Une manne financière pour les compagnies automobiles américaines

Wall Street est en train de célébrer des bénéfices de plusieurs milliards de dollars annoncés par Chrysler et Ford. Alors que les analystes industriels, les chefs d’entreprise et les médias ont attribué les profits aux nouveaux modèles mis en place par les constructeurs automobiles de Detroit et à l’accroissement des ventes, ces bénéfices sont essentiellement le résultat d’une énorme réduction des coûts du travail et de l’augmentation de l’exploitation des travailleurs de l’automobile dans les usines.

Une chaîne de montage de l’usine de camions Chrysler de Warren avenue dans la banlieue de Detroit [Photo: Chrysler Group]

Chrysler a rapporté avoir réalisé un bénéfice de 1,7 milliards de dollars après impôts en 2012, soit un bond de 20 pour cent par rapport à il y a un an. Ford a dépassé les évaluations en publiant un bénéfice de 5,7 milliards de dollars, son plus gros profit avant impôts affiché au quatrième trimestre depuis 1999. GM a enregistré un bénéfice de 4 milliard de dollars durant les trois premiers trimestres de 2012 et publiera ses résultats de fin d’exercice le 14 février.

Les médias ont signalé un accord de « participation au bénéfice » (« profit-sharing ») négocié par le syndicat des travailleurs unis de l’automobile (United Automobile Workers, UAW) – qui versera une somme dérisoire de 6.000 dollars après impôts aux travailleurs de Ford et de 2.200 dollars à ceux de Chrysler – comme preuve que tous partagent en période de vaches grasses.

Mais, comme un analyste de l’industrie l’a dit au Detroit Free Presse, « L’UAW n’a pas eu d’augmentation de salaire au cours de ces huit dernières années au moins, dépendant des paiements forfaitaires et de la participation au bénéfice s’élevant entre 20 et 25 pour cent de leur salaire annuel. En revanche, 30 ans plus tôt, l’UAW négociait généralement des accords sur trois ans prévoyant des hausses de salaires de 3 pour cent par an. » A présent, a-t-il ajouté, « S’il n’y a pas de bénéfice, les versements ne sont pas faits. Cela a été le cas chez Ford de 2005 à 2008. »

L’UAW a accepté des concessions évaluées à 1,3 milliards de dollars par an. Ceci est passé directement des travailleurs aux poches des PDG et des requins de Wall Street.

Ces restitutions comprennent le COLA, la rémunération des heures supplémentaires après huit heures et les protections contre les licenciements et les accélérations des cadences. De plus, l’UAW a supervisé l’extension du système salarial à deux vitesses « two-tier » qui a relégué les salariés nouvellement recrutés à un niveau à peine supérieur à celui d’esclaves industriels. Gagnant si peu qu'ils ne peuvent pas se payer les voitures qu’ils construisent, ces travailleurs s'entendent dire par les responsables de l’UAW censés les « représenter », qu'il faut la fermer et s'estimer heureux d’avoir un emploi.

Chez Chrysler et chez Ford de nouveaux « Horaires de travail alternatifs » (« Alternative Work Schedules ») ont été instaurés et qui prolongent la journée de travail en imposant le travail obligatoire le samedi, sans paiement des heures supplémentaires. Des horaires de travail nuisibles à la santé et la perturbation de la vie familiale ne veulent rien dire pour les cadres supérieurs de l’automobile et leurs surveillants au sein de l’UAW lorsqu’il s’agit d’extraire encore davantage de plus-value et de bénéfice sur le dos des travailleurs de l’automobile.

La restructuration de l’industrie automobile de 2009, supervisée par le gouvernement Obama avec le soutien total de l’UAW, était censée fournir à Wall Street des retours sur investissements sans précédents en abaissant le seuil de rentabilité pour faire du profit. En raison de la réduction brutale des coûts du travail, les entreprises sont actuellement en train d’engranger plus d’argent et ce bien que les ventes américaines de véhicules aient chuté de plus de 20 pour cent depuis le krach financier de 2008.

Au troisième trimestre, par exemple, Ford a réalisé une marge bénéficiaire de 12 pour cent – un chiffre inimaginable pendant toute une décennie.

Le patron du groupe Chrysler/Fiat, Sergio Marchionne, a réagi aux rapports de bénéfice en promettant qu’il n’y aurait pas de relâchement dans le recours à la cravache. « Nous prenons un moment pour profiter de ce que nous avons réalisé mais nous n’en resterons pas là, » a-t-il écrit dans un courriel adressé à ses employés. « Notre accomplissement continu repose sur un esprit humble et une concentration intense sur l’intégrité de notre travail. Et donc on continue sur cette voie. »

Alors que les travailleurs de l’automobile et leur famille luttent pour conserver leur maison, pour payer l’éducation et régler les factures de médecin, les dirigeants de l’automobile célèbrent leur réussite. Après avoir dopé les retours sur investissements, Marchionne – qui a empoché 19 millions de dollars en 2011 – et Alan Mulally de Ford – qui a reçu 29,5 millions de dollars – sont sûrs d’obtenir des rémunérations exceptionnelles.

