Canada: International Socialists fait la promotion de la campagne prolibérale, «anti-Harper», des syndicats

Le groupe de la pseudo-gauche International Socialists (IS) est en train de se ranger derrière la campagne pour «stopper» les conservateurs à la tête du gouvernement canadien en votant pour un gouvernement «progressiste» – c'est-à-dire, un gouvernement libéral, ou un gouvernement de coalition des libéraux et du Nouveau Parti démocratique (NPD).

En agissant ainsi, IS, les co-penseurs canadiens de l'International Socialist Organization (ISO) des États-Unis et du Socialist Workers Party britannique, se révèle encore une fois comme n'étant guère plus qu'un prolongement de la bureaucratie syndicale. De ce fait, ils sont complices dans la répression systématique de l'opposition de la classe ouvrière à l'assaut du patronat sur les emplois, les salaires et les services publics.

Les syndicats ont lancé leur campagne pour remplacer le premier ministre Stephen Harper et ses conservateurs lors des élections fédérales de 2015 au Forum social des peuples à Ottawa. Cet événement, parrainé par les syndicats, le Conseil des Canadiens nationaliste et de nombreux autres groupes qui se disent de gauche, a été célébré avec enthousiasme par IS. Le forum s'est conclut avec l'adoption d'une déclaration officielle promettant «une campagne combative contre les conservateurs» en 2015.

Dans les mois qui se sont écoulés depuis, les syndicats ont commencé à préparer leurs centres de crise électoraux. D'après le président de la Fédération du travail de l'Ontario (OFL), Sid Ryan, la fédération syndicale nationale du pays, le Congrès du travail du Canada (CTC), «devra prendre l'initiative dans la campagne». Le syndicat industriel le plus important au Canada, Unifor, a pour sa part juré qu'une défaite électorale des conservateurs serait son but principal pour 2015. Démontrant l'enthousiasme d'Unifor à s'allier aux libéraux – qui lors de leur dernier mandat ont imposé les plus importantes mesures d'austérité dans l'histoire du Canada, ont entraîné le pays dans deux guerres puis initié une campagne massive de réarmement – le président d'Unifor, Jerry Dias, a déclaré, «Si mon choix se réduit à Stephen Harper ou (le chef libéral) Justin Trudeau, alors il est facile à faire.»

La campagne des syndicats pour vaincre Harper aux élections de 2015 est calquée sur la campagne «victorieuse» pour empêcher l'arrivée au pouvoir d'un gouvernement progressiste-conservateur en Ontario.

Sous le prétexte d'empêcher la formation d'un gouvernement Hudak, les syndicats et leurs alliés du NPD ont appuyé un gouvernement libéral minoritaire pendant plus de deux ans et demi alors qu'il imposait des coupes budgétaires massives, des coupes dans les salaires d'un million de travailleurs du secteur public, et criminalisait les mesures de revendication des enseignants.

Ensuite, ce printemps, l'OFL et la Working Families Coalition, un groupe lobbyiste parrainé par les syndicats, a tout misé dans une campagne pour un vote «intelligent» ou «stratégique» anti-conservateur aux élections provinciales du 12 juin, aidant ainsi Kathleen Wynne et ses libéraux de la grande entreprise à être réélus, cette fois avec une majorité parlementaire.

Tout comme les syndicats, IS a célébré la défaite électorale de Hudak, parlant d'une «victoire cruciale» pour les travailleurs. «La vraie nouvelle de l'élection 2014 (Ontario) est la défaite décisive de Tim Hudak et son programme de ligne dure d'attaques contre les travailleurs, les syndicats, et les services publics», s'est réjoui Pam Johnson dans l'analyse postélectorale publiée par IS dans son Socialist Worker mensuel. Elle a ensuite félicité les syndicats pour avoir «porté un message clair et unifié anti-Hudak». «L'ampleur du mouvement de solidarité... a été la clé pour la défaite de Hudak.»

