Le gouvernement et les médias britanniques demandent des mesures contre le voile islamique

Une décision du Juge Peter Murphy qui a imposé à une femme musulmane d'enlever un voile couvrant tout le visage quand elle témoigne est devenue l'occasion d'une campagne exigeant des mesures supplémentaires pour réduire les droits démocratiques et cherchant plus généralement à renforcer l'hostilité envers les musulmans.

La décision de Murphy a été prise en prévision du procès d'une musulmane, dont le nom ne peut être dévoilé, au tribunal pénal de première instance de Blackfriar. Elle est accusée de subornation de témoin.

La décision du juge était plus nuancée qu'une précédente du même tribunal en mars qui décidait qu'une femme portant un voile intégral (niqab) ne pouvait pas faire partie d'un jury. Murphy a décidé que la femme pourra garder le voile pour toutes les parties de son procès, sauf quand elle est appelée à la barre. Il a affirmé qu'il est essentiel pour le jury de voir le visage de la femme pour qu'ils puissent juger de son comportement et de ses expressions.

L'accusée de 22 ans, connue uniquement sous la lettre D, n'aura pas à témoigner devant un tribunal ouvert au public avec son visage à découvert, et elle pourra témoigner par vidéo ou derrière un écran protecteur pour n'être vue que par le juge, les jurés et son avocat. Aucun dessin d'artiste de l'accusée ne sera autorisé avec son visage à découvert.

Dans sa décision, Murphy affirme qu'il a recherché «l'approche la moins restrictive». D'après la Loi sur les droits de l'Homme de 1998, un accusé a le droit de manifester son appartenance religieuse, a affirmé le juge, tout en ajoutant que «certaines restrictions sur le droit d'un accusé à porter un niqab durant la procédure contre lui devant un tribunal pénal sont nécessaires dans une société démocratique». Il a appelé le Parlement ou une «juridiction plus élevée» à prendre une décision sur la question.

Des représentants des deux partis au gouvernement – Conservateurs et Libéraux-démocrates – se sont emparés de cette décision et de l'appel du juge pour demander des interdictions plus larges contre le voile. Aucun d'entre eux n'a demandé une interdiction totale comme celles qui sont imposées en France ou en Belgique, mais ils sont allés aussi loin qu'ils sentaient possible de le faire dans cette direction.

Le député conservateur Philip Hollobone a accusé le juge de «se plier aux desiderata de quelqu'un qui ne veut clairement pas respecter les règles comme tout le monde».

Le ministre de l'intérieur libéral-démocrate Jeremy Browne a appelé à un débat pour savoir si l'État devait empêcher que les jeunes femmes se voient imposer le port du voile par les hommes de leur famille et s'il faudrait envisager d'interdire aux filles musulmanes de porter le voile dans les lieux publics comme les écoles. Brown a déclaré au Daily Telegraph qu'il devrait y avoir un «débat national» parce que «les gens qui ont des idées libérales auront des idées différentes sur la manière de protéger et de promouvoir la liberté de choix».

Toujours dans le Daily Telegraph, la député conservatrice Sarah Wollaston a déclaré qu'il est temps «d'arrêter de déléguer cela aux institutions individuelles comme si c'était une question mineure de norme vestimentaire et d'établir à la place une ligne de conduite nationale claire» pour éliminer le niqab qui serait «une cape d'invisibilité» et la burqa qui a été qualifiée de «symbole non de libération mas de répression et de ségrégation».

Le porte-parole de David Cameron a déclaré que le Premier ministre n'est pas partisan d'une interdiction du niqab «dans la rue», mais que les employeurs et les diverses institutions ont le droit d'établir leur propre «norme vestimentaire» sous le couvert de la disposition de la Loi sur les droits de l'Homme qui impose de respecter «la protection et la liberté des autres». Downing Street a fait savoir que Cameron soutiendrait les écoles qui voudraient imposer des normes vestimentaires interdisant le voile, en réaction à l'abandon, suite à des protestations, par le Birmingham Metropolitan College de sa propre interdiction du voile couvrant le visage, décidée il y a huit ans.

