Nouvelles révélations sur le rôle du Canada dans le réseau d’espionnage mondial de la NSA

En partenariat avec l'Agence de sécurité nationale (National Security Agency, NSA) des États-Unis, le CSTC, l’agence d’espionnage de l’État canadien, mène des opérations secrètes d’espionnage contre les gouvernements étrangers et des missions diplomatiques à l’aide de postes d’écoute clandestins hébergés dans les ambassades et les consulats canadiens.

Cette dernière révélation à propos des liens étroits entre la NSA et le Centre de la sécurité des télécommunications Canada (CSTC) provient d'articles publiés il y a deux semaines dans le magazine allemand Der Spiegel et le quotidien australien Sydney Morning Herald. Ces articles sont basés sur les fichiers divulgués par Edward Snowden, cet ancien employé à contrat de la National Security Agency maintenant dénonciateur.

En vertu d’un programme connu sous le nom de code «STATEROOM», le CSTC du Canada, la NSA des États-Unis, l’Australian Signals Directorate d’Australie et les agences de renseignement de Grande-Bretagne et de Nouvelle-Zélande ont mené des opérations d’espionnage depuis des installations secrètes au sein de leurs ambassades.

Leur collaboration dans le programme STATEROOM prend de multiples formes: le partage de renseignements et de l’expertise technique – des pratiques courantes depuis des décennies dans le cadre du partenariat «Five Eyes», le Groupe qui unit ces cinq organismes nationaux d’espionnage – et l’hébergement de postes d’écoute de la NSA dans les missions diplomatiques des quatre autres pays.

Ainsi, l’Australian Signals Directorate, selon ce qu'a rapporté le Sydney Morning Herald, a depuis des années utilisé ses ambassades et consulats pour espionner les communications de pays partout en Asie, notamment la Chine, l’Indonésie et le Vietnam.

Jusqu’à présent, il y a peu d’information sur les objectifs du CSTC dans le cadre du programme STATEROOM. Mais Bill Robinson, un expert et critique du CSTC, note que l’ancien employé du CSTC Mike Frost «a rapporté dans son livre Spyworld publié en 1994 que la NSA a exercé de fortes pressions sur le CSTC pour qu’il installe un site d’interception des communications à l’ambassade du Canada à Beijing.»

Le CSTC a longtemps joué un rôle essentiel dans les opérations mondiales de la NSA. En plus de l’échange de renseignements en continu, le CSTC fait systématiquement des échanges de personnel avec la NSA et seconde celle-ci dans des opérations politiquement délicates comme l’opération d’espionnage américano-britannique commune menée contre les délégations officielles au sommet du G20 à Londres en 2009.

Au plus fort de la guerre froide, le CSTC était le principal responsable du «Groupe des cinq» chargé d’espionner les communications de l’URSS, ce qui donne une idée de son importance en tant qu’allié et mandataire des États-Unis.

Il y a fort à parier que le rôle du Canada dans le programme STATEROOM est probablement plus important dans les pays où les États-Unis n’ont pas de missions diplomatiques, tels Cuba et, au sommet de la liste l’Iran, du moins jusqu’à ce que le Canada ne ferme son ambassade à Téhéran septembre 2012.

Les cinq derniers mois de révélations extraites des fichiers divulgués par Snowden montrent que les opérations d’espionnage du Groupe des cinq sont pratiquement sans limites – ciblant tout, depuis les communications de la chancelière allemande Angela Merkel et d’autres chefs de gouvernements proches alliés des États-Unis, jusqu’aux messages-textes et courriels de citoyens nord-américains ordinaires.

En outre, le CSTC poursuit son propre ordre du jour basé sur les intérêts économiques et géopolitiques de l’élite canadienne.

Ainsi, le mois dernier, il a été révélé que le CSTC a espionné le ministère des Mines et de l’Énergie (MME) du Brésil, ce qui a provoqué la colère du gouvernement de la présidente brésilienne Dilma Rousseff. Le Canada et le Brésil sont de grands rivaux dans les secteurs minier et pétrolier.

Comme l’a expliqué Glenn Greenwald, un journaliste qui a travaillé en étroite collaboration avec Snowden, le CSTC a utilisé un logiciel puissant connu sous le nom d’«Olympia» pour balayer d’immenses quantités de communications afin d’établir une carte détaillée des systèmes de communication vocale et Internet du MME et ainsi localiser les téléphones et les serveurs informatiques à pirater pour voler des communications.

Le premier ministre canadien Stephen Harper a prétendu être «très, très préoccupé» par l’espionnage du CSTC contre le Brésil. Mais cela ne l’empêche pas, lui et son gouvernement conservateur, de continuer à défendre vigoureusement le CSTC, en répétant à chaque occasion le mensonge que l’agence ne surveille pas les communications des Canadiens.

Cette affirmation est fausse sur au moins trois plans :

Premièrement, le CSTC a pour mandat spécifique d’aider le Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), la Gendarmerie royale du Canada et les autres corps policiers dans la lutte contre la subversion interne et le terrorisme, que les agences de sécurité de l’État canadien ont à plusieurs reprises «définis» de façon à inclure les manifestations non violentes, la dissidence politique et la désobéissance civile.