Ces déclarations font écho presque mot pour mot aux déclarations triomphalistes des représentants syndicaux. Par exemple, Ryan de l'OFL, dans un article web de Rabble qu'il a intitulé «Cette campagne travailliste a stoppé Hudak. Stephen Harper est le prochain» a déclaré que l'unité «sans précédent» des syndicats a été l'un «des éléments les plus importants» de l'élection.

Ce que toutes ces déclarations obscurcissent intentionnellement, c'est que les syndicats ont travaillé et travaillent présentement main dans la main avec le gouvernement libéral dédié, autant que Hudak et ses conservateurs, à faire payer la classe ouvrière pour la pire crise du capitalisme mondial depuis la grande dépression.

Si on peut parler de «véritable sens» des élections 2014 en Ontario, ce fut la marginalisation et la répression des travailleurs. Tout l'establishment – des conservateurs au NPD social-démocrate, les syndicats et les groupes de pseudo-gauche comme IS – a soutenu que les travailleurs devaient choisir entre deux programmes rivaux de droite proaustérité. Pendant que Hudak promettait d'éliminer 100.000 emplois gouvernementaux et les libéraux faisaient campagne sur la base de leur bilan anti-ouvrier de coupes budgétaires, privatisations, et réductions massives d'impôts pour la grande entreprise, le NPD s'est présenté comme le meilleur parti capable d'éliminer le «gaspillage» gouvernemental et équilibrer le budget. En effet, dans les semaines avant l'élection, la chef du NPD de l'Ontario, Andrea Horwath, avait rencontré en privé les plus importants cadres d'entreprise de la province pour leur assurer que le NPD visait la même cible que les libéraux, qui consiste à éliminer le déficit de 12 milliards de dollars du déficit annuel de l'Ontario pour 2017, et les assurer de la volonté du parti de «confronter» les travailleurs du secteur public pour l'atteindre.

Pendant même que les syndicats et IS célébraient fin juin le fameux «succès» de la campagne «anti-Hudak», les travailleurs et les jeunes confrontaient un assaut d'austérité intensifié quand les libéraux firent adopter un budget condamnant l'Ontario à trois ans d'augmentation rapide de coupes dans les dépenses: des coupes qui vont réduire les dépenses par habitant de plus de 15 pour cent en 2018.

Tout comme l'OFL, le CLC et Unifor, IS continue de promouvoir la campagne anti-Hudak comme un modèle à reproduire. Un article intitulé «Évaluer la lutte travailliste contre l'austérité» publié par Socialist Worker à la journée du Travail, se plaint des nombreux reculs syndicaux, mais déclare ensuite dans le paragraphe final, «2014 a démontré qu'il était possible de se mobiliser, comme l'a démontré la campagne anti-Hudak de l'OFL, contre l'austérité et les conservateurs.»

Membre d’IS, Evan Johnston, dans un article publié en octobre intitulé «SCFP Ontario se prépare à confronter Kathleen Wynne» qui cherche a promouvoir des illusions en la volonté du syndicat du secteur public le plus important au Canada à lutter contre un gouvernement qu'il vient tout juste d'aider à prendre le pouvoir, félicite les syndicats de l'Ontario pour les «quelques mois impressionnants de mobilisation» qu'ils ont organisés dans la période précédant les élections provinciales.

Dans leur premier article paru après les élections, mais pas dans celui qui allait suivre, IS a concédé qu'il y avait un malheureux désavantage à la campagne syndicale anti-Hudak.

Après avoir complimenté la campagne anti-Hudak déclarant que «l'efficacité et la solidarité à travers le mouvement ouvrier ont été remarquées par les médias et les conservateurs vaincus», Socialist Worker déclare, «le désavantage était l'appui au “vote stratégique” pour les libéraux afin d'assurer la défaite de Hudak. Hélas, Horwath (chef du NDP de l'Ontario)… ne s'identifiait pas à la colère contre l'austérité.»

Ceci n'est rien de plus qu'une tentative évidente de camoufler leur rôle et celui des syndicats pour avoir confiné l'orientation politique des travailleurs à un brutal gouvernement libéral de droite.

