L’inégalité sociale au Canada est bien plus élevée que ce que montrent les statistiques officielles

Les médias de la grande entreprise ont utilisé un récent rapport de Statistique Canada montrant une légère diminution de la part des revenus allant au un pour cent des salariés les plus riches en 2012 pour affirmer que les inégalités étaient en baisse au Canada. Toutefois, des études plus étayées montrent que les inégalités sociales continuent de croître rapidement, atteignant des niveaux encore jamais atteints depuis les années 1920.

Selon Statistique Canada, le un pour cent au sommet de l’échelle des revenus a recueilli 10,3 pour cent de tous les revenus en 2012, soit une baisse comparativement au 10,6 pour cent un an plus tôt, et «bien en dessous du sommet historique de 12,1 atteint en 2006».

De grands journaux comme le Globe and Mail ont utilisé ces chiffres pour encourager le mensonge que le capitalisme canadien est plus équitable et plus «humain» que celui pratiqué aux États-Unis, où la part des revenus du un pour cent a augmenté de 18 pour cent en 2006 à 19,3 pour cent en 2012, et que les différences entre eux s’accentuent.

Mais même ces fervents défenseurs de la grande entreprise n’ont pu nier le fait reconnu qu’au Canada, autant qu’aux États-Unis, l’inégalité des revenus a énormément augmenté au cours des trois dernières décennies.

Les 10,3 pour cent de tous les revenus recueillis par le un pour cent le plus riche en 2012 est bien au-delà du 7,1 pour cent qu’ils recueillaient en 1982, l’année où Statistique Canada a commencé à comptabiliser ces données.

Une étude récemment publiée par Michael Wolfson, Michael Veall et Neil Brooks des universités de York et d’Ottawa démontre toutefois que les chiffres de Statistique Canada sont superficiels et incomplets.

«Lever le voile - Les sociétés privées et le revenu des privilégiés» (Piercing the Veil–Private Corporations and the Income of the Affluent) détaille comment des milliards de dollars n’ont pas été comptabilisés dans le revenu des très riches salariés canadiens parce que ces vastes sommes sont «détournées à travers des sociétés privées dans le but de légalement réduire leurs impôts». Comme le souligne l’étude, lorsque ce revenu – qui atteignait un montant astronomique de 48 milliards de dollars en 2010 – est ajouté aux revenus personnels déclarés, «les plus riches Canadiens sont considérablement plus riches que ce que l’on croit».

Par exemple, le revenu moyen des Canadiens faisant partie du un pour cent est de 359.900 dollars, mais lorsque le revenu additionnel est pris en compte, le revenu moyen atteint 500.200 dollars. «Plus nous montons dans l’échelle des revenus, plus l’utilisation de sociétés privées est fréquente et, conséquemment, les plus riches sont en fait encore plus riches», explique l’étude.

Les chiffres sont encore plus frappants au niveau du 0,01 pour cent des Canadiens. L’étude montre que 85 pour cent de ceux-ci détournent des revenus à travers des sociétés privées, et qu’une fois ces revenus ajoutés au calcul, le revenu moyen double presque: il passe de 4,69 millions de dollars à 8 millions de dollars par année.

Au total, la part du revenu national canadien allant au un pour cent est en fait 13,3 pour cent – non pas 10,3 pour cent – lorsque le revenu des sociétés privées est inclus.

Ces revenus concordent avec un rapport de l’OCDE publié plus tôt cette année qui conclut que les salariés (avant impôts) canadiens faisant partie du un pour cent ont recueilli 37 pour cent de la hausse des revenus de tous les Canadiens entre 1981 et 2012. Selon l’OCDE, parmi 18 pays étudiés, les salariés canadiens les plus riches ont connu la deuxième plus forte croissance de leurs revenus, après les États-Unis.

Bien que ces résultats soient significatifs, il est reconnu que la répartition des revenus ne trace pas un portrait complet des inégalités. Lorsqu’une mesure qui englobe la richesse accumulée est utilisée, y compris les actifs comme l’immobilier, les placements et les obligations, le Canada est encore plus polarisé.

Se basant sur une enquête de Statistique Canada sur la sécurité financière, l’Institut Broadbent, un groupe de réflexion établi à Ottawa, conclut que de 2005 à 2012, la valeur nette médiane du 10 pour cent des ménages les plus riches au Canada a augmenté de 42 pour cent, atteignant 2,1 millions de dollars, alors que le 10 pour cent des ménages les plus pauvres ont vu leur valeur nette médiane diminuer de 150 pour cent. Aujourd’hui, les 50 pour cent les moins nantis de la population ne possèdent que 6 pour cent de la richesse du pays, et les 30 pour cent les moins riches ne possèdent que 1 pour cent.

