Le Canada préside le Conseil de l'Arctique

Le Canada a accédé à la présidence du Conseil de l’Arctique lors d’une réunion tenue à Kiruna, en Suède, en mai dernier. Choisie par le premier ministre conservateur Stephen Harper pour représenter le Canada, la ministre Leona Aglukkaq a indiqué qu’elle utilisera son mandat de deux ans pour intensifier l’exploitation du territoire riche en ressources et avancer les intérêts de l’élite canadienne, y compris par la militarisation de la région.

Le Conseil de l’Arctique a été fondé en 1996 par huit pays circumpolaires soit le Canada, la Russie, la Norvège, le Danemark, l'Islande, les États-Unis, la Suède et la Finlande. À l’époque, le Conseil se penchait principalement sur des questions d’ordre environnemental et scientifique. Or, avec la fonte accélérée des glaces de l’Arctique et la possibilité d’immenses profits pour la classe capitaliste, le Conseil est devenu, au cours de la dernière décennie, l’instrument principal des nations riveraines pour régir les intérêts géopolitiques rivaux dans cette région.

En entrevue à la presse, Aglukkaq a signalé que le Canada utiliserait sa présidence pour permettre aux entreprises privées d’exploiter sans limites la zone arctique: «Depuis 16 ans, le Conseil de l'Arctique s'est concentré sur de la recherche de qualité, mais en fin de compte, c'est l'entreprise privée qui exploite le Nord, qui y travaille, et nous n'avons pas de mécanisme pour mieux travailler ensemble», a-t-elle dit

Dans sa déclaration faite lors de la réunion du Conseil de l’Arctique devant une brochette de ministres, dont le secrétaire d’État américain John Kerry, Aglukkaq a souligné que le Conseil établira en outre un «forum des affaires circumpolaires», qui «permettra aux entreprises et à l’industrie de collaborer avec les États arctiques et les participants permanents. Les efforts seront d’abord axés sur le développement des ressources naturelles dans la région circumpolaire».

Selon les experts, la quantité de glace en Arctique en 2012 était près de 49 pour cent inférieure à la quantité moyenne de glace entre les années 1979 et 2000. La fonte de ces glaces – résultant du réchauffement climatique – fait de ce territoire, jadis peu considéré par les élites dirigeantes d’un point de vue économique, un lieu géostratégique de premier ordre convoité par les puissances mondiales maintenant que d’importantes richesses naturelles deviennent disponibles.

En effet, il est évalué que l’Arctique – le foyer du cinquième de la pêche mondiale – possède l’équivalent de 13 pour cent des réserves de pétrole et 30 pour cent des réserves de gaz naturel qui n’ont pas encore été découvertes. Cette zone recèlerait également des gisements de diamant, de minerai d'or, d'argent, de cuivre, de plomb ou encore de zinc. La fonte des glaces ouvrirait aussi de nouvelles routes maritimes intercontinentales comme le passage du Nord-Ouest qui, reliant l’Asie, l’Europe et l’Amérique, permettrait aux compagnies d’économiser des sommes importantes dans le transport de leurs marchandises.

La présidence du Canada prend place dans un contexte de tensions géopolitiques grandissantes. La fonte des glaces arctiques et les nouvelles ressources disponibles poussent inévitablement les grandes et moyennes puissances à développer leur présence militaire dans la région, faisant de l’Arctique le théâtre possible d’affrontements explosifs qui impliqueraient non seulement les états riverains, mais aussi des pays comme la Chine ou le Japon qui cherchent à devenir des acteurs économiques importants dans la zone nordique. Le fait que le territoire arctique ne soit pas entièrement cartographié et que les frontières économiques ne soient pas clairement établies accentuent aussi les tensions.

L’entrée en jeu de nouveaux joueurs en Arctique s’est reflétée dans l'admission de nouveaux observateurs permanents au sein du Conseil de l’Arctique, soit la Chine, l’Inde, l’Italie, le Japon, la Corée du Sud et Singapour. Les observateurs n’auront toutefois pas le droit de vote et devront confirmer qu’ils ne défieront jamais la propriété des pays circumpolaires.

Le Canada et la Russie, lesquels possèdent ensemble la grande majorité du territoire arctique, ont historiquement cherché à maintenir leur souveraineté sur la région, malgré les immenses tensions qui existent entre les deux pays. Leona Aglukkaq a souligné qu’ «il ne faut pas oublier que le Conseil de l’Arctique a été créé par les habitants du Nord, pour les habitants du Nord, bien avant que la région présente un intérêt pour le reste du monde».