La campagne anti-Hudak des syndicats et leur appui pour les libéraux étaient indissociables dès le début. Ils étaient deux expressions d'une même politique – une politique de droite que la bureaucratie syndicale du Canada, comme celles de partout dans le monde, mène depuis les trois dernières décennies en réponse à l'effondrement du boom d'après-guerre et la mondialisation, des transformations qui ont coupé l'herbe sous le pied de leur orientation nationale et réformiste. Cette politique consiste à chercher à préserver les privilèges des bureaucrates syndicaux en intégrant les syndicats de plus en plus ouvertement à la gestion d'entreprise et en collaborant de plus en plus directement dans l'assaut capitaliste sur la classe ouvrière.

Depuis la fin des années 1990, c'est-à-dire, depuis que les syndicats de l'Ontario ont étouffé le mouvement de masse qui a émergé contre «la révolution du bon sens» à la Reagan des conservateurs de Mike Harris, parce qu'ils craignaient qu'il échappe à leur contrôle et devienne un réel défi de masse à la domination de la grande entreprise, les syndicats de l'Ontario ont ou bien été alliés implicites des libéraux, ou bien, comme ce fut le cas du syndicat des Travailleurs canadiens de l'automobile (maintenant Unifor) et les autres membres de la Working Families' Coalition, des alliés explicites.

Après que les libéraux, revenus au pouvoir en 2003, ont perdu leur majorité parlementaire dans l'élection d'octobre 2011, le NPD, répondant à la pression des syndicats, est entré dans une coalition de facto avec les libéraux, assurant l'adoption de leurs budgets d'austérité en 2012 et 2013.

Tout ceci fut justifié sous le prétexte d'empêcher la «droite», c'est-à-dire les conservateurs, de reprendre le pouvoir.

Les syndicats ont décidé de lancer leur campagne anti-Hudak «pour les droits des travailleurs» en réaction à l'annonce en 2013 qu'un gouvernement progressiste-conservateur mettrait en place des lois de «droit au travail» comme aux États-Unis pour empêcher l'organisation syndicale, faciliter l'assaut sur les syndicats et abolir la retenue automatique des cotisations syndicales (formule Rand).

Les droits fondamentaux des travailleurs étaient certainement menacés par la proposition du «droit au travail» de Hudak. Mais les syndicats ne s'y sont jamais opposés du point de vue de la défense du droit des travailleurs de lutter pour leurs intérêts contre les employeurs et développer une contre-offensive ouvrière contre le patronat et ses représentants politiques.

L'opposition des syndicats était motivée par les inquiétudes de la bureaucratie concernant la menace que les projets de Hudak, en particulier l'élimination de la retenue automatique des cotisations syndicales, représentaient pour ses revenus et ses privilèges corporatistes.

Ils ont réagi en tentant de convaincre encore plus la classe dirigeante que les syndicats et le système de négociations collectives conçu et régulé par l'État jouent un rôle clé en tant que force de l’ordre pour contenir le mécontentement des travailleurs.

Ceci s'est exprimé concrètement dans le partenariat étroit entre les syndicats et les libéraux, sous McGuinty et plus tard Wynne, dans la mise en oeuvre de leur mesures d'austérité. Les syndicats ont imposé le gel des salaires de deux ans des libéraux, isolé les enseignants quand ils se sont insurgés et les ont ensuite forcés à se soumettre aux lois antigrève des libéraux. Tout cela pendant qu'ils cherchaient à intimider des travailleurs militants qui s'opposaient à ce qu’ils étouffent la lutte des classes en invoquant le danger d'un gouvernement conservateur encore plus ouvertement à droite.

En fin de compte, Hudak a abandonné son projet de loi de «droit au travail» parce que, comme il l'expliqua franchement, de larges sections de la grande entreprise l'ont poussé à agir ainsi. Nombreux sont ceux parmi les employeurs les plus importants de l'Ontario, incluant ceux de l'industrie automobile, qui s'opposaient à l'assaut de Hudak contre les syndicats parce que, tout comme Wynne, ils les considèrent des partenaires très utiles pour imposer des ententes à rabais et des suppressions d'emplois.

