La revue Nation et l’ISO restent silencieux sur la prise de contrôle de Boston

La revue Nation et le site web de l’International Socialist Organisation (ISO), Socialistworker.org, sont demeurés indifférents devant la prise contrôle de la ville de Boston par l’armée et la police lors de la chasse à l’homme pour capturer les suspects des attentats à la bombe du marathon de Boston le 15 avril.

L’opération, qui avait l’accord de l’administration Obama et réalisée en collaboration avec les autorités au niveau local et de l’état, revenait à imposer un état de siège sur une des grandes villes des États-Unis. Il n’y a pas de précédent dans l’histoire à la mobilisation de milliers de soldats de la Garde nationale, de policiers antiémeutes, d’équipes spéciales d’intervention, de véhicules blindés équipés de mitraillettes, d’hélicoptères de l’armée et de chiens renifleurs qui composent les forces de l’ordre appelées pour fermer Boston et plusieurs de ses banlieues. Les autorités ont demandé aux résidents de «s’abriter où ils se trouvent» tandis que des officiers armés faisaient des fouilles sans mandat d’arrêt de maison en maison.

Comme le World Socialist Web Site l’a expliqué dans sa déclaration du 22 avril, La démocratie américaine en lambeaux : «Les événements de Boston ont mis à nu le modus operandi pour la mise en place de formes de régime dictatorial aux États-Unis. L’un ou l’autre acte de violence commis par des individus déséquilibrés ou mécontents, peut-être avec l’aide d’éléments au sein de l’État, est proclamé événement terroriste. Un état de siège est imposé qui suspend les droits démocratiques en établissant un contrôle militaire et policier.

Tous les organes d’État sont si profondément impliqués dans ces projets que très peu de choses doivent être changées dans les signes extérieurs de la vie politique.»

L’absence de critique envers cette mobilisation de l’État policier de la part de l’establishment politique ou des médias montre tout autant l’effondrement de la démocratie américaine que les évènements en eux-mêmes. Dans ces développements, tout comme dans la poursuite des guerres impérialistes en Libye et en Syrie ainsi que dans l’assaut sans relâche sur les conditions de vie de la classe ouvrière, les éléments prétendument de «gauche» qui se trouvent autour et dans le Parti démocrate et la bureaucratie syndicale et qui composent le Nation et l’ISO ont la classe dirigeante comme chef d’orchestre.

On cherche en vain un article sur TheNation.com et SocialistWorker.org qui mentionne, encore moins condamne, la prise de contrôle par l’armée et la police. Également, ces publications n’examinent pas sérieusement la série de questions liée à l’implication des agents de l’État, sous une forme ou sous une autre, dans les attentats.

La complaisance est palpable. Le rédacteur de Nation, Richard Parker, qui habite à Cambridge dans le Massachusetts, une des villes occupées par la police et l’armée le 19 avril, écrit dans «Après Boston : la banalité du choc et du sentiment» («After Boston: The Banality of Shock and Sentiment», 22 avril) que les frères Tsarnaev ont vécu «à seulement deux pâtés de maisons de la patinoire où mes fils ont patiné pendant plus d’une décennie.» Parker était «consterné» par la couverture médiatique et la réaction officielle, mais n’a même pas mentionné la prise de contrôle de la ville, un évènement qui peut difficilement être qualifié de «banal».

Le 22 avril, la rédactrice principale sur les questions d’immigrations, Aura Bogado, a montré qu’elle était très inquiète sur «comment cela va jouer un rôle pour les communautés de couleur à court et à long terme» (dans «Ne normalisons pas cette chose appelée le “terrorisme” : Une conversation avec Sohail Daulatzai»). Mais, trois jours plus tard, le 25 avril, Bogado était beaucoup moins alarmée, se plaignant que les sénateurs républicains étaient en train d’utiliser les attentats de Boston comme une «distraction malheureuse» qui se trouve sur le chemin de la «réforme» de l’immigration de l’administration Obama («No, Chuck Grassley, the Tsarnaev Brothers Were Not in the Shadows»).

