La chasse aux sorcières continue contre les travailleurs de Maruti Suzuki en Inde

La direction de la compagnie et le gouvernement de l'Etat fédéré d'Haryana au Nord, à majorité du Parti du Congrès indien, continuent leur féroce campagne de répression contre les travailleurs de l'automobile à l'usine Maruti Suzuki Inde (MSI) de la ville de Manesar, dans la banlieue de la capitale New Delhi.

En se servant d'une liste fournie par la direction, le gouvernement de l'Etat fédéré a récemment arrêté un autre travailleur faisant passer le nombre total de travailleurs de l'automobile en prison à 150. De plus, une chasse à l'homme est organisée par la police pour retrouver 65 autres travailleurs de cette liste qui ont fui ou se cachent pour échapper à la répression policière.

L'été dernier, 149 travailleurs dont l'intégralité des dirigeants du syndicat dissident Maruti Suzuki Workers Union (MSWU) ont été arrêtés par un coup de filet de la police. Ils ont été accusés à tort de la mort le 18 juillet du directeur des ressources humaines, ce dernier avait été tué au cours d'une attaque contre les travailleurs, ordonnée par la direction et menée par des gardes armés ainsi que des membres de cette direction. Les travailleurs arrêtés ont été soumis à de graves tortures pour obtenir d'eux des confessions (Lire : Inde: Des travailleurs de Maruti Suzuki emprisonnés sont soumis à la torture).

Un grand nombre des travailleurs torturés n'étaient même pas présents dans l'usine lorsque l'altercation avait eu lieu. Néanmoins, ils ont été arrêtés avec les autres quand MSI a mis leurs noms sur la liste donnée à la police.

Jusqu'à aujourd'hui, il n'y a eu aucune enquête indépendante et fiable sur ce qui a entraîné la mort du directeur – Awanish Dev – qui était généralement bien vu par les travailleurs. Une équipe d'enquête spéciale, dirigée par le commissaire de police adjoint, a déclaré l'innocence de la direction, imputé toute la faute aux travailleurs et est allée jusqu'à insinuer que les travailleurs de l'automobile avaient prévu de tuer tous les membres de la direction dans l'usine. Ce rapport monté de toutes pièces n'a toujours pas été publié officiellement.

Ce géant mondial de l'automobile (il s'agit de la plus importante compagnie automobile en Inde) et les représentants de l'Etat membres du Parti du Congrès veulent faire un exemple des travailleurs et montrer clairement qu'aucune lutte contre les bas salaires et les conditions de travail brutales ne sera tolérée.

Le Parti du Congrès, principal partenaire au sein de la coalition Alliance progressiste unie (APU) qui est aussi le premier parti politique de la bourgeoisie indienne, réagit avec une telle dureté parce que les travailleurs de l'auto à Maruti Suzuki ont maintenu leur lutte déterminée malgré une répression de tous les instants. L'endurance extraordinaire des travailleurs a menacé de provoquer un mouvement plus large de la classe ouvrière dans la vaste ceinture industrielle de Gurgaon-Manesar où est implantée l'usine MSI et plus largement dans toute l'Inde.

Toute la stratégie économique de la classe dirigeante indienne, depuis l'ouverture du pays à l'économie mondiale dans les années 1990, se doit de garantir d'énormes profits aux investisseurs étrangers en fournissant une main d'œuvre pas chère et très exploitée. Comme les luttes de masse des travailleurs de l'auto en Chine en 2010, la lutte des travailleurs de MSI menace l'ensemble de cet arrangement.

Dans une chasse aux sorcières qui ne faiblit pas, la direction de l'usine a abruptement transféré 12 travailleurs réguliers de l'usine de Manesar vers les divers autres sites de la compagnie dans le pays. Les représentants de la compagnie n'ont pas expliqué cette décision arbitraire, déclarant seulement que cela fait partie des droits de la direction. Parmi les conditions pour obtenir un emploi à l'usine, les travailleurs doivent signer un document dans lequel ils laissent le droit à la direction de les transférer vers n'importe quel site de la compagnie, quand elle le veut. Il ne fait aucun doute que c'est une nouvelle manœuvre pour extirper les travailleurs militants du site.

En outre, la compagnie a sommairement licencié 546 ouvriers en contrats à durée indéterminée et 2000 autres en contrats à durée déterminée ou passant par une agence d'intérim en septembre. Mêmes les membres de la famille des travailleurs ont été soumis au harcèlement arbitraire de la police et certains ont été emprisonnés.

Le président de MSI, RC Bhargava a déclaré de manière arrogante que la compagnie ne reprendra aucun des milliers de travailleurs licenciés pour avoir « pris part à des actions violentes » et pour avoir fait « partie de la foule. »

Les travailleurs de son usine ont lutté plus d'un an pour obtenir la reconnaissance de leur syndicat, qui a été fondé au cours d'une lutte contre le syndicat jaune de la compagnie. Durant plus d'un an, la compagnie et le gouvernement de l'Etat à majorité Congrès ont refusé de reconnaître le MSWU.