Promue par IS comme une mobilisation vigoureuse digne d'imitation, la campagne anti-Hudak était une mascarade politique. À travers elle, la bureaucratie syndicale a manoeuvré pour défendre ses intérêts aux dépens de la classe ouvrière et par-dessus tout a supprimé la lutte des classes, permettant ainsi à la classe dirigeante de mettre en vigueur son programme d'austérité.

En ce qui concerne la promotion par IS du NPD comme une «alternative politique ouvrière» aux libéraux, elle ne revient à rien de plus qu'une différence tactique mineure avec l'aile dominante de la bureaucratie syndicale.

Tout comme les syndicats, le NPD s'est débarrassé il y a longtemps de son piteux programme réformiste et, conformément à l'évolution des partis sociaux-démocrates dans le monde entier, il a agi en tant qu'instrument flexible de la grande entreprise, défendant l'austérité capitaliste et appuyant une politique étrangère canadienne de plus en plus agressive.

Fin 2008, le NPD fédéral a conclu une entente avec les libéraux pour remplacer les conserv0ateurs de Harper avec un gouvernement de coalition mené par les libéraux, dédié à la responsabilité fiscale et prêt à imposer un plan libéral-conservateur de réduction d'impôts de 50 milliards de dollars et faire la guerre en Afghanistan. IS s'est d'abord joint aux syndicats pour annoncer la bienvenue de l'entente de coalition, qui a avorté au final, affirmant qu'une telle coalition serait plus sensible aux pressions de la base.

IS travaille étroitement avec les bureaucrates syndicaux, qui eux sont alignés politiquement et liés au NPD et à des politiciens libéraux, procurant des phrases gauchistes pour obscurcir le rôle que jouent leurs alliés et ex-alliés dans la suppression de la résistance des travailleurs et dans l'imposition des diktats de la grande entreprise.

Peu après l'élection en Ontario, IS a accueilli Judy Rebick, la fondatrice de Rabble et une personnalité médiatique connue, pour participer à une discussion sur le «NPD et la social-démocratie en crise» à sa conférence «Marxisme 2014». Seulement deux semaines plus tôt, Rebick s'était jointe aux 33 sociaux-démocrates de longue date dans une lettre ouverte qui faisait écho aux attaques viscérales que beaucoup de dirigeants syndicaux avaient lancées contre le NPD pour avoir mis en danger son alliance avec le gouvernement libéral en forçant la tenue d'élections.

Aux acclamations et applaudissements de l'audience IS, elle a déclaré, «En fait, je pense que Katheen Wynne (la première femme ouvertement homosexuelle à être première ministre au Canada) est progressiste sur beaucoup de questions, surtout les questions féministes et LGBT.» Rebick a ensuite expliqué qu'elle est allée aux urnes «dans l'intention de voter pour un libéral dans ma circonscription», mais à la dernière minute a décidé de voter pour les Verts, un autre parti ouvertement procapitaliste.

Cet incident fait la lumière sur la couche privilégiée de classe moyenne des bureaucrates syndicaux et ceux à en devenir, universitaires et d'autres professionnels aisés, et d'activistes pour la politique identitaire dont sont composés les membres d’IS et dont IS articule les intérêts.

Fortement opposés à la mobilisation de la classe ouvrière indépendante contre le capitalisme en crise, ils sont plus qu’heureux de célébrer la campagne prolibérale anti-Hudak des syndicats et de donner une couverture politique aux efforts pour détourner l'opposition de masse contre Harper et ses conservateurs derrière un gouvernement libéral ou libéral-NPD, c'est-à-dire, un gouvernement de droite et de la grande entreprise qui va continuer à intensifier l'offensive contre la classe ouvrière.

Un parti révolutionnaire des travailleurs, une section canadienne du Comité international de la Quatrième Internationale, pourra uniquement être construit à travers une lutte politique constante pour exposer la politique faussement de gauche d’IS et des groupes similaires.

(Article paru d’abord en anglais le 13 décembre 2014)

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