En ce qui concerne l’UAW, sa principale préoccupation est de protéger les traitements et les privilèges du président de l’UAW, Bob King, du vice-président Holiefield et du reste des gestionnaires au siège central du syndicat nommé à tort Solidarity House. Tout en rendant, les uns après les autres, sans sourciller les acquis gagnés de haute lutte par des générations de travailleurs de l’automobile, King & cie seraient actuellement en train de se quereller amèrement avec Marchionne quant au prix que ce dernier veut payer pour les actions de l’entreprise détenues par l’UAW.

L’UAW est tellement discrédité aux yeux des travailleurs que le syndicat a été incapable de rassembler une opposition significative contre l’adoption au Michigan de la loi applicable au droit au travail et qui a mis un terme au versement obligatoire des cotisations syndicales. King a passé le plus clair de son temps à essayer de persuader le gouverneur républicain Rick Snyder que les entreprises pourraient réaliser un bénéfice bien plus important avec les syndicats que sans eux.

Parfaitement conscient que les travailleurs cesseront de payer des cotisations avec l’expiration des accords en 2015, King s’est plaint dans une interview accordée au Detroit News en disant que de tels travailleurs obtiendraient tout tout cuit dans le bec tandis que d’autres devaient payer pour les grands « services » rendus par l’UAW.

« Nos membres, » a-t-il dit sur un ton peu convaincant, « désapprouvent peut-être certaines questions ou une certaine politique. Mais, ils comprennent très bien qu’ils n’auraient pas les salaires et les avantages, la sécurité, les procédures normales, la démocratie qu’ils ont – la voix qu’ils ont au sein des entreprises – sans l’UAW.

De qui se moque-t-il?

Après avoir collaboré à la démolition des emplois et des conditions de travail des travailleurs américains de l’automobile, King est actuellement en train d’aider GM et Ford à attaquer les travailleurs européens de l’automobile. Il a été nommé au conseil d’administration de la filiale allemande Opel de GM afin de contribuer à étouffer l’opposition à la fermeture de l’usine de Bochum (Allemagne) et l'exigence du gel des salaires des 20.000 travailleurs allemands de l’automobile.

Partout dans le monde, la résistance croît parmi les travailleurs de l’automobile contre les attaques perpétrées par les géants mondiaux de l’automobile. Les travailleurs français de Renault et de Peugeot-Citroën (qui est lié à GM) font grève et occupent les usines menacées de fermeture chez Renault. Les travailleurs brésiliens de GM ont également arrêté le travail pour lutter contre la destruction des emplois alors que les travailleurs de l’automobile et ceux des équipementiers en Inde et en Chine ont lutté contre les bas salaires et les conditions semblables à ceux des ateliers de misère.

La classe ouvrière à travers le monde entier est confrontée aux mêmes défis politiques. Les vieux syndicats et partis politiques qui prétendent parler au nom de la classe ouvrière sont en train d’imposer les exigences dictées par les banques et les grands groupes. Ce n’est pas le courage et la détermination qui font défaut chez les travailleurs, mais ils sont confrontés à une crise de la direction du prolétariat.

De nouvelles formes de lutte doivent émerger, comprenant des comités d’action contrôlés par les travailleurs de la base et qui soient totalement indépendants des syndicats et des partis patronaux comme les Démocrates et les Républicains aux Etats-Unis. De tels comités doivent rejeter la demande que la vie des travailleurs soit subordonnée au profit des riches et, au lieu de cela, lutter pour la mobilisation des travailleurs pour la défense du droit à des emplois sûrs et payés décemment pour tous.

Ceci signifie le rejet du nationalisme des appels à « acheter américain » lancés par l’UAW et l'établissement de liens les plus étroits avec les travailleurs du monde entier dans le but de mener une lutte commune.

Mais avant tout, les travailleurs de l’automobile sont confrontés à une lutte politique. Ils ne luttent pas contre tel ou tel employeur mais contre tout un système économique et politique – le capitalisme – qui enrichit quelques-uns aux dépens des masses de la population laborieuse. Pour garantir que les besoins de la société soient prioritaires sur les ultra-riches, la classe ouvrière doit s’organiser en tant que force politique indépendante et lutter pour la mise en place d’un gouvernement ouvrier.

La vie économique doit être organisée de façon à satisfaire les besoins de ceux qui produisent les richesses de la société, la classe ouvrière. Ceci inclut la nationalisation de l’industrie automobile et des grandes banques en les plaçant sous le contrôle démocratique des travailleurs en tant que partie intégrante de la réorganisation socialiste de l’économie américaine et mondiale. Le Parti de l’Egalité socialiste (Socialist Equality Party) appelle tous les travailleurs de l’automobile qui veulent engager cette lutte à rejoindre et à construire notre parti comme la nouvelle direction révolutionnaire de la classe ouvrière.

(Article original paru le 2 février 2013)

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