Le rapport américain sur la torture révèle l’implication des puissances européennes dans les crimes de la CIA

La publication du rapport de la Commission du renseignement du Sénat américain sur les tortures commises par la CIA a révélé au grand jour la complicité des puissances européennes dans les crimes affreux commis par les services de renseignement américains. Bien que la complicité des Etats européens dans les tortures perpétrées par la CIA et les opérations de « restitution » ait été documentée sur près d’une décennie, aucun responsable européen n’a eu à en répondre.

En 2005, le Conseil de l’Europe avait chargé le procureur suisse Dick Marty de préparer un rapport sur les prisons secrètes de la CIA en Europe. Il publia deux rapports, en 2006 et en 2007 , documentant la complicité de dizaines d’Etats européens dans la mise en place d’installations servant aux restitutions et à la torture illégales. Parmi les Etats impliqués il y a la Grande-Bretagne, l’Allemagne, la Belgique, l’Italie, la Grèce, la Turquie, Chypre, l’Espagne, le Portugal, la Finlande, la Suède, l’Islande, le Danemark, l’Autriche, la République tchèque, la Croatie et l’Albanie.

L’existence d’un millier de vols de restitution de la CIA et celle de prisons secrètes en Bosnie-Herzégovine, à Bucharest (Roumanie), Antavilas (Lituanie) et à Stare Kiejkuty (Pologne) a depuis été confirmée.

Néanmoins, après que le Sénat américain a reconnu le recours par la CIA aux formes de torture les plus horribles – ce qui inclut le meurtre, l’agression sexuelle, la privation de sommeil et l’obligation pour les détenus de rester debout sur des membres fracturés – les responsables ont réagi partout en Europe en insistant pour dire que l’agence de renseignement doit jouir de l’immunité.

De hauts responsables du gouvernement polonais, qui a fait appel de la décision rendue en juillet par la Cour européenne des Droits de l’homme au sujet de son rôle dans les tortures de la CIA, ont dénoncé le rapport. « Certains secrets devraient rester secrets, » a dit le ministre polonais de la Défense Tomasz Siemoniak.

Le parquet polonais a mené durant six ans une enquête sur cette affaire, dont une enquête de deux ans sur l’ancien chef des services secrets polonais Zbigniew Siemiatkowski, sans lancer de poursuites. Khalid Cheikh Mohammed, le cerveau présumé des attentats du 11 septembre, fut soumis à un simulacre de noyage dès son arrivée à Stare Kiejkuty. L’un des membres du personnel médical avait remarqué : « Nous pratiquons en fait une série de quasi-noyades. »

D’autres détenus à Stare Kiejkuty, où étaient retenus des Saoudiens, des Algériens et des Yéménites, furent soumis à des simulacres d’exécution à l’aide d’une perceuse électrique alors qu’ils étaient debout nus et la tête revêtue d’une cagoule.

L’ancien président polonais Aleksander Kwasniewski avait affirmé, sans grande conviction, que les responsables de la CIA n’avaient pas expliqué comment ils prévoyaient utiliser leurs prisons secrètes en Pologne. « Il ne s’agissait pour nous, comme nous le pensions, que de créer des sites secrets, » a-t-il dit en ajoutant avoir fermé l’installation en 2003 parce que « les activités secrètes des Américains commençaient à inquiéter » les autorités polonaises.

Les responsables lituaniens ont confirmé que le ‘site noir’ qualifié de « centre de détention violet » dans le rapport du Sénat américain semble être le centre de détention lituanien situé près de la capitale Vilnius et qui fut identifié dans l’enquête parlementaire de 2009-2010. Le député Arvydas Anusauskas, a dit à Reuters, « Pour moi, le rapport du Sénat américain, démontre de façon convaincante que des prisonniers furent bien détenus sur le site lituanien. »

Abu Zubaydah, un détenu saoudien qui est maintenant incarcéré à Guantanamo Bay, a déclaré avoir été gardé et torturé sur ce site. Washington a versé 1 million de dollars au gouvernement lituanien comme « preuve de gratitude » pour la gestion de la prison, selon le rapport du Sénat américain, bien que les fonds auraient étés payés par le biais de « mécanismes complexes. »

Le premier ministre lituanien, Algiedas Butkevicius a demandé à Washington de confirmer si oui ou non la CIA avait torturé des prisonniers dans ses geôles secrètes lituaniennes.

