Canada: Le gouvernement conservateur s’attaque aux droits fondamentaux des travailleurs de la fonction publique fédérale

Dans son plus récent projet de loi omnibus sur le budget (C-4), le gouvernement conservateur du premier ministre Stephen Harper a soigneusement camouflé d’importants changements à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique. Ces changements s’attaquent aux droits fondamentaux de centaines de milliers de travailleurs du gouvernement fédéral et représentent une importante intensification de l’assaut systématique du gouvernement conservateur sur les droits des travailleurs.

Le projet de loi C-4 donnerait au gouvernement le pouvoir de déterminer de façon unilatérale quels emplois doivent être considérés comme «services essentiels», interdisant ainsi aux travailleurs occupant ces emplois de faire grève ou de participer à tout mouvement de revendication.

Si le projet de loi est adopté, il donnera à Ottawa le «droit exclusif» de désigner tous «services, installations ou activités du gouvernement du Canada qui sont ou seront nécessaires à la sécurité de l’ensemble ou d’une partie du public». En d’autres mots, le gouvernement conservateur s’arroge le pouvoir de retirer le droit légal de faire grève à des dizaines de milliers de travailleurs fédéraux, et ce dans le but de criminaliser toute opposition des travailleurs aux compressions dans les salaires et avantages sociaux des travailleurs fédéraux et aux coupes dans les services publics qu’ils fournissent.

Les gouvernements précédents ont, dans un processus de consultation et d’arbitrage avec les 17 syndicats des travailleurs fédéraux, ont classé environ 35.000 travailleurs comme étant «essentiels».

Le projet de loi C-4 apporte aussi d’importants changements au processus d’arbitrage.

Dans les cas où plus de 79 pour cent d’une unité de négociation sont déclarés « essentiels », l’unité entière sera privée de son droit de grève et dans l’éventualité probable d’une impasse dans les négociations, son contrat sera dicté par un arbitre. Les syndicats seront aussi privés de l’option de contraindre le gouvernement à régler un différend dans les négociations collectives par arbitrage.

Au même moment, le gouvernement apporte des changements au processus d’arbitrage afin que les conditions soient encore plus dictées par son programme de droite. Le projet de loi C-4 affirme qu’en déterminant les salaires et conditions des travailleurs fédéraux, les arbitres doivent surtout tenir compte de la «situation financière» du gouvernement. En imposant un tel paramètre, le gouvernement fédéral exige aux arbitres d’adhérer strictement à ses propres dictats établissant quels devraient être les salaires des travailleurs fédéraux.

D’un geste typique d’un gouvernement qui méprise ouvertement la population canadienne, le président du Conseil du Trésor, Tony Clement, a refusé à maintes reprises d’indiquer quels services seront désignés comme «essentiels» ainsi que le nombre de travailleurs qui seront ainsi privés de leur droit de grève.

Le gouvernement vise ainsi à interdire presque toute possibilité d’opposition des travailleurs, en ne leur laissant que les moyens de contestation les plus inefficaces, tout en s’accordant l’option de recourir à un processus d’arbitrage hautement biaisé en sa faveur ou d’imposer sa volonté à travers des négociations pour attaquer les salaires et avantages sociaux des travailleurs fédéraux.

Sous le projet de loi C-4, le gouvernement apporte aussi d’importants changements régressifs aux droits des travailleurs en matière de santé et sécurité au travail. Les conservateurs redéfinissent le «danger» dans un lieu de travail dans le but d’éliminer la catégorie « dangers potentiels» et d’inclure uniquement la catégorie «risques imminents». Il sera ainsi plus difficile pour les travailleurs de refuser un travail douteux et non sécuritaire. Cela signifie que la vie du travailleur devra être directement et immédiatement en danger avant qu’il puisse refuser d’effectuer une tâche.

En outre, les changements éliminent le droit de refuser un travail sur la base d’une crainte de développer une maladie résultant d’une pratique de travail non sécuritaire, interdisant ainsi qu’une personne se protège contre l’exposition à des maladies qui évoluent lentement, comme celles causées par l’exposition aux cancérogènes ou à l’amiante. La nouvelle définition de «risque» élimine aussi la possibilité de déposer une plainte si l’on pense qu’il y a un risque pour le système reproducteur d’un employé.

Les changements à la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique ne sont que le premier volet d’une nouvelle offensive du gouvernement contre les droits et conditions des travailleurs fédéraux.

Le récent congrès du Parti conservateur tenu à Calgary a adopté six motions ciblant les travailleurs et les syndicats, y compris des résolutions visant à «rendre comparables» les salaires et conditions des travailleurs des secteurs public et privé, à réduire les pensions des travailleurs fédéraux et à graduellement éliminer l’obligation de faire partie d’un syndicat et le prélèvement automatique des cotisations syndicales.

Ces motions, qui préparent le terrain pour les prochaines négociations entre le gouvernement et les syndicats de la fonction publique fédérale, ont été accueillies par Clement. Prenant la parole parmi les participants au congrès (un geste inhabituel pour un ministre de premier plan), Clement a déclaré: «Il existe depuis trop longtemps un écart important entre les salaires et avantages des secteurs public et privé. Ceux du secteur public sont considérablement plus élevés que dans le privé.»

