Les pourparlers franco-russes sur la Syrie aboutissent à un conflit au sujet des affirmations sur la guerre chimique

Les responsables russes et français se sont affrontés lors de réunions hier à Moscou tandis que le ministre français des Affaires étrangères, Laurent Fabius, poursuivait la campagne menée par les Etats-Unis pour fabriquer un prétexte en vue d'une guerre contre la Syrie.

Précédant le débat sur une résolution du Conseil de sécurité de l’ONU pour superviser la destruction des armes chimique de la Syrie, Fabius s’est rendu hier à Moscou pour rencontrer hier son homologue russe, Sergeï Lavrov.

Le gouvernement français, l’un des partisans les plus fanatiques d’une guerre d’agression contre la Syrie, son ancienne colonie, a exhorté le Kremlin d'accepter une résolution des Nations unies permettant à Washington et à ses alliés de créer un quelconque prétexte pour partir en guerre contre la Syrie, un allié clé de la Russie. Paris a toutefois essuyé un refus net.

Après la réunion, Fabius a reconnu qu’il y avait des « différences d’approche sur les méthodes » entre Moscou et Paris tout en s’en tenant à la demande de son gouvernement en faveur d’une résolution « forte et contraignante » ayant des « conséquences » pour le régime syrien s’il ne se conforme pas à chaque exigence. Il a aussi réitéré les affirmations selon lesquelles le récent rapport de l’ONU avait montré que le régime syrien avait perpétré l’attaque chimique du 21 août à Ghouta – et ce bien que l’enquête de l’ONU ait été délibérément conçue de manière à ne pas parvenir à une conclusion concernant les responsables de l’attaque.

« Quand on regarde précisément les données, les quantités de gaz toxique utilisées, la complexité des mélanges, la nature et la trajectoire des vecteurs, cela ne laisse aucun doute sur l’origine de l’attaque [le régime syrien du président Bachar al-Assad], » a dit Fabius. Il n’a cependant présenté aucune preuve ni détail précis pour étayer cette affirmation.

En fait, plusieurs rapports et observateurs indépendants ont clairement montré que c’était l’opposition appuyée par les Etats-Unis en Syrie qui avait utilisé le gaz neurotoxique à Ghouta et dont la responsabilité a été imputée à Assad afin de permettre à Washington d’affirmer qu’Assad avait franchi une « ligne rouge » justifiant une attaque. Les services de renseignement saoudiens avaient fourni, peu de temps avant l’attaque, des armes chimiques aux combattants de l’opposition qui se trouvaient près de Ghouta.

Les journalistes Domenico Quirico et Pierre Piccinin, qui étaient détenus en Syrie par des forces d'opposition liées à al Qaïda, ont rapporté que des combattants islamistes parlant entre eux avaient dit que l’opposition avait perpétré l’attaque dans le but de provoquer une intervention américaine à leurs côtés.

Lavrov a dit qu’aucune décision sur une intervention militaire ne pourrait être prise tant que les preuves relevées sur l’attaque à Ghouta n’étaient pas minutieusement examinée. « Nous voulons une évaluation objective et professionnelle des événements du 21 août. Nous avons des raisons sérieuses de croire qu’il s’agissait là d’une provocation… Mais il faudra établir la vérité et ce sera un test pour le futur travail du Conseil de sécurité, » a dit Lavrov.

Il a ajouté que la Russie avait « de sérieuses raisons » de croire que l’attaque était une provocation des forces d’opposition en Syrie qui sont soutenues par les Etats-Unis.

Les responsables russes ont aussi demandé pourquoi aucun combattant de l’opposition syrienne n’était mort à Ghouta, s'ils avaient en effet été ciblés par une attaque chimique commise par le régime.

