L'impasse se poursuit au sujet de la crise des otages en Algérie

L’impasse actuelle sur le site de traitement de gaz naturel de Tinguentourine entre les forces spéciales algériennes et les insurgés islamistes hostiles à la guerre française au Mali s’est poursuivie hier 18 janvier alors que la France renforçait son invasion du Mali voisin.

Les autorités algériennes n’ont toujours pas fourni de décompte précis des victimes de l’attaque menée jeudi 17 janvier par les forces spéciales algériennes contre le site gazier BP-Statoil-Sonatrach. Elles ont démenti des rapports initiaux selon lesquels 36 otages et 11 des 18 combattants islamistes avaient été tués. Plus de 650 otages ont été libérés dont 573 travailleurs algériens et environ une centaine sur les 132 otages étrangers parmi lesquels se trouvaient des citoyens japonais, américains, irlandais, britanniques, norvégiens et français.

La brigade des « Signataires par le sang » qui a des liens avec al Qaïda et qui avait déclenché l’opération de prise d’otages mercredi à 5 heures 30 exige des négociations pour mettre fin à la guerre française au Mali. Elle propose aussi d’échanger des otages américains contre deux prisonniers détenus aux Etats-Unis, le cheikh aveugle Omar Abdel Rahman et la scientifique pakistanaise, Aafia Siddiqui.

La brigade des « Signataires par le sang » serait dirigée par Mokhtar Belmokhtar, un Algérien de 40 ans et un influent trafiquant de cigarettes, d’armes et autres marchandises dans le Sahara. Il s’était rendu en Afghanistan à l’âge de 19 ans pour s’entraîner avec al Qaïda qui aidait alors Washington dans sa guerre par procuration contre le gouvernement afghan soutenu à l’époque par l’Union soviétique. Rentré en Algérie en 1993 pour lutter en tant que membre du Groupe salafiste pour la Prédication et le Combat (GSPC) contre le gouvernement militaire dans la guerre civile algérienne qui dura de 1991-2001. Le groupe se renomma en 2007 al Qaïda au Maghreb islamique (AQMI).

L’équipe d’assaut islamiste comprenait apparemment des combattants libyens, syriens et algériens ainsi qu'un citoyen français et un Européen du Nord que les combattants appelaient « le Norvégien ».

L’assaut fait partie des retombées politiques de la guerre sanglante menée en 2011 par l’OTAN en Libye et qui avait placé des associés libyens d’al Qaïda à de nombreux postes de pouvoir en Libye. La guerre avait aussi inondé la région entière d’armes qui servent actuellement à des opérations insurrectionnelles en Algérie et dans le Nord-Mali voisin.

L’armée algérienne aurait décidé d’attaquer les Islamistes pour empêcher une éventuelle destruction du site de Tinguentourine qui produit 18 pour cent des exportations gazières de l’Algérie. Alger a publié un communiqué déclarant qu’avant l’attaque, les Islamistes étaient sur le point de dépasser « un stade de non-retour… une véritable catastrophe pour les centaines d’otages et l’installation de traitement de gaz naturel. »

Yasmina Khadra, écrivain et un ancien officier de l’armée algérienne a dit au quotidien Le Parisien que les Islamistes cherchaient à « faire un maximum de victimes et peut être faire sauter le site gazier, ce qui explique la réaction immédiate des forces algériennes.

Les puissances impérialistes se sont heurtées sur la question de la politique à adopter dans la crise des otages. Le premier ministre japonais Shinzo Abe a contacté le premier ministre algérien Abdelmalek Sellal pour exiger un arrêt immédiat des attaques en protestant « fermement » contre le lancement de cette opération. Tokyo a aussi convoqué l’ambassadeur algérien en exigeant une explication pour cette opération.

Washington a aussi fait part de son mécontentement quant à la gestion de cette crise. Le porte-parole du Conseil de sécurité nationale de la Maison Blanche, Tommy Vietor, a dit que le président Barack Obama suivait de près la crise et qu’il s’était entretenu avec le premier ministre britannique, David Cameron. « Nous sommes en contact constant avec le gouvernement algérien, et nous avons dit clairement que notre plus grande priorité était la sécurité des otages, » a dit Vietor.

