Allemagne: le parti Die Linke s’embarque dans la voie de la guerre

Alors que l’élite dirigeante allemande discute d’une politique étrangère plus agressive pour la défense internationale de ses intérêts économiques et stratégiques, le parti Die Linke [La Gauche – l’homologue allemand du Parti de Gauche de Jean-Luc Mélenchon en France] préconise ouvertement des missions militaires à l’étranger et un rôle encore plus actif de l’impérialisme allemand.

Dans un recueil d’essais intitulé « Une politique étrangère de gauche : perspectives de réforme » récemment publié par le groupe de réflexion WeltTrends, les décideurs influents en matière de politique étrangère ont ouvertement exigé des opérations militaires allemandes, la défense des alliances et traités impérialistes, une coopération étroite avec les Etats-Unis et un rôle international plus important pour l’Allemagne.

Jusqu’à présent, Die Linke a été le seul parti parlementaire à s’opposer officiellement à des opérations outre-mer de la Bundeswehr (armée allemande) – en critiquant la politique étrangère américaine et en réclamant même dans le programme du parti la dissolution de l’OTAN. Ceci est maintenant définitivement enterré. Après les élections législatives, Die Linke a laissé tomber un discours creux susceptible de devenir un obstacle au soutien d’une éventuelle guerre que Berlin viendrait à mener à l’avenir.

Dans une communication intitulée « Die Linke et les opérations militaires », le porte-parole aux affaires de défense du groupe Die Linke, Paul Schäfer, qui représente aussi le parti à la Commission de la défense du Bundestag (parlement allemand), préconise ouvertement le soutien des opérations militaires. Schäfer exige que Die Linke développe « des critères précis et tout particulièrement restrictifs » afin de « définir notre position par rapport à de telles missions militaires». 

Parallèlement, Schäfer précise qu’en réalité son parti n’imposera pratiquement aucune restriction aux futurs déploiements militaires qu’il acceptera. Des opérations « légitimées et menées par les Nations unies avec lesquelles un [...] accord de paix est tenu d’être exécuté, [et] qui donne lieu à l’application d’accords ou qui représente les préoccupations légitimes de ceux qui jusqu’ici sont opprimés ou privés de leurs droits ne se[raient] a priori pas rejetées … ».

De plus, les opérations militaires devraient être appuyées qui « sont expressément préconisées par les acteurs de la ‘société civile’ tels les groupes des droits de l’homme, les organisations humanitaires, les syndicats à l’intérieur et à l’extérieur d’un pays ».

Autrement dit, Die Linke veut accorder rétrospectivement sa bénédiction à toutes les missions militaires menées par l’Allemagne ces deux dernières décennies et partager la responsabilité pour toutes celles à venir. En fait, il n’y a pas le moindre déploiement de la Bundeswehr, ni au Kosovo ni en Afghanistan, qui remplisse l’un des critères énumérés ci-dessus par Schäfer. Ceci s’appliquerait aussi à la guerre contre la Syrie, où les groupes d’opposition syriens soutenus par Die Linke réclament depuis longtemps une frappe militaire.

De même que les représentants des autres partis au Bundestag, Schäfer cherche à justifier son soutien d’une politique brutale, belliqueuse et impérialiste en recourant cyniquement à une propagande en faveur des droits humains. Il pose la question : « Une interdiction absolue de l’ingérence n’atteint-elle pas une limite morale et légale dès lors qu’il s’agit d’un génocide ou d’un meurtre de masse » ?

Il insiste en disant, « En tant que Die Linke, nous ne pouvons pas refuser la solidarité à ceux qui se trouvent dans des situations désespérées et qui sont confrontés à leurs oppresseurs et à leurs persécuteurs ».

Bien évidemment, Schäfer est conscient que derrière les interventions militaires « humanitaires » qu’il préconise il y a des intérêts économiques et géostratégiques impérialistes concrets. Il écrit : « Le retour de l’Afrique sur la scène de la politique mondiale ; le regard de concupiscence non négligeable jeté par les Etats-Unis, mais aussi la France, l’Allemagne et la Chine sur le continent oublié, est en rapport avec la découverte de nouvelles ressources minérales (pétrole, pétrole, pétrole) ».

Et c’est pour cela que Schäfer les soutient ! Il écrit : « Ceux qui estiment toutefois résolue la question des opérations militaires internationales sont loin du but. Ne se pourrait-il pas que de telles opérations, bien qu’entièrement motivées par un certain intérêt d’utilisation du capital et d’expansion de l’influence politique, contribuent néanmoins à l’assistance et au retour de réfugiés et donc au sauvetage de centaines de milliers de vies et à une réduction de la violence » ?

C’est là le langage cynique des anciens staliniens qui recommandent à présent la défense des intérêts de l’impérialisme allemand par des moyens militaires. Schäfer avait été de 1970 à 1988 membre du DKP (Parti communiste allemand, le satellite ouest-allemand du parti d’Etat stalinien en Allemagne de l’Est.)

