Perspectives

Chasse aux sorcières contre le journal britannique Guardian

La campagne de diffamation et d'intimidation contre le journal britannique Guardian pour avoir publié les révélations de l'ex-agent de la National Security Agency (NSA) Edward Snowden est sans précédent dans un pays dit démocratique. 

Les raids contre les bureaux du journal, la destruction forcée de disques durs et les menaces d'arrestation de journalistes sont des actions habituellement associées aux dictatures militaires. Mais c'est exactement ce qui a été employé contre le Guardian, avec des menaces de bien pire à venir. 

Un débat parlementaire a eu lieu mardi, à l'instigation du simple député Julian Smith, sur la question de savoir si ce journal est coupable de trahison pour avoir divulgué des informations sur les programmes d'espionnage illégaux de la NSA et du GCHQ (Government Communication Headquarters), le service secret britannique. Smith a déjà écrit à la police londonienne pour demander que le Guardian soit poursuivi en vertu de la Loi sur les secrets officiels et de la Loi sur le terrorisme de 2000. 

Bien avant, le Premier ministre David Cameron, qui a donné l'ordre au Guardian de détruire ses fichiers informatiques contenant des documents sur Snowden, a demandé une enquête parlementaire sur le journal – une demande soutenue par le vice-Premier ministre et chef des libéraux démocrates Nick Clegg. 

Immédiatement, Keith Vaz du parti travailliste dans l'opposition a accepté que la Commission des affaires intérieures qu'il préside entreprenne cette enquête. 

Les révélations du Guardian vont également faire l'objet d'une enquête de la Commission sur les services de renseignement et de sécurité (ISC), dans une tentative de renforcer les allégations selon lesquelles les articles du journal menaçaient la sécurité nationale. Hazel Blears, le représentant travailliste de l'ISC, a déclaré que si elle ne pouvait pas confirmer qu'elle parviendrait à une conclusion sur la «menace pour la sécurité nationale» constituée par le Guardian, l'ISC «tirerait toutes les conclusions à partir des preuves disponibles». 

Ces manœuvres constituent une intensification majeure de la chasse aux sorcières contre ce journal, qui a commencé en août avec la détention à l'aéroport d'Heathrow de David Miranda, le compagnon du journaliste alors au Guardian qui collaborait avec Snowden, Glenn Greenwald. 

Cette escalade a reçu le feu vert des agences de renseignement elles-mêmes. C'est le nouveau chef du MI5, Sir Andrew Parker, qui a le premier insinué dans un discours prononcé au début du mois que le journal aurait aidé des terroristes en rendant publiques les révélations de Snowden. 

Les implications anti-démocratiques de cet assaut vont très loin. Considéré pendant longtemps comme le porte-parole respectable du libéralisme britannique, le Guardian est poursuivi pour ne pas en avoir fait plus que ce qu'un journal est censé faire – révéler des informations. Pour les pouvoirs en place, ce genre de révélations, dans la mesure où elles concernent les activités de l'État, constituent des actes de trahison. 

Le Guardian est ciblé dans un contexte où les partis de gouvernement cherchent à imposer un contrôle obligatoire de la presse en Grande-Bretagne pour la première fois en 300 ans. Leurs plans reviennent à une censure officielle, en particulier de l'Internet. Ils seront appuyés, comme le montrent les manœuvres contre le Guardian, par la menace de poursuites judiciaires et d'emprisonnement. 

Ce qui rend ces événements encore plus extraordinaires c'est que non seulement le Guardian est pratiquement isolé au sein de l'élite politique, mais certains de ses opposants les plus agressifs viennent des médias eux-mêmes. 

Il ne s'agit pas seulement des publications associées au Parti conservateur. Chris Blackhurst, ex-éditeur et actuel rédacteur du journal mal nommé Independent, a déclaré dans un récent éditorial que les révélations de Snowden «pourraient être dangereuses». Il a ajouté: «Je ne les aurais pas publiées.»

«Si le MI5 prévient que ce n'est pas dans l'intérêt général, qui suis-je pour ne pas les croire?», a déclaré ce journaliste. 

L'article servile de Blackhurst montre d'où vient la tendance sociale responsable de l'isolement du Guardian. Dans sa jeunesse, a-t-il déclaré, il était «sidéré» par les abus de l'État et, en tant que jeune journaliste, réagissait «avec enthousiasme» aux injustices. Maintenant il ne «s'emballe » plus. 

Ses remarques soulignent le degré auquel les médias se considèrent sciemment comme un prolongement de l'État. Ce qui s'est passé entre la jeunesse de Blackhurst et maintenant ne s'explique pas seulement pas le passage des années. Le plus important, ce sont sa carrière lucrative, son confort social et les privilèges qu'il a acquis, qui le rendent tout disposé à cacher les abus de l'État. Y a-t-il aucun doute sur le fait que s'il était transporté dans l'Allemagne des années 1930, Blackhurst n'aurait que peu de remords moraux ou politiques à travailler directement ou indirectement pour le ministère de la propagande de Goebbels ? 

L'absence du moindre souci des libertés fondamentales au sein de l'élite dirigeante est le résultat du déclin des normes démocratiques sur une longue période. 

Ce processus s'est accéléré depuis le crash économique de 2008 et la croissance accélérée de l'inégalité sociale qui en a résulté. Ce n'est pas par accident que la chasse aux sorcières contre le Guardian se déroule dans un contexte où les signes d'une opposition populaire aux politiques d'austérité et de guerre du gouvernement se multiplient. Elle intervient seulement quelques semaines après la défaite au Parlement de la résolution en faveur d'une guerre contre la Syrie et coïncide avec une série de grèves et de manifestations contre les réductions d'effectifs et l'abandon des dépenses sociales. 

Les activités de l'agence d'espionnage britannique ont bien peu à voir avec la lutte contre le terrorisme, comme l'indiquent des documents fournis par Snowden au journal Allemand Der Spiegel, qui ont été à peine mentionnés dans les autres médias. Ceux-ci impliquent le GCHQ dans une cyber-attaque massive contre la compagnie belge partiellement publique de télécommunications, Belgacom, dont les clients comprennent le Parlement européen. 

L'opération portait le nom de code «Operation Socialist», ce qui confirme le principal objectif des activités du GCHQ – contrôler et réprimer la population. En fin de compte, l'appauvrissement de masse qui est l'objectif de l'élite dirigeante ne peut être appliqué que par des moyens dictatoriaux. 

Le Parti de l'égalité socialiste défend de manière inconditionnelle le Guardian et son droit de publier librement sans interférence de l'État. Mais nous insistons sur le fait que la défense des libertés de presse et de parole ainsi que des droits démocratiques ne peut être confiée à aucune section de la bourgeoisie. Elle ne peut être menée à bien que par un mouvement de masse de la classe ouvrière dans une lutte contre le système de profit et ses défenseurs politiques. 

(Article original paru le 22 octobre 2013)

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