Relevant les « nombreuses provocations » émanant des forces d’opposition à l’intérieur de la Syrie, Lavrov a dit : « Au cours de ces deux dernières années, elles ont toutes visé à provoquer une intervention étrangère. »

Les responsables russes ne précisent pas les implications de telles déclarations. Cependant, cela indique clairement que Washington et Paris sont impliqués dans un crime aux proportions comparables à celui commis par Hitler : la collaboration avec des groupes terroristes de l’opposition en vue de fabriquer un prétexte pour une guerre d’agression.

Tout en adoptant un ton professionnel en public, les officiels russes ont clairement fait comprendre à huis clos qu’ils considéraient que Paris agissait en tant que partenaire subalterne dans une guerre lancée sous de faux prétextes par les Etats-Unis. Lorsque l’ambassadeur français aux Nations unies, Gérard Araud a dit qu’il rendrait publiques les preuves des services de renseignement français montrant qu'Assad avait perpétré des attaques chimiques au printemps dernier, un diplomate russe aurait ri en disant : « Gérard, ne mettez pas les Américains dans l’embarras. »

Sidérés par la profonde opposition populaire en Amérique et en Europe à une telle guerre en Syrie et face au risque de déclencher une guerre plus vaste avec l’Iran et la Russie, le gouvernement Obama et ses alliés ont différé leurs projets d’attaque immédiate. Des récriminations massives se font actuellement jour au fur et à mesure que des divergences apparaissent dans les capitales de l’OTAN quant à la manière de renforcer la pression sur le régime d'Assad et de démarrer au plus vite une guerre avec la Syrie.

En France, des figures du parti d’opposition l’Union pour un mouvement populaire (UMP) sont en train d’exhorter le président François Hollande du Parti socialiste (PS) à accélérer la course à la guerre tout en critiquant aussi Obama. Ces figures incluent principalement Nicolas Sarkozy, le président sortant qui a été vaincu lors des élections de l’année dernière et qui marque son retour à la vie politique en pleine crise au sein de la direction de l’UMP quant à la manière de gérer la multiplication des liens de l’UMP avec le Front national néofasciste.

En août de l’année dernière et quelques mois après sa défaite, Sarkozy avait publié un communiqué public inhabituel appelant à une intervention internationale en Syrie. Il avait eu aussi un long entretien téléphonique avec le dirigeant du Conseil national syrien, Abdelbasset Sieda, de l'opposition, afin de faire pression sur Hollande pour une action militaire contre la Syrie.

« Je constate malheureusement que j’avais raison, on a perdu du temps, » a dit Sarkozy en faisant référence à son communiqué d’août 2012. Il a fustigé Hollande pour n’avoir pas rallié une coalition pro-guerre plus vaste : « Il n’y a pas de mandat de l’ONU ni de l’OTAN, les Anglais sont aux abonnés absents, les Européens aussi. Il fallait parler davantage aux Russes, tenter de les convaincre. On peut toujours discuter avec Poutine. On y est arrivé par le passé, sur [les guerres en] Géorgie ou [en] Libye. »

Sarkozy a aussi critiqué les « hésitations constantes » du président américain en disant : « Il n’y a pas de leadership dans cette affaire. »

L’ancienne candidate présidentielle PS, Ségolène Royal, une critique et ancienne partenaire de Hollande a mis en garde que la course à la guerre contre la Syrie pourrait déclencher une guerre mondiale et a réclamé une solution diplomatique. Néanmoins, elle a souligné vouloir une diplomatie qui fonctionne comme une « dissuasion », c'est à dire précisément le type de menaces militaires qui ont poussé le monde au bord d’une guerre majeure.

« Oui, on peut déclencher une guerre mondiale, il y a un risque [en cas] d’intervention, mais il y a aussi un risque dans la non-intervention. C’est pour cela que la solution diplomatique est la meilleure. La dissuasion doit donc être suffisamment forte pour que les tyrannies renoncent aux armes chimiques et nucléaires, » a-t-elle dit.

(Article original paru le 18 septembre 2013)

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