Le Guardian sous enquête parlementaire à cause des révélations de Snowden

À la demande du premier ministre David Cameron, le journal britannique The Guardian fait l'objet d'une enquête par au moins un comité parlementaire concernant les révélations d’Edward Snowden, le lanceur d'alertes de la NSA (National Security Agency), l'agence américaine d'espionnage.

Cette démarche, qui a été accompagnée de menaces de poursuites judiciaires et d’allégations que le journal a mis en péril la sécurité nationale, représente une dangereuse escalade dans la chasse-aux-sorcières et la répression déclenchées suite aux révélations de Snowden sur les programmes de surveillance massive de la NSA et du service de renseignement britannique, le GCHQ (Government Communications Headquarters).

Mercredi dernier, Cameron a déclaré au parlement: «Ce qui est arrivé a porté atteinte à la sécurité nationale, et à bien des égards, la rédaction du Guardian l’a reconnu lorsqu’elle a accepté de détruire les dossiers en sa possession après que mon conseiller à la sécurité nationale et chef du cabinet [Sir Jeremy Heywood] lui en a poliment fait la demande».

«Elle sait donc que cette affaire est dangereuse pour la sécurité nationale».

Le premier ministre a soutenu les appels à une enquête parlementaire complète pour déterminer si le Guardian a violé la loi en publiant les révélations de Snowden.

L’affirmation de Cameron est mensongère et réactionnaire.

En juin, selon le rédacteur en chef du Guardian, Alan Rusbridger, des journalistes du Guardian et lui-même ont été menacés de poursuites judiciaires et forcés de détruire les disques durs contenant les dossiers fournis par Snowden lorsqu’un «très haut responsable du gouvernement disant parler au nom du premier ministre» a «fait la menace implicite que d’autres au sein du gouvernement favorisaient une approche bien plus draconienne».

Selon Rusbridger, «deux experts de la sécurité du GCHQ» ont supervisé la destruction. Cameron affirme maintenant que la réponse du journal aux menaces du gouvernement est une preuve de sa culpabilité!

Un porte-parole de Guardian News and Media a fait savoir dans un communiqué: «Le premier ministre a tort de dire que le Guardian a détruit les fichiers informatiques parce que nous acceptions que nos reportages étaient nuisibles. Nous les avons détruits parce que le gouvernement a dit qu’il utiliserait toute la force de la loi pour empêcher un quotidien de publier quoi que ce soit de la NSA ou du GCHQ».

Cameron a fait sa déclaration en réponse à une question de l’ancien secrétaire à la Défense, Dr Liam Fox, qui a demandé que «l'on détermine de manière complète et transparente si l’implication du Guardian dans l’affaire Snowden a nui à la sécurité nationale de la Grande-Bretagne». Indiquant clairement qu’il cherchait à faire porter des accusations criminelles, Fox a dit qu’il était «étrange» que des gens soupçonnés d’avoir mis des journalistes sous écoute aient été poursuivis, mais pas des gens qui rendent «vulnérables» nos services de sécurité.

Un simple député conservateur, Julian Smith, a obtenu un débat parlementaire à Westminster Hall cette semaine concernant la publication des documents top-secret. Plus tôt, il avait écrit à la police londonienne pour réclamer que le Guardian soit poursuivi en vertu de la Loi sur les secrets officiels et la Loi sur le terrorisme de 2000. Il a dit qu’il utiliserait le débat pour «exposer les raisons pour lesquelles je crois que le Guardian a franchi la ligne entre le journalisme responsable et une conduite qui met sérieusement en danger notre sécurité nationale ainsi que les vies de ceux qui cherchent à nous protéger».

Le dirigeant libéral-démocrate et vice-premier ministre, Nick Clegg, est aussi de ceux qui prennent le Guardian pour cible, déclarant que les fuites de Snowden sont un «cadeau» aux terroristes qui leur permet d’attaquer la Grande-Bretagne. Les appels à la répression sont coordonnés avec les services de sécurité. Le nouveau chef du MI5 (la police secrète britannique), Andrew Parker, a soutenu que les fuites sur les programmes Prism et Tempora ont donné «l’avantage aux terroristes. C'est le cadeau dont ils ont besoin pour échapper à notre surveillance et frapper à volonté».

Une fois de plus, c'est au sein de la dite «opposition parlementaire», le parti travailliste, que l'on retrouve les partisans les plus enthousiastes de la persécution par l'État de journalistes, de journaux et de lanceurs d'alerte comme Snowden.

Suite au débat parlementaire, Fox a écrit aux présidents de cinq comités spéciaux de la chambre des Communes pour les exhorter à mener une enquête sur la «conduite imprudente et potentiellement dangereuse» du Guardian.

«La liberté de presse ne veut pas dire la liberté d'exposer le Royaume-Uni, son peuple ou ses alliés au crime organisé ou au terrorisme. Je vous écris pour vous demander formellement, en tant que député et ancien ministre de la Défense, de porter l'attention de votre comité sur l’implication du Guardian dans les fuites de Snowden et dans leur publication».

La première réponse est venue du travailliste Keith Vaz, président du Comité des affaires intérieures.

En l’espace de quelques heures, Vaz a dit qu’il examinerait «l’implication du Guardian dans les fuites de Snowden et leur publication».

«Je vais écrire pour rassurer Dr Fox que le comité mène actuellement une enquête sur le contre-terrorisme et se penchera sur cette question dans le cadre de l’enquête.»

Les autres dirigeants des comités ayant reçu une requête de Fox sont Sir Malcom Rifkind du Comité sur le renseignement et la sécurité, John Arbuthnot du Comité sur la défense, Richard Ottaway aux Affaires étrangères et Sir Alan Beith du Comité de liaison.

Le Comité sur le renseignement fait actuellement semblant, dans une enquête lancée la semaine dernière, d’investiguer la surveillance de masse menée par le GCHQ et la NSA. Il a été lourdement critiqué pour les liens privilégiés qu'il entretient avec les services de sécurité, forçant Rifkind à énoncer des platitudes telles que la nécessité de trouver un «équilibre» entre «notre droit individuel à la vie privée et notre droit collectif à la sécurité».

Le comité est maintenant censé déterminer si les lois sur le renseignement sont «bien adaptées».

La décision du Comité des affaires intérieures de lancer une investigation sur le Guardian en vue d'une possible action pénale démasque une telle pose d’impartialité.

Toute la machine parlementaire et ses partis se portent à la défense de l’appareil secret de l'État, à commencer par une sévère restriction de la liberté de presse. Voilà qui pose une grave menace aux droits démocratiques. Le Guardian est ciblé pour avoir révélé les actions criminelles des services secrets qui mettent sous une surveillance étatique indue chaque homme, chaque femme et chaque enfant au Royaume-Uni et à l'échelle internationale. Cette opération se fait sans justification légale ni même approbation officielle du Parlement, ce qui démontre que le Royaume-Uni est bien avancé sur la voie d’un État policier de facto. Elle témoigne de l’extraordinaire désintégration politique et morale d'une élite dirigeante ivre de sa richesse, et qui vit dans la peur mortelle des millions qu'elle écrase sous son poids et qu'elle plonge encore plus dans la misère et la pauvreté.

(Article original paru le 18 octobre 2013)

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