Deuxièmement, en vertu de la Loi antiterroriste de 2002, le CSTC a le pouvoir d’espionner, sans avoir besoin de mandat judiciaire délivré par la Cour, les communications des Canadiens si cela est fait dans le cadre d’une enquête sur une «menace étrangère».

Et troisièmement, depuis 2005 au moins, le CSTC fouille les métadonnées des appels téléphoniques, des communications électroniques, des messages-texte, des courriels et de l’utilisation d’Internet, etc. des Canadiens. Dans leurs déclarations publiques et communiqués ministériels, le CSTC et le gouvernement ont justifié cette violation flagrante des droits des Canadiens sous le motif fallacieux que les métadonnées ne sont pas des communications protégées par la Constitution, mais simplement «l’enveloppe» contenant ces communications.

En fait, les métadonnées peuvent être encore plus révélatrices que le contenu d’une communication. Au moyen d’une collecte systématique, l’État peut rapidement brosser le portrait complet d’un individu ou d’un groupe, y compris leurs emplois, leurs amis et associés, leurs lectures et opinions politiques.

Tout en couvrant systématiquement le rôle du CSTC dans l’espionnage des Canadiens, le gouvernement conservateur continue également d’être discret sur les objectifs de ses activités d’espionnage à l’étranger – et avec raison, car celles-ci font voler en éclat le mensonge du gouvernement selon lequel les activités du CSTC sont axées sur la lutte contre le terrorisme de type Al-Qaïda.

Harper, son ministre de la Défense Rob Nicholson et ses autres collaborateurs ont refusé de confirmer la véracité du rapport sur les activités du CSTC au Brésil, en disant qu’ils ne peuvent pas commenter sur des «opérations de sécurité nationale».

Pour sa part, le chef du CSTC John Forster, a déclaré dans un rare discours public que «tout ce que fait le CSTC en matière de renseignement étranger respecte la loi canadienne». Il n’a cependant fait aucun commentaire quant à savoir si ces opérations ne violaient pas le droit international ou la souveraineté de pays étrangers.

Une preuve supplémentaire du rôle du CSTC dans la promotion des intérêts politiques et commerciaux de la grande entreprise canadienne provient d’un rapport publié dans le quotidien britannique The Guardian et selon lequel depuis 2005, l’agence d’espionnage rencontrerait deux fois par années des dizaines de sociétés d’énergie canadiennes. Selon les documents du CSTC obtenus par The Guardian, ces réunions auraient soi-disant pour but d’aider les entreprises à améliorer leurs infrastructures de sécurité électronique et matérielles. Toutefois, deux sujets de discussion supplémentaires étaient censurés dans les documents consultés par The Guardian.

Le gouvernement conservateur dépend de la complicité des médias sociaux et des partis de l’opposition pour dissimuler les activités sinistres et antidémocratiques du CSTC.

Malgré les révélations à propos de la fouille systématique des métadonnées des Canadiens et du partenariat étroit du CSTC avec la NSA, une organisation dont l’espionnage systématique sur les Américains a été exposée au grand jour, et une activité en violation de la constitution de ce pays, les médias canadiens ne montrent aucun intérêt à sonder les activités du CSTC ou à alerter les Canadiens à ce sujet.

Tout au plus ont-ils lancé un tiède appel pour plus de «surveillance» sur le CSTC, entendant par là de permettre à un panel de parlementaires soigneusement sélectionnés ou – plus probablement dans le cas du CSTC – à une poignée de représentants de confiance de la classe dirigeante d’examiner à huis clos les opérations du CSTC.

Actuellement, le CSTC fonctionne entièrement selon des directives ministérielles qui sont secrètes pour tous hormis les plus hauts échelons du gouvernement.

Les partis d’opposition ont été tout aussi indifférents que les médias. Après la révélation des activités d’espionnage du CSTC contre le Brésil, le critique du Parti libéral en matière de Défense, Marc Garneau, a déclaré à La Presse que l’Agence faisait «un travail nécessaire et vital».

L’opposition officielle, formée par le Nouveau Parti démocratique basé sur les syndicats, a fait du scandale des frais de dépenses au Sénat son cheval de bataille quasi exclusif des six derniers mois. Pendant qu’il prétend se battre pour l’abolition du Sénat «non démocratique», un organisme non élu qui n’a que peu sinon aucune légitimité pour la plupart des Canadiens, le NPD maintient un silence complice sur les activités du CSTC. La révélation que le CSTC fouille systématiquement les métadonnées des communications des Canadiens n’a pas fait l’objet de plus d’une poignée de questions au parlement. De la même façon, les sociaux-démocrates canadiens ne s’opposent que pour la forme aux assauts croissants des conservateurs contre les droits des travailleurs. Cet assaut comprend notamment la législation adoptée la semaine dernière qui priverait les employés fédéraux du droit de grève et de négociation collective.

Le 28 octobre, le NPD a présenté une motion appelant à la création d’un comité parlementaire, dirigé par un conservateur et à majorité conservatrice, pour faire des recommandations quant à la façon dont il pourrait y avoir un contrôle parlementaire sur la collecte de renseignements au Canada. Dès que les conservateurs ont défait la motion, le NPD est replongé dans le silence.

(Article original paru le 2 novembre 2013)

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