Suite aux pressions du Canada, le Conseil a rejeté l’adhésion de l’Union européenne. Le Canada a justifié sa position par le fait que l’UE interdit les produits dérivés du phoque. Plus fondamentalement, la classe dirigeante canadienne cherche à punir l’UE, laquelle s’apprête à limiter l’importation du pétrole produit par les sables bitumineux albertains.

Reconnaissant que ses «droits historiques» ne seront plus suffisants pour maintenir sa souveraineté au nord face aux autres nations, l’élite dirigeante canadienne pousse de plus en plus pour accroître sa présence militaire au nord. Dans son éditorial du 17 mai, l’Ottawa Citizen avance que pour mener à bien les ambitions canadiennes en Arctique, «la persuasion est bien, mais le matériel militaire – les navires de guerre, les brise-glace, les patrouilles d'avions, la surveillance par satellite – gagne souvent plus de respect».

Le premier ministre Harper a récemment annoncé l’envoi en Arctique du CCGS Amundsen, un «brise-glace de recherche ultramoderne» qui vient s’ajouter à la flotte canadienne. Mais pour certains éléments de la grande entreprise et de l’appareil militaire canadien, les efforts des conservateurs sont insuffisants. Victor Suthren, ancien directeur général du Musée canadien de la guerre, a écrit : «La Marine royale canadienne est censée recevoir six navires de patrouille côtière, mais des étrangers se demandent si un gouvernement préoccupé par le déficit fera ce qui est nécessaire pour acquérir ces navires. Cela dit, on peut faire valoir que la marine et la garde côtière canadiennes ont besoin de plus de navires pour porter notre drapeau et notre autorité dans les voies de navigation arctiques».

Pour défendre ses intérêts en Arctique, particulièrement contre la Russie, le Canada a intensifié la militarisation du nord depuis plusieurs années. En plus de mener l’opération Nanook, une opération militaire dans le Nord canadien qui prend place chaque année depuis 2007, le gouvernement canadien a mis en place, en 2010, un centre d’entraînement des Forces armées canadiennes à Resolute Bay, un des villages les plus nordiques du pays, ainsi que des installations de mouillage et de ravitaillement en eau profonde à Nanisivik afin de soutenir la marine canadienne.

En tant que puissance de second ordre, le Canada est toutefois contraint de bâtir une alliance avec les États-Unis, avec qui il entretient un partenariat économique et géopolitique de longue date. Le Canada voit aussi dans le Danemark et d’autres membres de l’OTAN, comme la Norvège, des alliés potentiels importants dans sa lutte contre Moscou. Au même moment, des conflits importants opposent le Canada à ceux qu’il considère comme des alliés. Les États-Unis n’ont jamais reconnu le contrôle du Canada sur le passage du Nord-Ouest et sont en désaccord avec lui sur la délimitation de la frontière dans la mer de Beaufort, une mer riche en hydrocarbures.

Pour sa part, reconnaissant l’importance géostratégique grandissante de l’Arctique, Washington a publié en mai dernier sa «stratégie nationale pour la région de l’Arctique» dans laquelle il note sa volonté de «tirer le meilleur parti des opportunités économiques dans la région». En dépit du verbiage sur l’environnement, le document souligne que le premier objectif du gouvernement américain est «d’avancer les intérêts de sécurité des États-Unis» en «permettant à nos navires et avions d’opérer (…) sous, sur et à travers l’espace aérien et les eaux de l’Arctique».

De son côté, la Russie, le seul pays des «cinq de l'Arctique» qui n’est pas membre de l’OTAN, continue de bâtir une force militaire déjà très développée dans la région. La Russie, dont près de 90 pour cent de ces réserves de pétrole proviennent de l’Arctique, possède la plus importante flotte de brise-glaces au monde et, avec le Canada et les États-Unis, le plus important nombre d’installations militaires au nord de la planète. La Russie a récemment solidifié des alliances clés avec le Japon et la Chine en matière de sécurité et de développement en Arctique.

Les tensions entre les puissances arctiques ont pris la forme d’un nouveau regroupement, le Cercle de l’Arctique, fondé à l’initiative du président islandais Ólafur Ragnar Grímsson. Selon certains commentateurs, ce groupe pourrait menacer la domination du Conseil de l’Arctique. Le Cercle de l’Arctique, dont la Chine est membre, a été lancé le même jour où l’Islande est devenue la première nation occidentale à signer une entente de libre-échange avec ce pays.

Le réchauffement accéléré de la planète, qui inquiète naturellement de plus en plus les scientifiques et la population, est vu par la classe capitaliste comme une occasion en or de faire des profits faramineux. L’exploitation irrationnelle des ressources de l’Arctique par les grandes compagnies privées et les gouvernements auront pour conséquence d'aggraver la situation environnementale et d’intensifier les antagonismes entre les nations rivales.

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