Die Linke ne se contente pas d’accorder sa bénédiction rétrospective aux opérations en cours de la Bundeswehr, mais exige explicitement que l’impérialisme allemand agisse de manière plus agressive. Le parti joint sa voix à celle de l’ensemble de l’élite dirigeante qui, après des décennies de retenue, exige actuellement que l’Allemagne joue de nouveau un rôle international beaucoup plus marqué.

Dans un article intitulé « Des réformes sont nécessaires et évidentes pour renforcer l’ONU », les spécialistes de la politique étrangère du parti Die Linke, Paul Schäfer, André Brie, Stefan Liebich, Ernst Krabatsch et Gerry Woop déclarent que l’Allemagne devrait utiliser son « mandat de deux ans de membre non permanent au Conseil de sécurité » pour faire valoir son « influence ». Die Linke veut aussi, en tant que parti d’opposition au parlement, « apporter une contribution » et encourager « le processus de discussion », notamment « eu égard à la responsabilité et à l’influence particulières de la République fédérale d’Allemagne ». 

Les objectifs visés comprennent la « lutte contre le terrorisme » et l’imposition de « sanctions d’exécution au titre du Chapitre VII de la charte de l’ONU : »

Die Linke signale clairement qu’il est prêt à défendre les intérêts de l’impérialisme allemand au sein d’une étroite alliance diplomatique et militaire avec Washington. Les guerres néocoloniales contre l’Irak et l’Afghanistan sont menées sous le prétexte de la « guerre contre le terrorisme » ; il y a deux ans, le bombardement de la Libye par l’OTAN avait été précédé par l’adoption d’une résolution d’après le Chapitre VII de la charte de l’ONU.

Dans une autre contribution intitulée « La gauche entre anti-américanisme et la question des alliances », Gabriele Kickut, la directrice adjointe du Centre pour le dialogue international de la Fondation Rosa Luxemburg qui est affiliée à Die Linke, affirme que l’impérialisme américain est capable de jouer un rôle « progressiste ». Selon Kickut, il faut surtout comprendre la politique étrangère américaine comme étant « un libéralisme impérial » et admettre que « les objectifs politiques libéraux peuvent être poursuivis, y compris en recourant à la force ou par la construction de structures hégémoniques ».

Kickut exige que « davantage d’attention soit donnée [à cette approche] dans la conception d’une politique étrangère transatlantique de gauche ». Elle souligne que « les défis mondiaux de notre temps [...] peuvent être résolus grâce à une coopération et non par une confrontation avec les Etats-Unis ». C’est justement la « politique de gauche » qui ne pourra « éviter à l’avenir de passer par les Etats-Unis ».

Finalement, André Brie montre la dérision du programme de Die Linke. Dans un essai intitulé « La mondialisation ou la société mondiale », il écrit que le principe de « pacta sunt servanda » (les pactes doivent être respectés) devrait être à la base de toute politique étrangère de « gauche ». Le principe « ne concerne pas seulement le droit public et privé, une nécessité pour presque toute civilisation, mais tout autant les relations internationales, les organisations et les accords intergouvernementaux et le droit international en général ».

De cette manière, l’OTAN, que Die Linke aimerait abolir, et le réseau associé de traités internationaux sont par conséquent considérés intouchables.

Le soutien pour les opérations de la Bundeswehr à l’étranger, le maintien d’étroites relations de politique étrangère avec les Etats-Unis et la défense des alliances existantes telles l’OTAN sont des conditions préalables à la participation dans un gouvernement au niveau fédéral. Avec les nouvelles « réformes de perspectives » pour la politique étrangère de Die Linke, le parti fait clairement comprendre qu’il se prépare sérieusement à une telle éventualité. Déjà durant la campagne électorale l’exigence politique centrale de Die Linke avait été un gouvernement de coalition avec le Parti social-démocrate (SPD) et les Verts.

Gregor Gysi, le candidat tête de liste de Die Linke, avait soulevé début août la possibilité d’occuper les fonctions de ministre des Affaires étrangères.

Le fait que Gysi ait écrit l’avant-propos à ce volume montre que le nouveau cap pour la politique étrangère est soutenu par l’ensemble du parti. La semaine dernière encore, Gysi avait été confirmé dans ses fonctions en tant que président de Die Linke au parlement allemand.

Durant la campagne électorale, Die Linke avait tenté de dissimuler sa politique en faveur de la guerre en affirmant vouloir refuser de soutenir les missions outre-mer de la Bundeswehr ou la guerre. Certains travailleurs et des jeunes avaient voté pour le parti dans le but d’exprimer une opposition à la guerre et au militarisme.

La brochure « La politique étrangère de gauche » ne laisse toutefois planer aucun doute que Die Linke – tout comme les Verts il y a 15 ans – est en train devenir un parti belliciste. Il jouera un rôle clé lors du retour de l’impérialisme allemand sur la scène mondiale.

(Article original paru le 21 octobre 2013)

Loading