Les représentants de la compagnie et du gouvernement veulent mettre fin à toute tentative des travailleurs de rompre avec les syndicats parrainés par la compagnie ou avec les fédérations syndicales existantes dirigées par le Parti du Congrès ou les staliniens, ceux-ci sont tout autant engagés en faveur du programme nationaliste consistant à proposer les travailleurs indiens comme main d'œuvre bon marché.

Comme l'a déclaré à la presse S Y Siddique, PDG de MSI, le coût du travail dans l'industrie automobile américaine est autour de 35 dollars de l'heure, alors qu'en Inde le même travail est proposé à 3 dollars de l'heure. « Nous avons un énorme avantage » a dit Siddique.

Maruti Suzuki a également annoncé un plan pour ouvrir une nouvelle usine automobile dans l'Etat du Gujarat à l'Ouest de l'Inde, qui est dirigé par le parti suprématiste hindou Bharatiya Janata Party (BJP). Le Premier ministre communautariste hindou récemment réélu Narendra Modi s'est attiré les bonnes grâces des grandes entreprises étrangères comme locales en ne se contentant pas de proposer des réductions d'impôts et autres incitations, mais également en intervenant activement dans les grèves des travailleurs pour les déclarer « illégales ». Un exemple représentatif a été la grève des travailleurs de l'usine de pneumatique Apollo en novembre dernier, que le gouvernement du Gujarat a interdit, donnant la permission à la direction de licencier en masse les travailleurs.

Ces attaques contre les travailleurs prennent place dans un contexte où l'économie de l'Inde qui fonctionne surtout à l'exportation est fortement frappée par les effets de la crise économique mondiale. Siddique a déclaré « [L']usine MSI va être construite au Gujarat pour 40 milliards de roupies (727 millions de dollars) et devrait démarrer en 2015-16… » Il a reconnu que « [même si] le taux de croissance dans l'industrie automobile était anticipé à 14 pour cent, il s'est [actuellement] stabilisé à 4 à 5 pour cent pour la [période] fiscale actuelle. » Ainsi, il a ajouté que « cela [a] créé une certaine confusion sur nos plans pour le Gujarat. »

Il y a une sympathie énorme, largement répandue, pour les travailleurs de MSI. Si le gouvernement et la compagnie ont été en mesure de monter une vendetta contre eux c'est parce que les fédérations syndicales de la ceinture de Gurgaon-Manesar et du Front de gauche des staliniens ont systématiquement isolé les travailleurs de MSI. Ils ont préféré détourner l'attention des travailleurs vers des appels au ministère du travail, aux tribunaux et au gouvernement de l'Haryana dominé par le Parti du Congrès. Cela alors même que toutes ces forces ont été vues travaillant main dans la main avec la direction.

Le rôle joué par l'AITUC (All-India Trade Union Congress) et le CITU (Centre for Indian Trade Unions) a été particulièrement pernicieux, ce sont respectivement les fédérations syndicales du Parti communiste de l'Inde (PCI) et du Parti communiste de l'Inde (Marxiste) (PCM – la parenthèse fait partie de leur nom, ndt). Ces organisations dirigées par des staliniens ont à maintes reprises insisté auprès des travailleurs de Manesar pour qu'ils réduisent leurs demandes et se soumettent au système de négociations collectives corporatistes. Cela fait partie de leurs efforts pour convaincre les employeurs que les syndicats peuvent les aider à gérer leurs relations de travail.

Le PCI et le PCM et leur Front de gauche ont soutenu à plusieurs reprises les gouvernements dirigés par le Parti du Congrès à Delhi, même quand ils appliquaient des « réformes » néo-libérales, et dans les Etats où les staliniens ont eu des responsabilités, ils ont appliqué ce qu'ils appellent eux-mêmes une politique « pro-investisseurs. »

Alarmés par le tempérament toujours militant des travailleurs de MSI, les représentants syndicaux qui ont fait tout ce qui était en leur pouvoir pour isoler les travailleurs de MSI ont commencé à être présents aux rassemblements organisés par les travailleurs affiliés au MSWU. Lors d'un de ces rassemblements en décembre, des représentants du CITU affilié au PCM et de l'AITUC affilié au PCI ainsi que diverses autres petites fédérations syndicales ont pris la parole en faisant des promesses creuses de solidarité.

Comme cela a été amplement démontré, les travailleurs de MSI ne peuvent pas s'en remettre à l'appareil syndical, mais doivent lutter pour une mobilisation indépendante de la classe ouvrière en opposition aux syndicats existants et aux partis politiques qui sont derrière eux. En même temps, des appels doivent être lancés aux travailleurs de l'automobile aux États-Unis, en Europe, en Asie et partout dans le monde pour développer une stratégie internationale qui permettra de lutter contre les multinationales de l'automobile et le système capitaliste, qui appauvrissent la classe ouvrière du monde entier pour enrichir une petite poignée d'individus.

(Article original paru le 10 janvier 2013)

À lire également (en anglais) :

Defend auto workers victimised by Maruti Suzuki and Indian authorities

[6 December 2012]

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