Les appels à la démission du premier ministre espagnol ne cessent de croître

Le premier ministre espagnol PP (Parti populaire) Mariano Rajoy est confronté à la colère populaire grandissante au sujet de sa présumée implication dans le scandale de corruption Bárcenas.

Dans cette situation, aux appels à sa démission lancés par le parti d’opposition PSOE (Parti socialiste ouvrier espagnol) se sont ajoutés ceux du propre parti de Rajoy, émanant de membres qui craignent que le scandale ne nuise à l’application des mesures d’austérité exigées par l’Union européenne.

Jusque-là, Rajoy a refusé de réagir aux allégations en déclarant la semaine passée, « Je défendrai la stabilité politique et je remplirai le mandat que les électeurs espagnols m’ont confié. »

Au cours du week-end, des milliers de personnes ont participé à des manifestations appelant à sa démission.

Les appels à la démission de Rajoy se sont multipliés après que de nouvelles preuves sont apparues la semaine passée montrant qu’en dépit des dénis antérieurs, il était resté en relations étroites avec Luis Bárcenas, ancien trésorier du PP qui se trouve actuellement en détention provisoire pour corruption, fraude fiscale et autres délits.

Depuis 1990, Bárcenas travaillait pour le service comptabilité du PP et avait accédé au poste de trésorier en 2008. Durant ces années, il a amassé une fortune s’élevant à des dizaines de millions d’euros dissimulés dans des comptes en banque à l’étranger et qui ont servi à opérer des paiements illégaux à d’influents hommes d’affaires et à des politiciens du PP en contrepartie de l’octroi de contrats publics.

Des carnets secrets manuscrits de la comptabilité couvrant la période de 1990 à 2008 fournissent des précisions sur plus de 30 dons faits au parti de façon illégale, soit parce qu’ils dépassaient la limite légale de 60.000 euros soit parce qu’ils avaient été versés par des entreprises ou des hommes d’affaires en échange de contrats publics.

La longue liste de politiciens PP qui ont reçu des paiements en liquide comprend Rajoy, Rodrigo Rato (ancien ministre de l’Economie, d’abord nommé premier vice-président du gouvernement, puis directeur général du Fonds monétaire international), Jaime Mayor Oreja (ancien ministre de l’Intérieur), Francisco Álvarez-Cascos (ancien premier vice-président du gouvernement et président régional des Asturies), Javier Arenas (dirigeant du PP en Andalousie), Ángel Acebes (ancien ministre de l’Intérieur) et María Dolores de Cospedal (actuelle secrétaire générale du PP et présidente régionale de Castille-la-Manche).

Lundi, Bárcenas a comparu devant la Haute cour de Madrid pour répondre aux questions concernant les nouvelles révélations publiées durant le week-end dans El Mundo et qui incluent une interview entre le directeur du journal et Bárcenas qui a admis, après des mois de déni, qu’il était l’auteur des comptes secrets publiés en janvier par le quotidien El País. Le journal a aussi publié un échange de textos entre Rajoy et Bárcenas montrant qu’ils avaient été en contact au moins jusqu’au 6 mars de cette année, ce qui contredit les affirmations de Rajoy disant ne plus se souvenir de la dernière fois où il « a parlé à cette personne. »

En janvier, après le début de l’enquête, Rajoy avait envoyé un texto à Bárcenas l’implorant de rester calme. Il avait écrit, « Luis, ce n’est pas vrai. Pourquoi veux-tu créer des problèmes ? Je lui ai parlé… Ce n’est pas une situation facile. On ne peut pas faire d'erreurs. Garde ton sang-froid, parce que ça, c’est la dernière chose à perdre. Salutations. »

Par « lui » il est fait référence à De Cospedal, que Bárcenas rend responsable de son abandon par le parti. Trois jours plus tard, Rajoy a envoyé un autre message à Bárcenas, « Luis, rien n’est facile, mais nous ferons ce que nous pouvons. Garde la tête haute. »

Les relations entre les deux hommes ont commencé à se détériorer à partir de la mi-février. Le dernier message de Bárcenas à Rajoy disait, « Mariano, l’attitude des avocats du parti a été embarrassante cet après-midi. Ils n’ont pas permis aux gens que j’avais envoyés de vérifier le contenu des boîtes se trouvant dans le bureau et que tu m’avais permis d’utiliser. Tu es le seul à savoir à quoi tu joues, mais moi je suis libre de tout engagement envers toi et le parti. »

Des contacts indirects entre Bárcenas et la direction du PP se sont poursuivis jusque fin mai par l’intermédiaire des avocats du PP qui ont cherché à le convaincre de rester silencieux. Pendant un certain temps l’ancien trésorier avait obtempéré en insistant sur le fait que les carnets de comptes étaient des faux. Tout cela a changé lorsque le parti l'a ostracisé et qu’il a été emprisonné.