Plusieurs articles sur TheNation.org spéculaient sur les ramifications des relations américano-russes, compte tenu des racines familiales des deux suspects dans l’ancienne Asie centrale soviétique. Ces articles sont écrits avec comme but de fournir des conseils à l’administration Obama sur sa politique étrangère et en incluent trois par le rédacteur principal sur la politique étrangère, Robert Dreyfuss : «Les États-Unis, la Russie et la Tchétchénie après Boston» (22 avril), «Le lien Tchétchène-Dagestan jusqu’à Boston» (23 avril), «Recherché : L’accord américano-russe sur la Syrie» (24 avril). Il y aussi l’article de Thomas Goltz : «Est-ce qu’il y a une connexion tchétchène aux attentats de Boston ?» (24 avril.) Aucun de ces articles ne fait référence aux menaces envers les droits démocratiques posées par l’opération de fermeture de ville imposée par l’administration Obama.

Le plus près que TheNation.org passe de relever les graves implications de l’imposition de conditions de quasi-loi martiale est dans un article du rédacteur des sports, Dave Zirin, qui se limite à la question de savoir s’il pourra ou non profiter de marathon de Boston l’année prochaine. («Pourquoi devons-nous protéger le marathon de Boston de l’an prochain de nous-mêmes», 20 avril.) Zirin a aussi publié son article sur SocialistWorker.org.

À l’occasion, les éditeurs et les rédacteurs de TheNation.org en parleront en passant. Nous retrouvons, vers la fin de la rétrospective de 3000 mots de Tom Engelhard intitulée «La longue marche des guerres sales de Jeremy Scahill» («The Long March of Jeremy Scahill's Dirty Wars»), le paragraphe suivant :

«Des guerres impériales, qui passent presque inaperçues, ont une façon de revenir au pays. Prenez la réaction aux attentats à la bombe de Boston. La réponse fut certainement la plus vaste et la plus militarisée des chasses à l’homme de l’histoire de l’Amérique… Une zone métropolitaine de 87 miles carrés fut presque complètement fermée… C’était un spectacle qui aurait été inimaginable dans l’Amérique pré-11 septembre.»

Inimaginable dans l’Amérique pré-11 septembre, mais acceptée sans protestation par le Nation en 2013. Telle est l’étendue de l’effondrement du libéralisme américain.

SocialistWorker.org est encore plus cru dans ses tentatives d’obscurcir les questions fondamentales de classes et historiques sous-jacentes à la fermeture de Boston et ils injectent des politiques raciales dans les évènements entourant les attentats. Ce n’est pas accidentel que ses articles mentionnent à peine le président Obama.

Des grands titres sur SocialistWorker.org montrent l’obsession de ces pseudo-socialistes pour la race et leur indifférence pour le spectre de la dictature : «À travers les lentilles partiales des médias» (17 avril), «Un brouillard de préjugés» (24 avril), «Balancé entre la solidarité et le racisme» (19 avril) et «La vague d’islamophobie» (23 avril). SocialistWorker.org a aussi publié de nouveau plusieurs de ses anciens articles qui touchaient à des questions comme la «haine».

Le seul article qui pourrait sembler parler de la menace posée à la démocratie est l’article de Nicole Colson du 22 avril : «Ne les laissez pas utiliser la peur pour fermer nos droits». L’article fait mention de la suspension du droit de demeurer silencieux pour Dzhokhar Tsarnaev, mais ne fait aucune référence à la fermeture de Boston, aux fouilles de maison en maison, etc.

L’article s’inquiète principalement des «suppositions racistes sur le “terrorisme” qui bouillonnent sous la surface dans les médias et l’establishment politique américain». Supposément, si ces «suppositions racistes» s’évanouissaient, nous assisterions à une nouvelle éclosion de démocratie.