Dans le même temps, Washington accentue sa rhétorique belliqueuse et laisse entendre qu'il envisage une escalade de son intervention militaire dans la région. Des responsables américains ont confirmé que des drones américains survolaient l’Algérie, apparemment pour recueillir des renseignements sur le site de Tinguentourine. Mercredi, le secrétaire à la Défense, Leon Panetta, a dit à la chaîne de télévision américaine ABC que Washington examinait la manière d' « utiliser nos moyens militaires » dans la crise des otages en Algérie.

Hier, Panetta a rencontré Cameron pour discuter de la crise des otages en Algérie ainsi que de la politique à appliquer à l’égard de la Syrie et de l’Iran. Après la réunion, il a menacé les Islamistes en Algérie et dans toute la région : « Les terroristes doivent savoir qu’ils ne trouveront aucun sanctuaire, aucun refuge. Ni en Algérie, ni en Afrique du Nord, ni nulle part. »

Jeudi, Panetta avait fait des déclarations menaçant le président syrien Bachar al-Assad, contre lequel Washington est en train de mener une guerre par procuration aux côtés d’élément islamistes d’extrême-droite. Il a cité un renseignement non spécifié selon lequel Assad préparait des armes chimiques en vue de les utiliser à l’intérieur de la Syrie, ce qui, ont déclaré les Etats-Unis, provoquerait une invasion américain de la Syrie. Panetta a dit, « Notre plus grande inquiétude sont les renseignements que nous avons reçus – qu’ils étaient en fait en train de d’assembler ces ingrédients dans des obus pour ensuite les utiliser contre leur propre population. »

Paris était seul à qualifier l’opération algérienne de « complexe » en refusant d’exercer une pression sur l’Algérie. Au sein de la classe dirigeante française l’on s’inquiète de plus en plus que la crise des otages ne sape le soutien général accordé à la guerre au Mali du président François Hollande et ne suscite une opposition ouverte au sein de la classe ouvrière.

Raillant Hollande comme étant un dirigeant politique « ébranlé » par les événements, le site Internet Rue89 a écrit : « Voilà comment une vingtaine d’islamiste hystériques risquent de lézarder rapidement le consensus international autour de son action. Voilà comment peuvent naître les premiers germes du doute et de trouble dans l’opinion publique nationale quant au bienfondé de la mission civilisatrice qu’on voulait lui présenter. »

Au Mali, après des frappes aériennes répétées, les troupes françaises et maliennes ont repris les villes de Konna et de Diabaly au centre du Mali détenues par les rebelles. Le ministre français de la Défense, Jean-Yves Le Drian, a dit que les forces françaises étaient confrontées à 1.200 ou 1.300 forces rebelles.

L’Union européenne (UE) a promis 50 millions de dollars pour aider à payer le déploiement des soldats ouest-africains venus appuyer la guerre française, mais a refusé d’envoyer ses propres troupes.

L’on redoute déjà que la guerre au Mali, comme la guerre libyenne avant elle, ne conduise à une escalade de la violence régionale. Hier, le général Carter Ham, commandant des Forces américaines en Afrique, a rapporté qu’AQMI avait mis sur pied avec le groupe islamiste nigérien Boko Haram des liens financiers et opérationnels au Nord-Mali.

Des responsables de l’ONU ont publié un rapport mettant en garde contre une pénurie alimentaire grandissante au Mali et disant s’attendre à ce que le nombre des réfugiés grimpe de 230.000 à 700.000 au fur et à mesure que la guerre de la France se poursuit. Selon Zlatan Milisic du Programme alimentaire mondial, « Il y a environ 1,8 million de gens qui vivent dans les régions affectées, et un tiers d’entre eux vivent déjà dans l’insécurité alimentaire. »

Dans le centre du Mali, il y aurait de graves pénuries de nourriture, d’ustensiles de cuisine et de médicaments là où les combats font rage.

(Article original paru le 19 janvier 2013)

 

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