Un certain nombre de musulmans en vue, et opposés au voile, ont été cités par les politiciens et les médias. L'imam T. Harguey, directeur du Centre d'éducation musulmane d'Oxford, a qualifié le voile couvrant le visage de «pratique préislamique [qui] est non-coranique et non-musulmane», il a dit que sa diffusion était liée à «des musulmans mal informés […] conditionnés à assimiler la culture à la religion et à faire croire à la Grande-Bretagne libérale que c'est là un principe de liberté religieuse et de droits de l'Homme quand ce n'est ni l'un ni l'autre».

Dans l'Independent, Yasmin Alibhai Brown a insisté sur l'idée que les femmes complètement voilées «bloquent l'Islam progressiste» et que ce voile est porté par «des femmes, les mères en particulier, [qui] ont subi un lavage de cerveau par des prosélytes qui veulent diffuser un culte islamique conservateur en Europe et en Amérique. Ils sont bien financés par des sources basées en Arabie saoudite et dans les États du Golfe.»

De tels arguments, qu'ils soient malintentionnés ou pas, passent à côté de l'essentiel. La question en jeu ne porte pas sur la doctrine religieuse, mais sur les libertés démocratiques. Que le Coran exige ou pas de porter le voile, une partie des musulmans croient qu'ils y sont tenus.

De plus, même s'il y avait un véritable problème d'imposition forcée du port du voile, par un conjoint ou un autre membre de la famille, les interdictions de port en public ne seraient pas un moyen de libération. Cela ne ferait que confiner ces femmes encore plus dans la sphère privée.

Et le plus fondamental, le port du voile n'est pas qu'un phénomène culturel, mais politique. Comme pour toutes les manifestations de la montée du fondamentalisme islamiste, c'est en partie une réaction hostile d'une petite partie des musulmans aux crimes commis partout dans le monde par la Grande-Bretagne et les autres puissances impérialistes – en Afghanistan, en Irak et partout dans le monde.

De tels sentiments sont alimentés par les mesures qui sont imposées ici au nom de la «guerre contre le terrorisme». Et, quelle que soit l'intention affichée de ceux qui veulent une interdiction du voile, son usage est encouragé par l'islamophobie ouverte ou à peine dissimulée qui a encore une fois accompagné les dernières «discussions» sur la question déclenchées par des médias vénaux et l'élite politique.

La France a imposé son interdiction du port d'un voile couvrant le visage dans les lieux publics en avril 2011 et la Belgique en juillet de la même année. L'Allemagne a découvert sa propre horreur du voile en 2003, l'année de la guerre d'Irak, en permettant aux gouvernements des landers d'imposer une interdiction pour les enseignants et les autres fonctionnaires. Une dizaine de villes espagnoles ont imposé des interdictions depuis 2010. Parmi ceux qui affirment que le juge n'est pas allé assez loin dans cette affaire, on compte Jack Straw, le ministre des affaires étrangères sous Tony Blair en 2003, un homme directement impliqué dans cette invasion et dans tous les autres actes criminels associés à la «guerre contre le terrorisme».

Personne en dehors des charlatans intellectuels ou politiques n'attribuerait à cette volée de mesures un rôle progressiste de défense des droits des femmes et des valeurs laïques ou d'intégration progressive des minorités. De telles affirmations sont tout aussi clairement fausses que la rhétorique «humanitaire» utilisée pour justifier une intervention militaire aux Balkans, en Afghanistan, en Irak, en Libye, et en Syrie pour mettre la main sur les richesses pétrolières et d'autres objectifs géostratégiques. La campagne contre le voile est une chasse-aux-sorcières à laquelle il faut s'opposer.

(Article original paru le 20 septembre 2013)

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