La police suédoise collecte illégalement des données sur les Roms

La police suédoise de la région de Skane au Sud du pays possède une base de données qui contient des détails sur plus de 4000 Roms, dont 1000 enfants. Cette révélation est parue dans un rapport du quotidien Dagens Nyheter à la fin de septembre.

Cette base de données, structurée en arbre généalogique, contient les noms complets, dates de naissance, numéro de carte d'identité, adresses et liste des proches. Les individus y sont ajoutés simplement en raison de leur appartenance ethnique, et la grande majorité d'entre eux n'ont commis aucune infraction. Les détails personnels d'un frère et d'une sœur qui n'ont respectivement que deux et trois ans y apparaissent.

La police a initialement tenté de nier l'existence de ce fichier, qui se trouverait dans un dossier intitulé « itinérants ».

Quand cela n'a plus été possible, une enquête a été annoncée et le chef de la police a déclaré qu'il était « outré ». Cependant, les responsables de la police continuent à refuser de considérer le rassemblement de ces informations comme de la discrimination raciale, ils affirment qu'il est efficace pour les officiers de police qui enquêtent sur des activités criminelles.

Peter Springar, chef du Service d'enquête sur les crimes graves de la région d'Orebro, a répondu avec colère à l'accusation que la police aurait enfreint la loi. Springar a affirmé que le registre des Roms n'était qu'un « travail de renseignement fait pour combattre le crime. »

S'appuyant sur une estimation des Nations unies qui indique qu'entre 15 000 et 20 000 Roms vivent en Suède, cette base de données contient plus de 20 pour cent de toute la population Rom. Des rapports ont affirmé par la suite que les forces de police de tout le pays avaient accès à l'information, ainsi que le bureau national de l'immigration.

Les Roms ont été harcelés par les autorités suédoises pendant des décennies. Parmi les révélations qui ont éclaté au cours de ce dernier scandale, il y a le fait que les autorités de la ville de Stockholm ont maintenu un « registre des gitans » jusqu'en 1996. Ceux qui avaient le malheur de se retrouver sur cette liste faisaient l'objet de visites de la police qui faisait des rapports sur leur mode de vie et leur comportement.

Entre 1914 et 1954, les Roms étaient officiellement interdits de se rendre en Suède, et un grand nombre de ceux qui y étaient durant cette période ont été stérilisés de force. Durant la seconde guerre mondiale, le gouvernement suédois a compilé un « inventaire des gitans » où figuraient des données sur l'ensemble de la population Rom. Il a été créé en même temps qu'un registre de la population juive et il était généralement admis qu'il serait confié aux nazis s'ils envahissaient le pays. Après la guerre, il a fallu attendre 1959 pour que les Roms aient droit à l'éducation et aux logements publics, et ce n'est qu'en 1999 qu'ils ont été officiellement considérés comme l'une des minorités du pays.

Les nouvelles révélations sur un ciblage délibéré des Roms interviennent dans le contexte d'une intensification de la persécution des immigrés et des minorités ethniques. Au début de l'année, la police de Stockholm a utilisé des contrôles au faciès pour cibler les travailleurs sans papiers. La police avait reçu l'ordre d'interpeller toute personne qui « avait l'air étrangère » dans le métro de Stockholm et de demander à voir leurs papiers pour tenter d'augmenter le taux de déportations. Ce « projet REVA » de la police a déclenché une vague de désapprobation, dont des manifestations de plusieurs milliers de personnes à Stockholm et Malmö en mars de cette année.

Moins de deux mois plus tard, les banlieues de Stockholm ont été le cadre d'émeutes, provoquées en grande partie par les opérations brutales de la police dirigée contre des quartiers ou vivent principalement des immigrés. Les résidents parlaient d'insultes racistes de la part des officiers de police et de fouilles au faciès contre des enfants de 13 ans.

Cette atmosphère politique a été créée et encouragée par les principaux partis et syndicats. Immédiatement après les émeutes, la fédération suédoise des syndicats en a appelé au gouvernement pour qu'il impose des restrictions à l'emploi pour les travailleurs étrangers.

