Perspectives

La coterie de va-t-en guerre à Washington

Avec une série de frappes aériennes vendredi et toute la fin de semaine, les États-Unis sont partis une foi de plus en guerre en Irak. Cette nouvelle aventure militaire impérialiste est lancée au mépris d’une vaste opposition populaire et sans la moindre autorisation légale ou constitutionnelle.

La décision de lancer une nouvelle guerre a été prise par une poignée de stratèges de la politique impérialiste américaine au sein de l’appareil militaire et de renseignement, de concert avec l’élite patronale et financière. Elle a été prise dans le dos des Américains, qui n’ont absolument aucun mot à dire sur les politiques, y compris le fait de partir en guerre, qui ont un effet sur leurs vies.

L’annonce par le président Obama jeudi soir qu’il autorise le lancement de frappes aériennes et d’autres actions contre l’État islamique d’Irak et du Levant (EIIL), est intervenue tout juste un jour après qu’Anthony Cordesman du Center for Strategic and International Studies a publié une analyse qui prônait une escalade de l’opération militaire américaine en Irak. Cordesman et son think tank basé à Washington DC jouent un rôle de premier plan dans le réseau des stratèges des services de renseignement et de l’armée qui déterminent la politique étrangère américaine.

Cordesman et les gens comme lui sont impliqués dans une conspiration permanente contre les souhaits et les intérêts de la grande masse du peuple américain, conspiration où le président ne sert que d’exécutant, de façade publique. Leurs décisions de lancer des guerres et de faire tomber les gouvernements étrangers pris pour cibles sont dument approuvées par les dirigeants des deux grands partis de la grande entreprise au Congrès. Les médias contrôlés par de grands groupes se voient assigner la tâche de répandre la propagande et la désinformation en faveur du militarisme et de la guerre.

Les sondages d’opinion montrent que 71 pour cent de la population américaine considère la guerre d’Irak en 2003-2011 avec hostilité. Mais ce que la grande majorité des Américains pense et ressent n’a aucun poids sur les politiques et les décisions des principaux acteurs à Washington.

Il n’y a même plus la formalité d’une audience publique, d’un débat ou d’un vote au Congrès. Aucune explication n’est donnée sur comment et pourquoi un pays qui n’avait aucune présence d’Al Qaïda sur son sol avant l’invasion de 2003, censée être menée pour lutter contre le terrorisme de cette organisation, se retrouve largement sous le contrôle d’une émanation d’Al Qaïda. Il n’y a aucune explication pour le terrible gâchis de vies irakiennes, avec plus d’un million de morts, et de vies américaines, avec des dizaines de milliers de morts et de blessés, ni pour le gâchis de centaines de milliards de dollars pour financer ce massacre.

Les politiciens et les médias sont silencieux sur le rôle de la CIA dans le développement et l’aide à l’EIIL et à d’autres forces du même genre liées à Al Qaïda, ainsi que sur l’usage qu’elle en fait comme combattants dans les guerres voulues par les États-Unis pour changer de régime en Libye et en Syrie.

Le discours d’Obama annonçant la décision sur l’Irak a révélé tout son mépris pour ce que pense le peuple américain. Il est apparu à la télévision nationale jeudi à 21h30, sans annonce préalable. Cet horaire était déterminé en partie par la nécessité de commencer les bombardements avant qu’il parte le samedi matin pour trois semaines de vacances dans un centre pour millionnaires sur l’île de Martha’s Vineyard.

Obama a ressorti les arguments les plus éculés en faveur de la reprise des frappes aériennes. Seuls les gens mal informés et naïfs peuvent croire sérieusement que le gouvernement américain se soucie du sort de civils innocents – en particulier après un mois de massacres israéliens à Gaza à l’aide de bombes et de missiles fournis par les États-Unis.

