Nouvelle législation «antiterroriste» précipitée au parlement canadien

Le gouvernement conservateur du Canada s'empresse de faire adopter par le Parlement de nouvelles lois renforçant les pouvoirs de police. Deux projets de loi sont prêts à être adoptés et un troisième devrait être déposé à la Chambre des communes avant Noël.

Une des nouvelles mesures, le projet de loi C-44 – Loi sur la protection du Canada contre les terroristes, a été présenté au Parlement au lendemain du double attentat contre des membres des Forces armées canadiennes perpétrés à la fin octobre. Ce projet de loi était déjà rédigé cependant avant ces événements.

Le projet de loi C-44 accordera légalement l'anonymat total aux informateurs du Service canadien du renseignement de sécurité (SCRS), faisant un crime le fait de les exposer publiquement, de les identifier ou même de leur demander de se soumettre à un contre-interrogatoire pendant une procédure judiciaire.

Le SCRS aura également l'autorisation officielle d'espionner les Canadiens à l'extérieur du pays. Bien que le SCRS effectue déjà des opérations importantes à l'étranger, le projet de loi C-44 donnera la sanction légale à ces activités, y compris à la coopération du Canada avec les États-Unis et ses autres partenaires du renseignement des Five Eyes pour espionner les Canadiens à l'étranger. Le projet de loi C-44 prévoit également que les activités du SCRS ne seront limitées par les lois d'aucun pays étranger.

À l'étape de l'étude en comité de la Chambre des communes, les députés conservateurs se sont assuré que le projet de loi C-44 ait l'examen le plus rapide qui soit. L'ensemble du processus a été conclu en quelques heures réparties sur quelques jours et il y a eu seulement six témoins appelés. Un vote final sur le projet de loi devrait avoir lieu au début de la semaine prochaine. 

Les députés de l'opposition du Parti libéral et du Nouveau Parti démocratique ont critiqué certains aspects du projet de loi, dont l'absence de toute surveillance supplémentaire des activités du SCRS, mais non pas ses objectifs essentiels. Après que les modifications mineures proposées par les parlementaires de l'opposition aient toutes été défaites, le critique du NPD en matière de sécurité publique, Randall Garrison, a dit que son parti pourrait ne pas être en mesure de voter pour le projet de loi C-44 en lecture finale.

Les conservateurs ont fait des pieds et des mains pour empêcher que même les critiques officiels en matière de législation puissent se faire entendre. Rompant avec la procédure normale, les députés conservateurs se sont opposés à la demande du commissaire à la protection de la vie privée, Daniel Therrien, de s'adresser au comité. Ils ont même rejeté les tentatives de voir Therrien témoigner si l'un des témoins invités à comparaître ne se présentait pas. Therrien avait l'intention de soulever ses préoccupations quant à des dispositions du projet de loi C-44 qui pourraient violer les obligations du Canada en vertu du droit international.

Par ailleurs, le gouvernement exploite le destin tragique de plusieurs jeunes qui se sont suicidés après avoir été soumis à de la cyberintimidation pour faire passer une supposée loi contre la cyberintimidation qui permettrait d'élargir considérablement les pouvoirs de la police d'accéder aux dossiers téléphoniques et Internet. Le projet de loi C-13, qui maintenant ne nécessite plus que l'approbation du Sénat et la sanction royale pour devenir loi, assouplirait en effet les restrictions de la police pour accéder aux informations des abonnés et aux métadonnées de leurs appels téléphoniques et de leurs activités en ligne.

Le gouvernement a tenté de mettre en œuvre ces pouvoirs à travers un projet de loi de surveillance en ligne précédent, hypocritement nommé Loi sur la protection des enfants contre les cyberprédateurs, mais l'opposition du public a été si forte que le projet de loi a dû être abandonné. Un autre revers pour le gouvernement est venu en juin quand la Cour suprême a statué que le droit à la vie privée des Canadiens interdisait la collecte des données personnelles téléphoniques et en ligne sans mandat.

Le projet de loi C-13 réduit la norme juridique de la preuve requise pour la police afin d'obtenir un mandat pour accéder à des informations téléphoniques ou personnelles en ligne. Pour obtenir un mandat, la police doit démontrer qu'elle a le «motif raisonnable de croire» qu'un utilisateur est impliqué dans un crime; dorénavant elle n'aura plus qu'à démontrer qu'elle a un «soupçon raisonnable».

Le projet de loi vise également à promouvoir la pratique généralisée de la remise «volontaire» à la police et à d'autres organismes gouvernementaux des informations de télécommunications au Canada. Il donne l'immunité aux entreprises de télécommunications contre toute poursuite en cas de divulgation volontaire d'informations au gouvernement sans mandat. C'est là un développement important compte tenu du fait que les grandes entreprises de télécommunications du Canada ont volontairement divulgué à une échelle massive des informations aux organismes d'application de la loi quant à l'utilisation d'Internet de leurs clients au cours des dernières années. (Voir : Canada’s telecoms aid state surveillance by handing over personal data).

Le gouvernement a également réitéré son intention d'introduire bientôt un troisième projet de loi pour élargir les pouvoirs de la police. Bien que les détails de ce projet de loi ne soient pas encore connus, le gouvernement a indiqué que celui-ci donnera le pouvoir à la police de détenir des personnes sans inculpation et créera une nouvelle infraction rendant illégale l'«incitation» au terrorisme ou son «encouragement» sur Internet.

