Les communications de millions de gens espionnées par les États-Unis et le Royaume-Uni

Le lanceur d'alerte Edward Snowden a révélé vendredi que les services de renseignement anglais du GCHQ et la NSA américaine enregistrent les contenus et les données d'appels téléphoniques, de courriels, d'affichages sur Facebook et les historiques de navigation de millions de gens. En enregistrant directement depuis les câbles à fibre optique, infrastructure par laquelle doit passer tout le trafic internet, les deux agences ont créé une procédure systématique pour se procurer, filtrer et stocker les communications privées.

Cette fuite est la dernière en date d'une série qui a semé la panique dans les gouvernements américains et anglais qui cherchent désespérément à couvrir leurs manœuvres profondément antidémocratiques par des mensonges préparés d'avance. Cela intervient au lendemain de la publication de documents secrets du tribunal FISA [créé en 1978 pour juger en secret les demandes de mandats pour des écoutes contre les personnes suspectées d'espionner les États-Unis, ndt],ceux-ci montrent que la NSA a pratiquement carte blanche pour espionner les communications des résidents aux États-Unis (lire en anglais, NSA monitoring US communications without a warrant, documents show).

Quelques heures après la publication de ces derniers documents, le gouvernement américain a annoncé qu'il déposait plainte contre Snowden pour infraction à la Loi sur l'espionnage, qui comprend la possibilité d'une peine de mort.

« Personne n'écoute vos appels téléphoniques, » avait déclaré le président Obama dans une déclaration publique, il y a deux semaines. Le ministre des Affaires étrangères du Royaume-Uni, William Hague, avait déclaré aux députés la semaine dernière qu'il y a « un cadre solide de responsabilité et de supervision démocratiques » au sein de l'appareil de renseignement national.

D'après des documents fournis à Glenn Greenwald du Guardian cependant, le GCHQ et la NSA ont établi un système complexe par lequel les agences de renseignement collectent des données et du contenu sur les communications de dizaines des millions de personnes au moins. Les responsables passent en revue les données et le contenu de ces communications et stockent ce qu'ils estiment important.

Décrits par le GCHQ avec des titres révélateurs comme « maîtriser l'Internet » et « Exploitation des télécommunications mondiales », ces programmes démentent absolument les affirmations répétées du président Obama et de ses acolytes.

Avec le programme « Tempora », les deux agences ont enregistré et stocké au cours des 18 derniers mois des centaines de petabytes [millions de Gb] de données provenant en majorité des câbles à fibre optique situés au Royaume-Uni. La NSA a un programme similaire aux États-Unis, comme l'a révélé la semaine dernière Associated Press.

En premier lieu, le GCHQ fournit 600 millions d'« événements téléphoniques » chaque jour en se servant sur plus de 200 câbles à fibre optique, dont ceux qui connectent le Royaume-Uni aux États-Unis. D'après le Guardian, le GCHQ est capable de collecter des données à une vitesse « équivalente à l'envoi de toutes les informations contenues dans tous les livres de la Bibliothèque nationale du Royaume-Uni 192 fois toutes les 24 heures » en traitant simultanément les données d'au moins 46 câbles à fibre optique.

Les données sont ensuite transmises à une base de données du gouvernement et partagées avec la NSA, qui reçoit une autorisation de sa hiérarchie. Des juristes du GCHQ ont déclaré à leurs homologues américains que c'était « à vous de choisir » quelles limitations devraient être imposées à ce tri et ce stockage des données.

D'après les documents divulgués, ces énormes bases de données ont été constituées au cours des dernières années grâce à une collaboration très développée avec des entreprises privées. Le GCHQ est en collusion avec toute une série d'entreprises qu'il appelle « partenaires d'interceptions, » et qu'il force parfois à lui fournir d'énormes quantités de données pour inspection et stockage. Ces accords avec des entreprises ont été gardés secrets par crainte que la connaissance par le public de cette collusion n'entraîne des « retombées politiques de haut niveau. »

Une fois les données collectées, les agences filtrent l'information par un processus connu sous le nom de Massive Volume Reduction (MVR). Par ce processus, l'information est réduite à des individus précis, des adresses mail ou des numéros de téléphone. La NSA a identifié 31 000 termes « sélecteurs», et le GCHQ en a 40 000. Les documents qui ont été divulgués révèlent qu'une majorité des informations extraites est constituée de contenu, des mails conservés mot pour mot, du texte et des enregistrements de conversations téléphoniques.

