Le Canada s'apprête à élargir son rôle dans la guerre au Moyen-Orient

Les médias ont récemment confirmé que le gouvernement conservateur du Canada se prépare à élargir de façon significative le rôle des Forces armées canadiennes (FAC) dans la nouvelle guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient.

Selon un rapport de la CBC, le gouvernement du premier ministre Stephen Harper «travaille avec fébrilité à préparer les avions de combat canadiens pour frapper des objectifs à l'intérieur de la Syrie».

Apparemment, l'une des raisons de cette hâte est le manque d'«objectifs» en Irak. Dans un article publié jeudi, le National Post droitiste se plaint que la demi-douzaine d'avions de combat canadiens CF-18 déployés au Moyen-Orient par Ottawa «sont la plupart du temps sur le tarmac».

Lorsque le Parlement a voté au début d'octobre pour approuver la participation du Canada à la coalition menant la guerre des États-Unis contre l'État islamique, la motion du gouvernement limitait l'intervention des FAC en Irak tant et aussi longtemps que le gouvernement syrien ne demandait pas expressément à la coalition de frapper des objectifs en Syrie.

Le gouvernement Harper tente maintenant de créer – ou plutôt en réalité de fabriquer – une justification «juridique» pour étendre la campagne des FAC à la Syrie, ce qui, en l'absence de l'approbation du gouvernement syrien, serait une violation flagrante du droit canadien, pour ne rien dire du droit international.

Contrairement aux États-Unis, qui se sont depuis longtemps arrogé le «droit» de violer la souveraineté des États et de monter des interventions militaires à l'étranger à volonté, la loi canadienne interdit toujours toute intervention militaire canadienne dans un État souverain à moins que le gouvernement de cet État n'ait demandé assistance ou que l'action ait été sanctionnée par le Conseil de sécurité des Nations Unies dominé par les puissances impérialistes.

S'adressant à la CBC, le ministre de la Justice Peter MacKay a confirmé que le gouvernement discutait de l'élargissement du mandat des FAC pour englober la Syrie et que les avocats de son ministère travaillaient à éliminer les obstacles juridiques à une telle démarche. «Nous menons des opérations contre un ennemi qui ne respecte pas les frontières», a ajouté MacKay.

Le gouvernement et les médias canadiens parlent d'actions possibles des FAC en Syrie entièrement du point de vue d'attaquer les positions et les infrastructures de l'État islamique. Mais une telle expansion du rôle des FAC dans la guerre au Moyen-Orient constituerait également une première étape juridique, politique et militaire pour combattre contre la Syrie.

Et pas seulement parce que l'armée syrienne pourrait chercher à arrêter les États-Unis et ses alliés violant la souveraineté de la Syrie.

Dès le départ, la nouvelle guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient a été dirigée contre le gouvernement syrien de Bachar Al-Assad, un proche allié de l'Iran et de la Russie.

Depuis 2011, les États-Unis et leurs alliés, dont le Canada, ont cherché à renverser le gouvernement de la Syrie. À cette fin, Washington et ses clients régionaux tels la Turquie, l'Arabie saoudite et le Qatar, ont financé et armé l'insurrection anti-Assad dirigée par les islamistes. L'émergence de l'État islamique comme une force majeure en Syrie et en Irak est en fait le résultat direct de la guerre américaine par procuration pour un «changement de régime» en Syrie.

L'administration Obama et le gouvernement Harper ont claironné les atrocités commises par l'État islamique afin de surmonter l'opposition populaire en Amérique du Nord face à une nouvelle guerre américaine au Moyen-Orient. Mais en décrivant les objectifs de cette guerre au début de septembre, Obama a réaffirmé la détermination de Washington d'expulser Assad du pouvoir. Pour leur part, la Turquie, l'Arabie saoudite et les autres alliés régionaux dans la coalition militaire des États-Unis ne cachent pas que le but premier de la guerre est un changement de régime en Syrie.

Les discussions du gouvernement canadien à propos d'élargir la mission des FAC pour inclure des frappes aériennes en Syrie surviennent alors que les États-Unis étendent leurs propres opérations militaires. Dès la fin des élections au Congrès, le Pentagone a annoncé que Barack Obama approuvait l'envoi de 1500 soldats américains de plus en Irak, doublant ainsi le nombre de troupes déployées par les États-Unis dans ce pays.

Même avant cette escalade, les médias corporatistes au Canada regorgeaient de commentaires sur la nécessité pour le gouvernement Harper de proroger au-delà de six mois le déploiement en cours au Moyen-Orient.

Les hauts gradés des FAC ont également signalé à plusieurs reprises leur soutien à un élargissement de la mission militaire du Canada. Ainsi, le week-end dernier, le général Tom Lawson, chef des FAC, déclarait : «Nous sommes absolument prêts à répondre aux besoins du gouvernement s'il décide d'engager des troupes et des aéronefs canadiens sur une période plus longue.»