Lundi, lors de la comparution devant la Haute cour, Bárcenas a remis de nouveaux documents compromettants et déclaré qu’il « a payé Rajoy et Cospedal en liquide durant les années 2008, 2009 et 2010 » dont 25.000 euros à chacun en 2010, en coupures de 500 euros. Il a affirmé que Rajoy était parfaitement au courant de la manière dont le parti était illégalement financé.

Rajoy et Cospedal nient tous deux ces allégations. Lundi, Rajoy a dit lors d’une conférence de presse qu’il était soumis à un « chantage ». Il n’a pas permis au journaliste d’El Mundo de poser des questions et est passé à un autre journaliste de l’ABC pro-PP qui a posé une question convenue d’avance. Le même jour, Cospedal a « emphatiquement » nié les accusations formulées par Bárcenas devant la Cour en les qualifiant de « diffamation » émanant d’un « criminel qui se trouve en prison. »

Le PP a tenté de réduire Bárcenas au silence, ses avocats auraient menacé d’envoyer sa femme en prison s’il parlait. Dans la prison où est détenu Bárcenas, des ordres ont été donnés aux gardiens pour qu'ils surveillent toutes les communications entre lui, ses avocats, d’autres prisonniers et sa femme à qui il a été interdit d’écrire à son mari depuis les révélations publiées par El Mundo.

Le scandale des caisses noires a provoqué une crise au sein du PP. L’aile la plus dure qui n’avait jamais accepté la direction de Rajoy après que ce dernier eut évincé la vieille garde qui gravitait autour de José María Aznar, premier ministre de 1996 à 2004, est passée à l’offensive. « Il est clair qu’on assiste à une lutte pour le pouvoir et qui est menée à travers les médias par l’aile droite du parti », a dit aux journalistes un homme d’affaires influent proche du PP.

Aznar a publiquement critiqué la manière dont la direction du PP traite le scandale Bárcenas, mais il n'a pas osé appeler à la démission de Rajoy. D’autres dirigeants du PP ne se sont pas montrés aussi réticents.

Esperanza Aguirre, ancienne présidente du gouvernement régional de Madrid a déclaré, « S’il y a des gens qui se sont laissés aller à la corruption, nous devons les démasquer et les dénoncer. » Elle a réclamé que l'on reconnaisse les « irrégularités » survenues dans les finances du parti. Le vice-président du parlement européen, Alejo Vidal-Quadras et d’autres membres du PP ont demandé à De Cospedal de convoquer une réunion extraordinaire du comité exécutif national pour discuter d'un changement de direction. Un autre haut responsable anonyme du PP a dit aux journalistes, « La situation est intenable. Il est impossible pour un gouvernement de fonctionner quand tous les regards se portent sur un scandale. La solution c’est d'élire un nouveau dirigeant pour le parti. »

Le PSOE a annoncé qu'il va présenter une motion de censure au Congrès contre Rajoy et il cherche à obtenir le soutien d'autres partis d’opposition s’il ne répond pas aux questions des enquêteurs sur l’affaire Bárcenas. Le dirigeant du PSOE, Alfredo Pérez Rubalcaba, a mis en garde que les ramifications politiques du scandale « affectent la stabilité du pays » , en d’autres termes, cela affecte l’imposition de l’austérité, des coupes sociales et des privatisations qui doivent être imposées par des gouvernements du PSOE comme du PP.

La décision du PSOE vise à canaliser toute la colère populaire contre la corruption du gouvernement vers un débat parlementaire qui, selon toute probabilité, sera bloqué par la majorité PP au parlement. Le PP compte 185 députés sur les 350 qui siègent au parlement.

La colère populaire se reflète, dans une certaine mesure, dans le soutien croissant en faveur de la Gauche unie, menée par le Parti communiste, qui est créditée de 16,6 pour cent dans les sondages contre 3,8 pour cent qu’elle avait obtenu lors des élections législatives de 2011. Le soutien pour le PP a chuté de 40 pour cent en 2011 pour atteindre 23 pour cent tandis que celui du PSOE a dégringolé de manière encore plus marquée de 44 pour cent, à 21,6 pour cent.

(Article original paru le 23 juillet 2013)

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