Avec Tempora, le GCHQ et la NSA ont mis en place des tampons [buffers] internet qui permettent à ces agences d'accumuler des données en temps réel et de les stocker pour un peu moins d'une semaine pour ce qui est du contenu ou de 30 jours pour les métadonnées.

« Les tampons internet représentent l'opportunité très intéressante d'avoir un accès direct à l'énorme quantité de données venant des sources spéciales du GCHQ, » expliquent des agents dans ces documents divulgués. Des informations précieuses sont apparemment prélevées de ce tampon provisoire et conservées dans des fichiers dans les installations des services de renseignement.

Ce système de filtrage de l'information ne vise pas à éliminer la possibilité de stocker les données des gens innocents. En fait, c'est précisément le but des programmes de surveillance. Au contraire, les informations inutiles sont filtrées et retirées parce que les gouvernements n'ont pas encore la capacité de stocker des quantités aussi importantes de communications et de métadonnées.

En dépit de ces limitations technologiques, l'immensité du programme Tempora a été décrite pour le mieux par les avocats du GCHQ qui ont reconnu que faire la liste des gens ciblés par ce programme serait impossible parce que « ce serait une liste infinie que nous ne pourrions pas gérer. »

Les responsables du GCHQ se sont vantés que son programme de surveillance « produit des quantités de métadonnées encore plus importants que la NSA, » et les avocats du GCHQ leur ont dit que « [nous] avons un régime de contrôle léger comparé aux États-Unis. » Cette dernière déclaration est extraordinaire étant donné le fait que le tribunal FISA autorise la NSA à opérer pratiquement sans contrainte.

Les révélations de vendredi soulignent le caractère international des programmes de surveillance mondiaux. Loin de se satisfaire de stocker le contenu des communications de leurs propres résidents, les gouvernements des États-Unis et du Royaume-Uni travaillent ensemble à créer une base de données de renseignement international sans précédent.

L'intimité des deux agences d'espionnage est prouvée par un ordre donné par le directeur de la NSA Keith Alexander en 2008 : « Pourquoi ne pourrions-nous pas collecter tous les signaux, tout le temps ? Ce serait un bon projet de devoirs de vacances pour Menvith ! [le centre d'espionnage américano-anglais] »

Snowden a fait remarquer vendredi que « ce n'est pas seulement un problème américain. Le Royaume-Uni a un énorme intérêt dans cette affaire, ils [le GCHQ] sont pires que les États-Unis. »

Tout comme leurs homologues américains, les avocats du GCHQ ont tenté de mettre un vernis de légalité sur ces opérations d'espionnage du gouvernement qui sont si clairement illégales.

Les avocats du GCHQ ont invoqué le paragraphe 4 de la section 8 du Regulation of Investigatory Powers Act (Ripa – loi encadrant les pouvoirs d'enquête) pour contourner les exigences légales qui imposent aux agents de renseignement d'obtenir un mandat avant toute écoute. Puisque cela aurait exigé du GCHQ qu'il acquière un mandat contre toute personne résidant au Royaume-Uni, les avocats ont préféré affirmer qu'ils peuvent mener des opérations de Data mining (extraction de données) indiscriminées avec un « certificat » fourni par un ministre.

Dans un document communiqué par Snowden, les avocats du GCHQ affirment que ces certificats « couvrent tout l'éventail des productions des services de renseignements du GCHQ. »

D'après le Ripa, les responsables du GCHQ pourraient également demander une Sensitive targeting Authority (STA - autorisation de ciblage sensible) qui les autoriserait à espionner tous les citoyens du Royaume-Uni « où qu'ils se trouvent dans le monde » ou un étranger de passage au Royaume-Uni.

Un juriste du GCHQ a également noté dans ces documents confidentiels que la commission parlementaire sur le renseignement et la sécurité, qui supervise les agences de renseignement, a « toujours exceptionnellement bien su comprendre la nécessité de garder notre travail secret, » et qu'un tribunal établi pour superviser les agences a « jusqu'ici toujours décidé en notre faveur. »

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme, à laquelle le Royaume-Uni est signataire, déclare : « Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire […] ».

En Grande-Bretagne tout comme aux États-Unis, la classe dirigeante est engagée dans des activités qui sont en violation flagrante de ces principes démocratiques.

(Article original paru le 22 juin 2013)

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