Cette allusion à des troupes par Lawson est particulièrement importante puisque Harper a tenté de dissiper les inquiétudes à propos du fait que le Canada puisse être aspiré dans une guerre néocoloniale prolongée en promettant qu'il n'y aurait «pas de soldats sur le terrain» en Irak. En réalité, le gouvernement a déjà autorisé le déploiement de 70 soldats des forces spéciales dans le nord de l'Irak pour conseiller et entrainer les miliciens kurdes peshmergas.

Dans les entrevues avec les médias et en comparution devant le Comité de la défense de la Chambre des communes la semaine dernière, le ministre de la Défense Rob Nicholson a refusé de commenter si la mission des FAC au Moyen-Orient sera étendue. Mais son collègue, le ministre de la Sécurité publique Stephen Blainey, a salué la nouvelle qu'un petit nombre d'anciens militaires des FAC se préparaient à rejoindre les combattants peshmergas. Réagissant à un reportage de la CBC annonçant qu'au moins six anciens combattants canadiens de la guerre en Afghanistan sont ou seront bientôt en Irak pour soutenir les peshmergas, Blainey a proclamé que le gouvernement conservateur «ne s'opposera pas à un citoyen prêt à combattre pour la liberté et aider les victimes de crimes barbares».

La volonté du gouvernement de soutenir les anciens combattants lorsqu'ils sont prêts à risquer leur vie pour défendre les intérêts de l'impérialisme canadien ne s'étend toutefois pas à leur offrir un soutien de base quand ils rentrent chez eux. Cette semaine, le vérificateur général fédéral a publié un rapport abondant dans le sens des plaintes de longue date des anciens combattants et de leurs organisations selon lesquelles le gouvernement n'offre pas aux anciens combattants de la guerre en Afghanistan l'assistance médicale, financière et sociale dont ils ont besoin.

«Dans l'ensemble, nous avons constaté qu'Anciens Combattants Canada n'avait pas adéquatement facilité l'accès en temps opportun aux services de santé mentale», signale le vérificateur général dans son rapport. Au cours des huit dernières années, alors que le gouvernement ignorait les anciens combattants demandant de l'aide, le ministère des Affaires des anciens combattants a remis au Trésor fédéral plus de 1,1 milliard de dollars en fonds non dépensés.

Le nombre de membres des FAC qui se sont suicidés au cours de la dernière décennie est maintenant de 160. Ce chiffre est supérieur à celui des soldats tués en Afghanistan entre 2001 et 2011, qui sont au nombre de 158.

Le gouvernement Harper et l'élite dirigeante canadienne se préparent activement à de nouvelles agressions et guerres, et pas seulement au Moyen-Orient.

La lumière sur le type de discussions actuellement en cours dans les milieux de la classe dirigeante a été faite grâce aux remarques prononcées au Halifax International Security Forum (HISF) la semaine dernière, une conférence sur la politique de sécurité et de défense financée par le gouvernement canadien et fortement soutenue par l'establishment américain, y compris des personnalités comme le sénateur américain républicain John McCain.

En présence de nombreuses personnalités politiques et militaires d'Europe et d'Amérique du Nord, y compris quatre ministres du cabinet conservateur, l'organisateur du HISF Peter van Praagh a déclaré que les puissances impérialistes occidentales étaient engagées dans une lutte pour la «modernité» contre l'État islamique, la Russie et la Chine.

«À leurs façons, même si différentes, a déclaré van Praagh, la Chine montante, la Russie renaissante et l'extrémisme islamiste dans toutes ses manifestations, sont l'antithèse du monde libre et sécurisé pour lequel nous nous battons, nous tous dans cette salle et au-delà.»

Ancien haut fonctionnaire de la National Endowment for Democracy, Van Praagh a poursuivi en incitant à mener une poussée agressive sur plusieurs fronts contre la Chine et la Russie afin de consolider l'hégémonie nord-américaine sur le monde – une politique dont la logique mène à la guerre nucléaire. Il a approuvé spécifiquement les plans de l'administration Obama pour isoler économiquement et stratégiquement la Russie et la Chine. «La signature du Partenariat Trans-Pacifique, laissant de côté la Chine, et le Partenariat transatlantique de commerce et d'investissement (États-Unis-Europe), laissant de côté la Russie, a déclaré Praagh, sont de grands pas dans la bonne direction pour arriver à cette fin.»

Le gouvernement Harper participe activement aux mouvements belligérants des États-Unis contre la Russie et la Chine. Son alignement sur le «Pivot vers l'Asie» des États-Unis a vu Ottawa signer un accord militaire secret avec Washington sur les opérations dans la région Asie-Pacifique, et des plans sont préparés pour établir des bases avancées des FAC à Singapour et en Corée du Sud.

Harper a été l'un des partisans les plus en vue du gouvernement ukrainien pro-occidental installé par un coup d'État fasciste en février dernier. Le Canada participe aussi aux provocations de l'OTAN contre la Russie en Europe de l'Est et en mer Baltique, envoyant des chasseurs CF-18 patrouiller jusqu'aux abords des frontières de la Russie.

(Article paru d'abord en anglais le 29 novembre 2014)

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