Pour les dirigeants de la zone euro il n'y aura pas de pause dans la stagnation économique et le chômage de masse

Les prévisions économiques d'automne de l'Union européenne (UE) anticipent une stagnation économique et une montée du chômage dans la zone euro, dont l'économie a été dévastée par les mesures d'austérité et est maintenant confrontée à une accélération de la vague des licenciements.

Les conclusions du rapport, publiées par le commissaire européen aux affaires économiques et monétaires Olli Rehn, constituent un réquisitoire contre l'aristocratie financière européenne et la dévastation sociale qu'elle impose en Europe depuis la crise de 2008. Ce rapport projette que les économies combinées des 17 pays qui utilisent l'euro va se contracter de 0,4 pour cent de plus. L'économie de l'UE dans son ensemble devrait connaître une croissance zéro, et le chômage rester à 11 pour cent.

La contraction économique devrait être à son point le plus élevé dans les pays d'Europe du Sud adoptant des plans de renflouement qui exigent des coupes sociales et des mesures d'austérité drastiques. L'économie grecque devrait se contracter de 4 pour cent cette année, le Portugal et l'Italie de 1,8 pour cent, et l'Espagne de 1,3.

Ce rapport prédit également que le chômage dans la zone euro restera à son niveau historiquement haut de 12,2 pour cent, ne s'améliorant qu'à « un rythme d'escargot, » les employeurs extrayant plus d'heures de la part des travailleurs qui ont un emploi avant d'en embaucher d'autres.

Ce rapport affirme, « Un redressement rapide du marché du travail n'est pas attendu. L'emploi est plutôt destiné à suivre la reprise du PIB avec un retard, les entreprises ayant de la marge pour augmenter le temps de travail avant d'engager de nouveaux effectifs, et l'incertitude pèse également sur les décisions d'embauche. L'emploi dans l'UE et la zone euro devrait se développer d'un quart de pour cent en 2014, ce qui ne sera pas suffisant pour réduire le chômage élevé. »

La France et l'Italie devraient voir de fortes augmentations du taux de chômage de 2013 à 2014, de 11 à 11,2 et de 12,2 à 12,4 pour cent respectivement. La Grèce et l'Espagne devraient avoir les taux de chômage les plus élevés l'année prochaine, à 26 et 26,4 pour cent respectivement.

L'Allemagne dont l'économie devrait croître au taux anémique de 0,5 pour cent cette année, ne devrait voir qu'une baisse de 0,1 pour cent dans son taux de chômage, passant à 5,4 pour cent.

Ce rapport indique également « des risques extérieurs plus élevés » sur l'économie européenne. Parmi ceux-ci, il y a le risque d'une augmentation des prix de l'énergie en raison du conflit au Moyen-Orient, et de l'incertitude sur « la politique fiscale et monétaire » des États-Unis – une allusion à des événements comme la récente fermeture (« shutdown ») de nombreux services publics aux États-Unis.

La publication de ces statistiques coïncide avec une vague de plus en plus rapide de suppressions d'emplois dans les économies au cœur de la zone euro. En Allemagne, qui a vu des licenciements massifs de 10 000 personnes à Siemens et 800 à Loewe, la compagnie énergétique RWE annonce 2500 suppressions d'emplois, et la compagnie d'énergie solaire Haticon en annonce plus de 300.

En France, où il y a eu plus de 1000 annonces de licenciements au cours de l'année dernière, la compagnie Alstom qui travaille dans l'énergie et les transports a récemment annoncé 1300 suppressions d'emplois dans toute l'Europe, le fabricant d'appareils ménagers Fagorbrandt menace de fermer et de licencier 1870 travailleurs et le détaillant de la vente par correspondance La Redoute menace de supprimer 700 emplois. Plus de 1200 entreprises ont fait faillite au troisième trimestre, soit une augmentation de 7,5 pour cent par rapport à l'année dernière ; on voit de plus en plus de grandes entreprises mettre la clé sous la porte.

Il y a également des reportages indiquant qu'Air France demande 5000 licenciements à Alitalia, pour ne pas liquider leurs investissements communs avec KLM sur les lignes aériennes italiennes.