Le premier ministre britannique David Cameron a écarté la question de la torture et du rôle joué par la Grande-Bretagne dans les vols de restitution vers différents pays, y compris la Libye, en disant qu’elle avait été « abordée sous une perspective britannique. » Il a dit à l’opinion publique de faire confiance au renseignement britannique, que celui-ci était en mesure de se contrôler lui-même, vu que les enquêtes officielles avaient « soulevé une série de questions que le renseignement et les milieux de sécurité allaient examiner… Je suis convaincu que notre système s’occupera de toutes ces questions. »

En fait, le rapport sur la torture pratiquée par la CIA a révélé l’état avancé de l’effondrement des formes de pouvoir démocratiques non seulement aux Etats-Unis mais aussi en Europe. Ce qui est apparu partout en Europe depuis les attentats du 11 septembre, c’est le cadre d’un Etat policier bien plus puissant du point de vue technique que les dictatures les plus impitoyables du vingtième siècle. Les méthodes mises en œuvre dans le cadre de la « guerre contre le terrorisme » seront également utilisées contre une opposition de la classe ouvrière contre une politique impopulaire d’austérité et de guerre.

Les gouvernements européens participent à l’espionnage numérique des activités de télécommunication et d’internet de la population européenne pratiquée par l’Agence nationale de la sécurité (NSA) et ses homologues locaux, comme l’a dévoilé Edward Snowden. Ils sont également en train de préparer une répression commune des mouvements sociaux de protestation sur la base de pourparlers entre la police allemande, la gendarmerie française, d’autres forces de sécurité et la Commission européenne.

« Durant mon enquête, on m’a traité de traître, on disait que j’affabulais, » a dit Marty à la Tribune de Genève. « Les Européens m’ont déçu. L’Allemagne, le Royaume-Uni, et bien d’autres ont fait barrage à l’établissement de la vérité. Or la plupart des pays européens ont participé activement à un système qui a légitimé des crimes d’Etat à large échelle. »

« Je crois qu’il faut rappeler, et c’est très important, que cette opération, cette politique antiterroriste, a été décidée et effectuée sous le manteau de l’OTAN, » a déclaré Marty sur la chaîne de télévision suisse francophone RTS.

Les Etats-Unis ont invoqué l’article 5 du Traité de l’OTAN qui stipule que si un membre de l’alliance est attaqué militairement, [c’est-à-dire à la suite des attaques du 11 septembre comme l’a affirmé Washington] les autres membres sont tenus de prêter assistance, » a dit Marty. Une fois cela accepté, a-t-il ajouté, « il y a eu toute une série d’accords secrets entre les Etats-Unis et les pays européens. Et tous les pays européens se sont engagés à accorder l’immunité totale aux agents de la CIA, ce qui est manifestement illégal. »

La participation des puissances européennes dans le programme de torture de la CIA souligne l’hypocrisie totale des prétentions humanitaires utilisées pour justifier des opérations qui vont des guerres de l’OTAN en Syrie et en Libye au coup d’Etat organisé en février par les fascistes en Ukraine et appuyé par l’OTAN.

L’opposition féroce manifestée par les élites dirigeantes européennes à l’encontre des tentatives entreprises pour faire la lumière sur cette criminalité est l’indice le plus clair que les droits démocratiques de la population ne peuvent pas être garantis par des appels lancés à une quelconque partie de l’Etat. La défense des droits démocratiques et sociaux de la population est une question de mobilisation révolutionnaire de la classe ouvrière dans une lutte internationale contre le capitalisme européen.

(Article original paru le 12 décembre 2014)

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