Le parti allemand Die Linke réagit au scandale de l’espionnage de la NSA en exigeant des services secrets renforcés

Dans son manifeste présenté lors des dernières élections législatives, le parti Die Linke avait demandé du bout des lèvres la dissolution des services secrets allemands. Son ton a changé sensiblement après les révélations selon lesquelles le gouvernement allemand avait été mis sur écoute par l’agence nationale de sécurité américaine (NSA).

Actuellement, le parti réclame que les services de contre-espionnage soient étoffés et les pouvoirs de l’Etat augmentés, supposément pour défendre les intérêts économiques allemands par rapport à ceux des Etats-Unis.

Le dirigeant du groupe parlementaire de Die Linke, Gregor Gysi, s’était plaint de ce que les services secrets allemands ne travaillaient pas de manière suffisamment efficace. Pour lui, les révélations d’Edward Snowden montraient « une nouvelle fois l’échec des services secrets allemands parce que leur travail incluait aussi le contre-espionnage – tant industriel que social, » a déclaré Gysi. « Ils agissent probablement contre l’Est et pas contre l’Ouest. »

Dans le journal économique Handelsblatt, le président du parti, Bernd Riexinger réclame des sanctions économiques contre les Etats-Unis. Il doit y avoir une « première mise en garde » rapide. Le gouvernement doit « imposer une pénalité fiscale aux géants de l’Internet américains qui font des milliards de dollars ici pour ensuite disparaître avec l’argent et les données récoltés en Europe. »

La vice-présidente du groupe parlementaire de Die Linke, Sahra Wagenknecht, a exigé d’« enterrer » le projet d’accord de libre-échange avec les Etats-Unis.

Outre l’espionnage industriel, la présidente de Die Linke, Katja Kipping, a aussi évoqué la possibilité d’un chantage de la chancelière allemande, vu que les protocoles des communications de Merkel se trouvaient « à Washington dans une armoire à poison. » De concert avec Gysi et Riexinger, elle a publié une déclaration disant que les Etats-Unis avaient « remplacé le principe de partenariats multilatéraux avec l’autojustification unilatérale » et que, pour cette raison, les relations transatlantiques devaient être redéfinies. »

Elle a souligné à cette fin, que tous les partis parlementaires – dont également Die Linke – devaient œuvrer ensemble « dans la plus grande cohésion possible. »

Pour améliorer la position de l’Allemagne vis-à-vis des Etats-Unis, Steffen Bockshahn, le représentant de l’organe de contrôle parlementaire de Die Linke (PKGr), a demandé le renforcement des services secrets allemands. Jusque-là, a-t-il dit, ceux-ci n’avaient pas réussi « à nous protéger de l’espionnage. »

Contrairement à certains autres membres de Die Linke, Bockshahn s’est publiquement exprimé contre une enquête publique sur l’affaire de la NSA par le Bundestag (parlement). « J’estime qu’une commission d’enquête n’est pas utile, » a-t-il écrit dans un communiqué.

Au lieu de cela, il a clairement fait comprendre que les services de contre-espionnage qu’il réclame ont leur prix. « Les services secrets sont contraires à la morale. Ils espionnent, ils fouinent, ils portent atteinte à la vie privée, » précise-t-il. « Si vous ne rejetez pas totalement les services secrets, vous devez tenir compte du fait qu’ils font ce pourquoi ils sont faits. Ils font tout ce qui leur est possible. »

Ce raisonnement coïncide avec les arguments exprimés mardi devant une commission de la Chambre des représentants par les responsables des services secrets américains – justifiant l’espionnage de la NSA en disant que de telles activités ont lieu depuis des décennies et étaient des procédures opérationnelles standard pour les services de renseignement.

De par son appel à renforcer la capacité du contre-espionnage allemand, Die Linke a prêté sa voix à la politique officielle allemande et internationale.

Josef Joffe, le rédacteur en chef archi-conservateur de l’hebdomadaire Die Zeit a exigé la semaine passée dans le Financial Times que le gouvernement allemand copie « le légendaire Abwehr [le service de renseignement et de contre-espionnage] de la Seconde Guerre mondiale. » Il a ajouté, « un bon contre-espionnage et plus efficace qu’une bouderie vexée ; la meilleure défense est une bonne attaque. »

La similitude des arguments de Joffe et de Die Linke a des racines politiques profondes. L’étroite collaboration entre les services secrets et l’appareil de l’Etat est l’une des caractéristiques de Die Linke.