L’autre sujet d’inquiétude présenté par le président, celui pour les «vies des citoyens américains» en danger dans le consulat américain d’Erbil et dans l’ambassade à Bagdad, est une formule qui justifierait des agressions militaires illimitées. Le gouvernement américain a des installations dans toutes les grandes villes du monde. En cas de conflit militaire local, la pratique normale est d’évacuer ce genre d’endroits, pas de les défendre par la force. Faire autrement signifierait des interventions militaires américaines dans tous les conflits armés sur la planète.

Des responsables militaires ont déclaré à l’agence de presse McClatchy, «il y a probablement une zone grise» dans la nouvelle guerre américaine en Irak, indiquant ainsi que les objectifs vont bien au-delà de l’intervention «limitée» décrite par Obama jeudi soir. Ils ont noté que la dernière mission «limitée» décidée par le gouvernement Obama, en Libye, s’est terminée par le renversement et le meurtre du dirigeant de longue date du pays, Mouammar Kadhafi.

Obama a admis dans son discours que le renouvellement des opérations militaires en Irak était très impopulaire, en particulier parmi ceux qui ont voté pour lui en 2008 quand il se présentait comme un opposant à la guerre lancée par le président George W. Bush. Il a répété une promesse qui n’engage à rien sur le fait de ne pas envoyer de troupes de combat au sol, puis a affirmé, «l’Amérique a pu faire du monde un endroit plus sûr et prospère». Cette affirmation absurde s’applique encore moins à l’Irak, un pays largement détruit en tant que société fonctionnelle par trois décennies de bombardements américains, de blocus économique et d’occupations militaires.

La Maison blanche a indiqué qu’elle enverrait au Congrès une note officielle dans le cadre de la résolution sur les pouvoirs de guerre une fois que les opérations de combat commencent en Irak. Mais les conseillers d’Obama ont déclaré qu’aucune autorisation du Congrès n’est nécessaire parce qu’Obama aurait l’autorité légale d’ordonner l’usage de la force pour protéger les troupes américaines en Irak – des troupes qu’il a envoyées en Irak il y a moins de deux mois précisément pour justifier de nouvelles actions militaires américaines une fois qu’elles seraient prises pour cibles.

Au début de cette année, des conseillers de la Maison blanche ont témoigné devant le Congrès en affirmant que le président en tant que Commandant en chef de l’armée avait le pouvoir d’ordonner une action militaire américaine n’importe où dans le monde, sans aucune autorisation du Congrès. Le bombardement renouvelé en Irak représente une affirmation de ces pouvoirs inconditionnels et quasi-dictatoriaux.

Obama a déclaré samedi que l’intervention en Irak continuerait pendant des mois, sinon plus. Cela représente un engagement à durée indéterminée des ressources militaires et financières du gouvernement américain. Des dizaines de milliards de dollars seront jetés dans la fournaise de la guerre pour garantir les intérêts de l’impérialisme américain dans les vastes ressources pétrolières de la région.

Qui en paiera le prix ? Le peuple irakien, par la mort et la dévastation, et le peuple américain, qui se fera dire, une fois de plus, qu’il n’y a «pas d’argent» pour les emplois, les hausses de salaire, les retraites ou d’autres aides sociales.

L’intervention renouvelée en Irak n’est qu’un élément d’un agenda impérialiste bien plus large. Le prétendu «pivot» d’Obama vers l’Asie ne signifie pas que l’impérialisme américain délaisse son intérêt pour le Moyen-Orient riche en pétrole en faveur d’une confrontation avec la Chine. Il signifie que Washington ajoute l’Extrême-Orient au Moyen-Orient, à l’Asie centrale, à l’Ukraine, à la Libye et à bien d’autres zones où l’impérialisme américain se prépare à mener des agressions.

Le contrôle exercé sur la vie politique et économique des États-Unis par une coterie de conspirateurs de la CIA, du Pentagone et de think tanks, agissant de concert avec l’oligarchie financière américaine, constitue un risque mortel pour l’avenir de toute l’humanité. 

(Article original paru le 11 août 2014)

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