Soulignant la portée considérable des visées actuelles du gouvernement, Clement a précisé: «Je peux vous dire que nous adoptons une position qui respectera les prochains contribuables et qui, je crois, fait partie de notre capacité à avoir un budget équilibré pour la prochaine génération et non uniquement pour les quelques années à venir. Cela signifie donc de prendre une position qui modifiera le fonctionnement des négociations collectives telles que le sont depuis des décennies dans ce pays.»

Faisant preuve de la plus pure hypocrisie, de riches ministres conservateurs et la presse bourgeoise tentent de faire des travailleurs du secteur public des boucs émissaires et se plaignant que leurs salaires et avantages sont «injustes», car ils sont plus élevés que ceux du secteur privé. Dans la mesure où cela est vrai, c’est parce que la grande entreprise a utilisé la vague de chômage et d’insécurité économique créée par le krach financier de 2008, la pire crise économique depuis la grande dépression des années 1930, afin de sabrer les salaires et avantages sociaux des travailleurs du secteur privé.

Un projet de loi budgétaire 2013 antérieur autorisait déjà le gouvernement fédéral à intervenir dans les négociations collectives entre les sociétés d’État et leurs employés syndiqués et non syndiqués. Cette clause permet au gouvernement Harper de donner des ordres à la direction des entreprises d’État comme Postes Canada, Via Rail ou la Société Radio-Canada (SRC) sur la façon dont elles devraient négocier les prochains contrats de travail individuels ou collectifs : en d’autres termes, l’ampleur des coupes dans les emplois, les salaires et avantages de leurs employés.

Le droit de grève a été la cible d’une attaque concertée à travers le Canada depuis le krach de 2008. Le gouvernement Harper a systématiquement criminalisé les grèves, y compris celles contre la société d’État Postes Canada ou contre des sociétés privées telles le géant CP Rail (Canadien Pacifique) et Air Canada. Plus tôt cet été, le gouvernement du Parti québécois a convoqué l’Assemblée nationale en session extraordinaire afin d’adopter une loi d’«urgence» qui criminalisait une grève de dix jours par 77.000 travailleurs de la construction du secteur industriel, commercial et institutionnel.

Le gouvernement Harper mène constamment des politiques axées sur la réduction des conditions de vie de la classe ouvrière dans le but d’enrichir l’élite dirigeante. En 2009, il s’est associé à l’administration Obama et le gouvernement libéral d’Ontario pour faire en sorte que l’aide aux trois grands constructeurs automobiles de Détroit soit conditionnelle à des coupes dans les salaires et avantages sociaux d’environ 20 dollars l’heure par travailleur. Les coupes du gouvernement fédéral au programme d’assurance-emploi ont aussi servi à forcer les chômeurs à accepter de nouveaux emplois à des salaires moindres, faute de quoi leurs prestations peuvent être éliminées.

La réaction du Nouveau Parti démocratique, l’opposition officielle au parlement, aux modifications de la loi était, tout comme la haine du Parti conservateur contre les travailleurs de la fonction publique, bien en évidence. Peter Julian, l’observateur néodémocrate à la convention, n’a pas souligné que les résolutions anti-ouvrières des conservateurs faisaient partie d’une intensification de la guerre de classe du gouvernement. Plutôt, il a affirmé qu’elles servaient de «distraction» pour détourner l’attention publique du scandale des dépenses au Sénat!

Si le NPD est plus à l’aise d’attaquer Harper sur la question du scandale au Sénat, c’est parce que les sociaux-démocrates du Canada sont voués au même programme de coupes dans les dépenses sociales, d’équilibre budgétaire et de faible taux d’imposition sans précédent pour les riches que les conservateurs. La réponse du NPD au projet de loi C-4 au parlement s’est limitée à une proposition selon laquelle le projet de loi devrait être divisé et les changements aux lois du travail examinés plus attentivement en commission.

Les bureaucrates des syndicats de la fonction publique ont beau se montrer supposément opposés à l’adoption du projet de loi omnibus, les travailleurs doivent faire face à la dure réalité que les syndicats ne mèneront aucune lutte sérieuse. Ils ont passé les dernières semaines à supplier Clement de les rencontrer afin qu’ils puissent formellement proposer au gouvernement que les syndicats et les conservateurs travaillent ensemble pour «réformer» la Loi des relations de travail dans la fonction publique. De manière prévisible, lorsque Clement a finalement accepté de rencontre le président de l’Alliance de la fonction publique, Robyn Benson, il a rejeté d’emblée la proposition syndicale. La réunion, «c’était comme être confronté à un fait accompli du gouvernement», a publié Benson sur son blogue.

Les appels de la bureaucratie syndicale à l’élection de députés néodémocrates (et dans certains cas, de députés libéraux) aux prochaines élections visent à subordonner les travailleurs à un système politique qui représente uniquement les divers intérêts de la grande entreprise. Lors du dernier débrayage des travailleurs de la fonction publique en 2004, la présidente de l’Alliance de la fonction publique du Canada (AFPC) de l’époque, Nycole Turmel, a tout fait pour mettre fin à la grève «en quelques jours, si ce n’est en quelques heures» et faire passer les concessions. Depuis, l’AFPC a accepté des gels de salaires et d’autres concessions sans résistance. En 2011, Turmel est devenue chef par intérim du NPD, nommée par Jack Layton avant sa mort.

(Article original paru le 15 novembre 2013)

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