Résumant les conclusions du rapport, le directeur de l’Institut Broadbent, Rick Smith, a affirmé: «Contrairement aux rapports très reluisants sur la valeur nette et la reprise économique après récession, ces nouveaux chiffres sonnent l’alarme au niveau de l’inégalité des richesses au Canada.»

Un autre rapport, publié en avril dernier par l’économiste principal du Centre canadien de politiques alternatives (CCPA) David Macdonald, offre un portrait plus complet de l’ampleur de la division des richesses au Canada. Il a trouvé que les 86 individus les plus riches au Canada, soit seulement 0,002 pour cent de la population, possédaient, en 2012, autant de richesse combinée que les 11,4 millions canadiens les moins nantis, ou 34 pour cent de la population. Ces super-riches sont «tellement riches qu’ils pourraient acheter absolument tout ce que possède chaque personne [dans la province du] Nouveau-Brunswick», a expliqué Macdonald.

Les riches et les grandes sociétés ont non seulement monopolisé les gains en revenu, ils ont bénéficié d’importantes réductions d’impôts au cours des dernières années et décennies. En 1943, par exemple, le 0,1 pour cent des Canadiens les plus riches payaient un taux d’imposition moyen (c’est-à-dire lorsque tous les impôts – revenus, propriété, gains en capital et gains des sociétés – sont combinés) d’environ 71 pour cent. En 2000, ce taux a chuté à 33 pour cent, et selon de récentes études, les super-riches paient maintenant un pourcentage d’impôt sur le revenu inférieur à ce que paient les contribuables les plus pauvres.

L’enrichissement d’une couche extrêmement mince de la société aux dépens de la classe ouvrière est le résultat de politiques conscientes menées à tous les niveaux de gouvernement et par tous les partis, quels qu’ils soient. Depuis la crise économique de 2008, la classe dirigeante canadienne, comme ses homologues à travers le monde, a restructuré les relations de classes dans le but de transférer davantage de richesse du bas vers le haut. Le gouvernement fédéral a entamé ce processus avec un renflouement des banques de plus de 100 milliards de dollars par l’achat d’hypothèques détenues par les grandes banques.

Alors qu’ils ont offert d’importantes réductions d’impôts à la grande entreprise, les gouvernements conservateurs, libéraux, néo-démocrates et péquistes ont tous mis la hache dans les services publics et imposé des coupures brutales dans les emplois, les salaires et les conditions de travail, affirmant qu’«il n’y a pas d’argent».

Malgré la forte hausse du chômage à long terme et du travail à temps partiel, le gouvernement fédéral conservateur a imposé une réforme draconienne du programme d’assurance-emploi, qui a réduit les prestations d’AE et force les travailleurs à accepter des emplois à bas salaires.

Selon un rapport de Banques alimentaires Canada, au mois de mars 2014, plus de 840.000 personnes ont reçu l’aide de banques alimentaires, une hausse de 25 pour cent depuis 2008.

Bien qu’elles fournissent des informations importantes sur les inégalités sociales, les diverses études mentionnées ci-dessus sont toutes menées par des individus ou des organisations provenant des classes moyennes et du milieu académique qui croient qu’il est possible de s’attaquer aux inégalités sociales par de timides réformes, notamment par l’augmentation des dépenses sociales et une hausse d’impôts sur les super-riches. Les professeurs universitaires introduisent d’ailleurs leur étude avec une citation de Thomas Piketty: «En fin de compte, il faut davantage de transparence quant aux revenus et à la richesse».

Elles sont incapables d’expliquer pourquoi les élites dirigeantes à travers le monde ont abandonné de telles politiques il y a de cela trois décennies et depuis mènent un assaut toujours croissant sur la position sociale de la classe ouvrière.

En fait, l’accumulation obscène de richesse dans les plus hauts échelons de la société est le résultat de la crise du système capitaliste. Les grandes sociétés et les institutions financières qui ont la mainmise sur l’ensemble de la vie socio-économique doivent être nationalisées et dirigées démocratiquement sur une base socialiste, dans le but de satisfaire les besoins sociaux et non d’enrichir une minorité. Telle est la tâche de la classe ouvrière.

(Article paru d’abord en anglais le 8 décembre 2014)

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