En tant que successeur du parti d’Etat stalinien de l’ancienne Allemagne de l’Est, le Parti du socialisme démocratique (PDS), a été dès le début un parti de Loi et d’Ordre. Il a organisé la restauration du capitalisme en Allemagne de l’Est en réprimant l’opposition des travailleurs à l’encontre les coupes sociales massives qui s’ensuivirent. En 2007, pour former Die Linke, il a fusionné avec les bureaucrates syndicaux tout aussi anti-classe ouvrière de l’ancienne Allemagne de l’Ouest rassemblés dans la WASG (Alternative électorale-travail et justice sociale).

Plus les crimes du service fédéral de renseignement (Bundesnachrichtendienst, BND) et de l’Office fédéral de la protection de la Constitution (Bundesamt für Verfassungsschutz, BfV) étaient décelés et plus Die Linke décidait de les soutenir. Après les premières révélations faites par Snowden en juillet, Bockshahn avait défendu l’obligation de confidentialité des membres du PKGr. Il faut accepter cette obligation dès lors qu’il s’agit d’« informations vraiment sensibles, » a précisé Bockshahn.

Son collègue du parti, Ulrich Maurer siège pour Die Linke à la Commission G10 qui examine et approuve les activités de surveillance des services secrets. Même après les révélations sur la NSA, Maurer a dit que les agences de renseignement avaient respecté la loi et qu’il ne considérait pas les demandes de surveillance « sous l’angle de la méfiance. »

La vice-présidente du Bundestag, Petra Pau, est la représentante de Die Linke à la Commission d’enquête parlementaire sur le groupe terroriste clandestin d’extrême-droite national-socialiste (Nationalsozialistischer Untergrund, NSU). Elle a fait l’éloge de la collaboration « exemplaire » de tous les groupes politiques en contribuant au camouflage du rôle joué par les services secrets à l’occasion des assassinats commis par le NSU.

Die Linke a maintenant réagi à la mise sur écoute de la chancellerie en réfrénant ses critiques à l’égard des services secrets et en exigeant qu’ils soient utilisés contre les Etats-Unis. Le parti prétend que de telles mesures contribueraient à protéger la population.

En réalité, cette politique signifie un renforcement des pouvoirs de l’Etat à l’encontre de la classe ouvrière. Les documents fournis par Snowden prouvent que les services secrets allemands sont les principales agences à organiser la surveillance de la population allemande. Alors que le BfV et le BND fournissaient des données à la NSA, celles-ci étaient collectées grâce au logiciel X-Keyscore qui a été fourni par la NSA et qui permet une surveillance de masse des communications domestiques.

Les membres des services de renseignement intérieur et extérieur recrutés en Allemagne après la Deuxième Guerre mondiale, l’ont été dans une large mesure à partir d’anciens membres de la SA, de la SS et du SD [Sicherheitsdienst, service de la sécurité] de Hitler. L’histoire de ces organisations est truffée d’intrigues, de crimes et de provocations contre des forces jugées comme oppositionnelles. Telles sont les organisations criminelles auxquelles Die Linke veut maintenant mettre en position pour opérer à l’intérieur et à l’extérieur du pays.

Cette politique sert à la préparation d’attaques sociales féroces et à une politique étrangère plus agressive. Ces deux politiques sont incompatibles avec les droits démocratiques. Face à une grande coalition formée par le Parti social-démocrate (SPD) et l’Union chrétienne-démocrate (CDU), Die Linke, en qualité de principal parti d’opposition, jouerait un rôle clé dans l’imposition de cet agenda contre les travailleurs et pour forger une alliance de tous les partis.

Dans une interview accordée à la chaîne de télévision privée allemande n-tv, Gysi a dit que le nouveau rôle de Die Linke signifiait aussi de nouvelles responsabilités : « Nous avons actuellement une responsabilité différente envers la société de la République fédérale d’Allemagne. »

Wagenknecht a dit lundi lors d’un entretien avec le quotidien Die Welt que Die Linke était prêt à tout moment à aider à la formation d’un gouvernement en cas d’éclatement de la prochaine grande coalition.

Pour défendre leurs droits sociaux et démocratiques et pour engager la lutte contre la NSA, le BND et le BfV, les travailleurs doivent, sur la base d’un programme socialiste, s’unir à leurs collègues de classe aux Etats-Unis et de par le monde.

Pour ce faire, ils doivent fermement rejeter les organisations pseudo-gauches telles Die Linke qui se fondent sur les couches aisées de la classe moyenne supérieure et qui, au fur et à mesure de l’intensification des conflits sociaux, se rangent ouvertement derrière l’appareil d’Etat. De par son soutien pour les services de renseignement, Die Linke veut réprimer un tel mouvement international de la classe ouvrière.

(Article original paru le 2 novembre 2013)

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