En Espagne, la légère baisse du taux de chômage au cours de l'année passée s'est inversée le mois dernier, avec 87 000 chômeurs de plus inscrits. Cette inversion sur l'année de l'augmentation catastrophique du taux de chômage espagnol, plus de 26 pour cent en tout, et un vertigineux 56 pour cent pour les travailleurs de moins de 25 ans, est liée au passage accéléré à une main d'œuvre temporaire très exploitée. 92 pour cent des nouvelles embauches au cours de l'année dernière se sont faites sur des contrats temporaires.

Les projections économiques de l'UE et les licenciements massifs dans le secteur privé témoignent de l'effondrement en cours du système capitaliste, qui s'est révélé économiquement irrationnel et politiquement en faillite. Les gouvernements ont donné des centaines de milliards d'euros aux banques privées qui détiennent la dette des gouvernements de la zone euro, ces fonds ont été utilisés pour sauver la richesse des nantis et financer une offensive sur les emplois et les salaires qui est sans précédent depuis les années 1930.

Pendant que les millions de travailleurs perdent leur emploi et qu'une génération entière de jeunes n'en trouve pas ou seulement de manière temporaire, l'accumulation de la richesse en haut de la société s'accroît. En Allemagne, les 10 pour cent les plus riches de la société détiennent 67 pour cent de la richesse nationale, en France c'est 62 pour cent, des proportions que les mesures d'austérité ne vont faire qu'augmenter.

Les responsables européens laissent entendre que leur unique réponse à la catastrophe sociale qui balaie l'Europe est d'intensifier leurs attaques contre la classe ouvrière. Avec un mépris insolent pour la dévastation qu'ils ont provoquée en Grèce, les représentants de l'UE exigent des licenciements massifs contre des dizaines de millions de fonctionnaires dans le pays.

Essentiellement la même politique est pratiquée, peut-être à un rythme plus lent, dans les économies plus importantes de la zone euro. Les partis politiques allemands ont signalé une poussée vers des coupes sociales plus fortes dans la foulée des élections fédérales de septembre, et l'UE place une pression de plus en plus forte sur le président français profondément impopulaire François Hollande afin qu'il accélère les attaques contre la classe ouvrière.

Mujtaba Rahman de l'Eurasia Group [la plus importante compagnie de consultants sur les risques politiques, ndt] a déclaré au New York Times : « Les prévisions sont particulièrement inquiétantes pour la France et vont fortement augmenter la pression sur Hollande à un moment où le président est déjà vulnérable. [Elles] vont renforcer une idée qui se répand à Berlin que la France est le maillon faible, et que le contrôle politique des réformes structurelles est la pièce manquante du puzzle de la stabilisation de la zone euro dans son ensemble. »

Le gouvernement Hollande a rapidement réagi au rapport de l'UE. Le ministre des Finances Pierre Moscovici a juré que son gouvernement réduirait le déficit budgétaire public pour répondre d'ici 2015 au critère des 3 pour cent du PIB imposé par l'UE.

Ce qui sous-tend ce fort virage à droite de la politique européenne, de la part des partis socio-démocrates du type du Parti socialiste de Hollande, comme de la part de leurs annexes petites-bourgeoises « de gauche », est la profonde polarisation entre les élites dirigeantes et les masses, ainsi que la colère sociale qui monte dans la classe ouvrière. Ce qui se prépare est une explosion brutale de la lutte des classes.

Un cabinet-conseil Enterprise Personnel a déclaré au Monde que l'état d'esprit sur les lieux de travail en France est la « résignation furieuse ».

Un sondage récent a établi que la proportion de la population française qui se définit comme « classe moyenne » est tombée de 65 à 59 pour cent ; 44 pour cent disent que leur situation est « modeste » ou « de pauvreté. »

Le sociologue Camille Peugny a commenté, « C'est comme si les mesures d'austérité mises en place depuis le déclenchement de la crise financière de 2008 déchiraient la façade de villages Potemkine des prétentions selon lesquelles la population ferait maintenant partie de la classe moyenne. »

L'économiste Jean-Paul Fitoussi a déclaré au quotidien Libération : « L’Europe est, elle, en train de plonger dans cette spirale sans fin. Avec un chômage explosif en Grèce, en Espagne et même en Italie. La démocratie peut-elle survivre quand 60% de jeunes sont sans emploi ? La probabilité d’explosion sociale augmente chaque mois.»

(Article original paru le 7 novembre 2013)