministre responsable pourra le faire à sa place.

Au même moment où le PQ s’en prend aux libertés religieuses au nom de la laïcité, il refuse toujours de retirer le crucifix qui trône à l’Assemblée nationale. Dans le but de courtiser le vote nationaliste de droite, le ministre responsable du dossier, Bernard Drainville, a indiqué que le retrait ou le maintien du crucifix sera tranché par «une décision consensuelle des partis au bureau de l'Assemblée nationale».

Avec sa Charte, le PQ cherche à détourner l’attention des vastes coupes sociales qu’il met en œuvre depuis son arrivée au pouvoir vers des problèmes artificiels et montés de toutes pièces, comme la supposée menace que posent à la «culture québécoise» des immigrants intransigeants, voire extrémistes, qui voudraient «imposer» leurs valeurs.

Le Parti libéral du Québec (PLQ), qui se présentait comme un défenseur de la liberté religieuse, s’est adapté à la campagne chauvine de droite du PQ. Bien qu'il appuyait l'interdiction de fournir des services publics aux femmes voilées, le PLQ avait jusqu'ici qualifié d’«exagérée» l'interdiction des signes religieux pour tous les employés du secteur public telle que prônée par le PQ. Son chef Philippe Couillard affirmait il y a quelques semaines qu’il faudrait lui «passer sur le corps» pour qu’il change de position.

Toutefois, en novembre, Couillard a soudainement changé sa position en se disant ouvert à une telle interdiction, mais seulement pour des personnes en position d'autorité comme les policiers et les juges. Ce revirement est survenu après une rébellion dans le caucus libéral, menée par la députée Fatima Houda-Pépin. Celle-ci a profité d'un débat bidon, autour du scénario hautement hypothétique que des candidates libérales portant le tchador soient élues à l'Assemblée nationale, pour pousser son parti vers des positions ouvertement anti-immigrantes.

Dans une lettre ouverte, Houda-Pépin a décrit le tchador (foulard traditionnel iranien) comme «l'expression même de l'oppression des femmes» et «la signature de l'intégrisme radical», adoptant ainsi le discours anti-musulman qui sous-tend tout le débat officiel autour de la laïcité. Dans une remarque qui dévoile clairement le contenu anti-démocratique de ce débat, Houda-Pépin s'est vantée à la fin de sa lettre que «le Parti libéral du Québec a déjà limité la liberté d'expression (liberté fondamentale) en matière d'affichage commercial». Le ministre Drainville a salué le tournant à droite des libéraux sur la Charte tout en indiquant que leur position demeurait insuffisante.

Le fait est que la classe dirigeante québécoise et canadienne cherche de plus en plus à acclimater la population à la suppression des droits démocratiques. Face à la grève étudiante québécoise de 2012, qui reflétait un ras-le-bol généralisé envers les brutales mesures d'austérité capitaliste, le gouvernement libéral précédent a reçu le plein soutien de l'élite dirigeante pour son recours à la brutalité policière, aux arrestations de masse, aux injonctions des cours, et à une loi anti-démocratique interdisant à toutes fins pratiques les manifestations anti-gouvernementales sur tout le territoire de la province.

Pour leurs propres raisons d'affaires, certaines sections de l’élite patronale font preuve de réticence face à la Charte. La Fédération des chambres de commerce du Québec a récemment diffusé un communiqué dans lequel elle affirme que «dans un contexte démographique où le Québec a besoin de tous les talents, l'interdiction du port de symboles religieux crée des tensions inutiles qui rendront plus difficile le recrutement de talents, un ingrédient essentiel au développement économique et à la croissance des entreprises».

Cette position fait écho à la position de Charles Taylor, le philosophe libéral qui a co-présidé la commission sur les «accommodements raisonnables» en 2007. «Ça va nous priver d'une main-d'oeuvre qui était très précieuse dans certains domaines, notamment dans le domaine de la santé», a-t-il dit.

Le PQ est allé de l’avant avec sa Charte malgré une importante opposition populaire et des preuves de plus en plus évidentes que les accommodements religieux ne causent aucun problème dans les milieux de travail. Selon des informations obtenues par le quotidien La Presse, depuis 2010, une seule plainte a été enregistrée auprès de 11 hôpitaux montréalais en ce qui concerne le port du voile, les demandes de congé pour motifs religieux ou tout autre accommodement. En octobre, la Commission des droits de la personne déclarait ouvertement qu’avec son projet de loi, le gouvernement Marois «porte atteinte aux libertés et droits fondamentaux».

En dépit de ces faits, les centrales syndicales du Québec, y compris la FTQ et la CSN, ont endossé le cadre anti-démocratique de la Charte, limitant leurs critiques occasionnelles à des aspects limités du projet de loi péquiste. D'accord sur le principe qu'il faut interdire le port de signes religieux par les employés de l'État, les syndicats rechignent seulement sur la question de savoir jusqu'où devrait aller cette interdiction. Par exemple, la Fédération interprofessionnelle de la santé du Québec (FIQ), qui regroupe 62000 professionnels en soins infirmiers, a donné son plein appui à la Charte, alors que la CSN s'est opposée à l'interdiction des signes religieux dans le secteur hospitalier tout en réclamant sa pleine application dans le secteur de l'éducation, y compris les garderies, et son extension aux écoles et garderies privées.

L'appui syndical à la Charte anti-démocratique du PQ est loin d'être surprenant. Alliés de longue date de ce parti de la grande entreprise, les syndicats agissent à titre de défenseurs endurcis du système de profit au nom de la «paix sociale». Ils agitent continuellement le drapeau du nationalisme québécois pour diviser les travailleurs du Québec de leurs frères et sœurs de classe du reste du Canada et des États-Unis. Leur réponse à la grève étudiante de 2012 a été de l'isoler puis de la canaliser derrière l'élection d'un gouvernement péquiste, ce qui a permis à la bourgeoisie à reprendre de plus belle son assaut sur les emplois, les salaires, les services publics et les droits démocratiques.

La classe ouvrière doit rejeter le projet de Charte du PQ qui ne sert qu'à diviser la classe ouvrière. Le vrai problème n’est pas les différences religieuses et ethniques, mais le système capitaliste et la domination de la société par une petite couche d’ultra riches. Les travailleurs, qu’ils soient francophones, anglophones ou immigrés, doivent bâtir leur propre parti politique indépendant et lutter pour un programme socialiste visant à réorganiser toute la vie économique et sociale sur la base des besoins humains et non le profit privé.

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