La coalition de quatre partis que dirige le Premier ministre Frederick Reinfeldt a, au cours des dernières années, resserré les règles en matière d'immigration et cherche à aller encore plus loin. En 2010, elle a créé de nouvelles lois pour n'autoriser un regroupement familial des immigrés que si les membres qui étaient déjà dans le pays avaient emploi et logement. Mais d'après Gunnar Axèn, un membre du Parti Modéré de Reinfeldt qui préside la commission parlementaire sur l'assurance sociale, trop de familles ont encore été capables de remplir ces conditions, puisqu'elle a été appliquée 53 fois sur 15 000 demandes.

Cela faisait suite aux commentaires du ministre de l'immigration Tobias Billsrtöm en février selon qui le taux d'immigration en Suède serait « insoutenable ». Le conservateur Parti Modéré a donné pour tâche à Billström de trouver un moyen de réduire le taux des entrées dans le pays. « Aujourd'hui, les gens viennent dans des logements où le seul revenu vient de ce que donne la mairie. Est-ce raisonnable ? » a-t-il commenté dans Dagens Nyheter.

Le parti d'extrême droite des Démocrates suédois a publié une déclaration accueillant favorablement le « réveil » de Billström sur la question. « Une chose est sûre, les Démocrates Suédois influencent le débat dans la bonne direction », a déclaré ce parti. La coalition au pouvoir n'a pas de majorité parlementaire et s'est appuyée sur les votes de Démocrates suédois pour faire passer la majorité de ses lois depuis les élections de 2010.

On a délibérément fait la promotion du chauvinisme anti-immigré et du ciblage des minorités ethniques pour faire diversion face au creusement des inégalités sociales et à la montée des tensions de classe. Une récente étude de l'OCDE a affirmé que la Suède a vu la hausse la plus rapide de l'inégalité sociale au cours de la décennie passée de tous les états membres.

Le gouvernement a lancé des attaques drastiques contre le système d'assurance sociale et monté une campagne de privatisations depuis son arrivée au pouvoir en 2006. Les indemnités chômage ont été réduites, les contributions salariales augmentées et les conditions pour en bénéficier ont été durcies.

Des milliers de licenciements ont eu lieu dans tous les secteurs de l'économie dans la foulée de la récession de 2008-09 et le chômage a dépassé les 8 pour cent. Le taux de chômage est bien plus élevé dans de nombreuses banlieues des grandes villes, il atteint 23 pour cent dans les zones de Stockholm où les émeutes ont éclaté en mai dernier.

Dans ces conditions, les révélations sur la surveillance par l'état de groupes complets de la population doivent être considérées comme une très sérieuse mise en garde. Les émeutes du début de l'année à Stockholm et l'inégalité sociale croissante sont vues par les cercles dirigeants comme les signes alarmants d'une opposition sociale à venir. Pour combattre ce danger, ils vont employer toutes les moyens de la police et des agences de renseignement pour rassembler des informations sur les opposants politiques et leurs connections immédiates.

Il est raisonnable de penser que ce processus est déjà bien engagé. C'était après tout, la police suédoise et les services de renseignements suédois qui ont joué le rôle principal dans la fabrication des accusations contre le fondateur de WikiLeaks, Julian Assange, dont ils continuent à demander l'extradition pour pouvoir l'envoyer aux États-Unis où il risquerait la peine de mort.

Les services de renseignements suédois sont des partenaires rapprochés de la NSA américaine depuis un bon moment et ont mis en place des mesures antidémocratiques pour permettre la surveillance de toute la population. En 2008, le gouvernement a fait passer une loi controversée sur les écoutes téléphoniques [article en anglais], qui accordait aux renseignements intérieurs le droit d'intercepter toutes les communications électroniques passant les frontières du pays. Par la suite, des documents fournis par WikiLeaks ont confirmé que l'ambassade américaine avait joué un rôle actif dans la rédaction de la loi et que ce droit a été utilisé par la suite pour fournir des informations à la NSA.

Des rapports sortis début septembre ont révélé que l'Institut national de défense radio de la Suède (le FRA) avait fourni à la NSA un accès aux câbles de télécommunications qui passent sous la Baltique. Parmi ces communications, certaines peuvent provenir de Russie.

(Article original paru le 23 octobre 2013)

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