Le ministre de la Justice Peter MacKay a récemment déclaré au Globe and Mail qu'il espère déposer ce projet de loi au Parlement avant la pause de Noël. Il a également dit qu'il envisage de suivre l'exemple de la Grande-Bretagne où il est possible de détenir jusqu'à 28 jours sans inculpation toute personne soupçonnée de terrorisme.

Ces trois lois sont conçues pour augmenter la vaste gamme de pouvoirs de surveillance et de sécurité déjà à la disposition de l'État. Depuis l'adoption de la Loi antiterroriste du Canada de 2001 au lendemain des attentats du 11 septembre, les gouvernements successifs ont massivement augmenté les budgets du SCRS et de Centre de la sécurité des télécommunications Canada (le partenaire canadien de l’Agence de sécurité nationale des États-Unis [NSA]), sapant systématiquement les droits démocratiques de base au nom de la lutte contre le terrorisme.

Le véritable objectif de ces mesures antidémocratiques est l'opposition croissante de la population à la politique étrangère de plus en plus agressive de l'élite dirigeante canadienne et à son assaut sur la position sociale des travailleurs au pays. Cela apparait clairement lorsqu'on lit la vague définition du terrorisme inscrite dans la loi de 2001. Le terrorisme y est défini comme un acte visant à provoquer d'importantes perturbations à la vie sociale et économique, y compris toute «atteinte grave» à «service essentiel» ou sa «rupture» d'un dans un but politique, religieux ou idéologique. Cette définition fourre-tout permet à l'État de désigner toute grande grève, tout blocage ou même n’importe quelle manifestation de grande ampleur comme un acte terroriste.

Le gouvernement du premier ministre Stephen Harper a saisi les deux attaques contre des militaires menées en octobre par des individus perturbés isolés pour proclamer le Canada comme un pays en état de siège par des terroristes, parce qu'il est très conscient qu'il y a peu de soutien pour son ordre du jour antidémocratique. En effet, un sondage mentionné par le National Post le 24 novembre, a révélé que seulement 36 pour cent des répondants étaient d'accord avec l'affirmation du gouvernement selon laquelle l'attaque au Monument commémoratif de guerre lors de laquelle le caporal Nathan Cirillo a été tué, et la fusillade subséquente au Parlement, devraient être considérées comme une attaque «terroriste». 

Ce n'est pas par hasard que ces dernières mesures sont traitées à la hâte par le parlement au moment même où il est question de procéder à une vaste expansion de la participation du Canada dans la nouvelle guerre menée par les États-Unis au Moyen-Orient. Des mesures sont prises dans tous les pays de la nouvelle «coalition des volontaires» d'Obama pour renforcer les pouvoirs coercitifs de l'État. Les nouveaux projets antiterroristes en Grande-Bretagne, en France et en Australie donnent à ces gouvernements des pouvoirs accrus pour dépouiller les personnes soupçonnées de terrorisme de leurs passeports.

Le Canada a été l'un des premiers pays à adopter une loi dans ce domaine. Le gouvernement Harper a profité de l'indignation créée par l'attentat d'avril 2013 perpétré lors du Marathon de Boston pour accélérer l'adoption d'amendements à la Loi antiterroriste de 2001. Selon la Loi sur la lutte contre le terrorisme de 2013, il est illégal de voyager ou d'envisager de voyager à l'étranger pour commettre des actes terroristes ou aider un groupe terroriste.

La liste officielle des organisations terroristes interdites du gouvernement canadien, faut-il le noter, est motivée par les intérêts géopolitiques prédateurs de l'État canadien. Donc, en plus d'Al-Qaïda, de l'État islamique et des groupes qui leur sont affiliés, elle comprend des organisations politiques anti-israéliennes de masse comme le Hezbollah et le Hamas.

Le projet de loi 2013 a également réintroduit plusieurs dispositions de la loi de 2001 qui avaient expiré en raison d'une clause de temporisation de cinq ans. Ce sont les «audiences d'investigation» dans lesquelles le droit au silence est aboli de façon à contraindre sous menace d'emprisonnement toute personne à fournir des informations au sujet d'un acte terroriste passé ou futur, ainsi que les «arrestations préventives», en vertu desquelles l'État a le pouvoir de détenir pendant jusqu'à 72 heures toute personne soupçonnée d'avoir potentiellement l'intention de commettre une infraction terroriste, et de lui imposer ensuite des restrictions apparentées à une caution pendant jusqu'à un an, même si elle n'est inculpée d'aucun crime. (Voir : Canada : les droits fondamentaux niés au nom de la lutte « antiterroriste »).

Plus tôt cette année, les conservateurs de Stephen Harper ont adopté une loi donnant à l'État des motifs supplémentaires pour révoquer la citoyenneté d'un individu. La Loi renforçant la citoyenneté canadienne a été critiquée par Amnistie internationale et d'autres groupes de défense des libertés civiles internationales pour transformer le droit à la citoyenneté en un privilège.

Le gouvernement a maintenant le pouvoir de révoquer la citoyenneté et la double citoyenneté de quiconque ayant été condamné pour terrorisme ou trahison, ou combattu pour des groupes armés étrangers contre le Canada. La révocation de la citoyenneté fournirait au gouvernement les moyens d'expulser ces personnes ou de les emprisonner indéfiniment, car il n'y a pas de limite légale maximale pour la détention sans inculpation de citoyens non canadiens considérés comme «menace à la sécurité nationale» en vertu du système de certificats de sécurité nationale du gouvernement. 

(Article paru d’abord en anglais le 6 décembre 2014)

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