L’éditorial (intitulé «Un brouillard de préjugés») d’un membre important de l’ISO, Alan Maass, est typique de la couverture de SocialistWorker.org. Maass parle en long et en large de la «réémergence des mythes et des mensonges anti-Islam», mais, en 2700 mots, ne trouve pas une façon de mentionner l’occupation de la ville de Boston par la police et l’armée.

Un éditorial du 25 avril intitulé «État de peur» ne mentionne pas non plus la fermeture de la ville. Mais, on y trouve un paragraphe qui exprime la fixation politiquement malsaine de l’ISO sur la race et sa conviction que la classe ouvrière américaine est raciste.

«La semaine dernière», écrivent les auteurs, «après qu’un suspect des attentats de Boston fut tué et qu’un autre fut capturé, les médias ont tourné leur attention vers les célébrations officielles par des habitants de Boston — très, très blancs à ce qu’on a pu voir — qui applaudissent les médias, et adhèrent à la ferveur patriotique et au message raciste contre les musulmans, politiquement générés.» [souligné par nous].

Le silence de l’ISO sur les opérations dignes d’un état policier à Boston et le rôle de l’administration Obama dans l’escalade des préparatifs pour les formes dictatoriales de gouvernance n’est pas une aberration. Après que le New York Times ait décrit en mai dernier que le président Obama lui-même donne l’ordre d’assassiner au moyen de drones à travers le monde, l’ISO n’a pas publié un seul article sur le sujet pendant des semaines. (Voir, en anglais, «ISO silent on Obama’s kill list»)

Une fois de plus, lorsqu’un mémo secret du département de la Justice américain a fait surface le 4 février de cette année et qui affirmait le droit du président d’ordonner l’assassinat de citoyens américains, l’ISO n’a pas fait de commentaire pendant plus d’une semaine. Lorsque l’ISO écrit sur de telles questions, il le fait de manière calculée, afin de concilier les questions sociales et politiques sous-jacentes. Il n’y a dans son commentaire aucune référence à l’immense croissance des inégalités sociales en Amérique, le facteur le plus important dans l’effondrement du processus démocratique.

L’ISO cherche à détourner l’attention du conflit de classe fondamental qui est à la base de la crise de la démocratie américaine, précisément parce qu’il soulève des questions révolutionnaires et la nécessité pour la classe ouvrière de la lutte contre le Parti démocrate et ses alliés dans l’appareil des syndicats. L’ISO soutient autant le Parti démocrate que les syndicats et il est intégré en eux.

L’ISO ne fait pas non plus de lien entre l’assaut sur les droits démocratiques aux États-Unis et l’escalade du militarisme américain à l’étranger. Comment pourrait-il faire ce lien, lorsqu’il appuie les guerres néocoloniales menées par l’administration Obama en Libye et en Syrie et qu’il est devenu un partisan de la guerre impérialiste lancée au nom des «droits de l’Homme ?»

La complaisance et l’indifférence à la menace de dictature par le Nation et l’ISO, ainsi que par tout le milieu pseudo-gauche sociale et politique qu’ils représentent, est une expression de l’évolution de longue date vers la droite des ex-éléments de gauche qui proviennent des couches privilégiées de la classe moyenne. Avec l’intensification de la crise du capitalisme américain et mondial, l’immense escalade des antagonismes entre les classes principales ainsi que la croissance du mécontentement populaire qui laisse présager l’éruption de grandes batailles de classes, les couches aisées de la classe moyenne qui ont autrefois dominé la «gauche» aux États-Unis, et internationalement, sont passées dans le camp de l’impérialisme et de la réaction sociale.

Aujourd’hui, nous voyons cela le plus clairement dans leur soutien aux crimes impérialistes commis à l’étranger, mais leur hostilité viscérale et leur peur de la classe ouvrière trouvent déjà expression dans leur paralysie et leur adaptation aux gestes provenant de la classe dirigeante pour imposer de nouvelles formes de gouvernance autoritaire. Cette hostilité et cette peur vont de plus en plus émerger sous la forme d’un soutien ouvert pour la répression d’état contre les luttes massives de la classe ouvrière.

(Article original paru le 30 avril 2013)

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